Lot Essay
Les années 1700 sont pour Hyacinthe Rigaud (1659-1743), qui domina jusqu’au mitan du XVIIIe siècle la scène européenne du portrait avec ses amis François de Troy (1645-1730) et Nicolas de Largillierre (1656-1746), celles de la consécration absolue par la double commande des effigies de Louis XIV (Paris, musée du Louvre) et de son petit-fils, Philippe V d’Espagne (Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon), et par sa double réception dans les genres du portrait et de l’histoire à l’Académie royale de peinture et de sculpture.
Sur le plan formel, l’artiste est alors en pleine possession de ses moyens dont il a su imposer à tous l’écriture singulière, et continue à enrichir son répertoire de nouvelles attitudes, multipliant les agencements inédits à partir d’éléments anciens qui trouvent, au gré de sa fantaisie et des exigences de ses modèles, une sorte de second souffle. Tenant le haut du pavé de la clientèle, les nobles d’épée se voient proposer quatre ou cinq combinaisons génériques sur lesquelles broder, à même de traduire leurs exploits sur les théâtres d’opérations.
C’est ainsi que Rigaud crée en 1704-1705 pour l’une des gloires du Grand Siècle, le maréchal de Vauban (1633-1707), une 'attitude' et 'un habillement' entièrement 'originaux', pour reprendre le vocabulaire de ses livres de comptes : corps de trois quarts vers la droite vêtu d’un justaucorps fauve à larges revers de brocart sur lequel est enfilé un plastron métallique doublé de velours, l’écharpe blanche en bandoulière, visage de trois-quarts regardant le spectateur, les deux mains posées sur le bâton de commandement qui jouxte la bourguignotte tarée de front et dotée d’un nasal évidé en forme de lyre, le tout se détachant sur un paysage aux lointains montagneux et à la végétation faite d’arbres chétifs, le ciel étant obscurci, comme après la bataille, des nuées rousses de l’incendie… À peine adoptée pour Vauban (collection particulière ; Ariane James-Sarazin (ci-après 'AJS'), Catalogue raisonné Hyacinthe Rigaud 1659-1743, (ci-après 'cat.rais.'), II, n°P.895), cette composition connut un succès immédiat et prolongé auprès des officiers supérieurs français et étrangers, quitte à ce que Rigaud la plie à quelques variations de son cru : à l’inventeur du pré carré succèdent ainsi le maréchal Conrad de Rosen (1629-1715) peint seulement un an après (1705, collection particulière ; AJS, cat.rais., II, n°P.914) et le maréchal de Montrevel (1645-1716), dont le portrait, inscrit en 1711 dans les livres de comptes de l’artiste, est aujourd’hui non localisé (AJS, cat.rais., II, n°*P.1202), avant que Rigaud ne troque le simple plastron contemporain pour une archaïque armure complète dans laquelle se coulent le marquis de Belle-Isle (1684-1761), au prix d’une inversion de la posture, en 1713-1714 (Manom, Château de La Grange ; AJS, cat.rais., II, n°P.1259) et l’envoyé du roi d’Espagne, Patricio Laules Y Briaen (1676-1739) en 1721 (collection particulière ; AJS, cat.rais., II, n°P.1372), l’un campé devant un champ de bataille, l’autre dans l’intérieur minéral d’un palais.
C’est également pour cette composition éprouvée qu’opta en 1721 pour 1 500 livres, selon le témoignage des livres de comptes ('M[onsieu]r le m[ar]q[ui]s d’Assigny jusqu’aux genoux ; l’habillement répété d’après celui du maréchal de Montrevel'), Alexis César Freslon, marquis d’Acigné (1691-1748), avec lequel nous avons proposé en 2011, avec les précautions d’usage, de rapprocher à titre d’hypothèse les traits de l’officier supérieur de l’ancienne collection de la comtesse de Segouy, dont il existe par ailleurs un très beau dessin en forme de ricordo dans les collections de l’Albertina de Vienne (AJS, cat.rais., II, n°D.134), ainsi qu’une réduction peinte en collection particulière (cité par AJS, cat.rais., II, sous le n°P.1375), l’une et l’autre répliques présentant le modèle sans la croix de l’ordre de Saint-Louis qui a pu être ajoutée à posteriori sur la toile.
Dans la mesure où il s’agissait de s’inspirer d’une composition antérieure, Rigaud confia l’habillement du marquis à l’un de ses plus proches collaborateurs, Charles Sevin de La Penaye (1685-1740), qui en perçut 120 livres. Issu d’une très vieille famille de l’aristocratie bretonne, Alexis César Freslon, qui mourut sans descendance, semble avoir passé commande à l’occasion de son union, effective dès 1719, avec Françoise Sophie Gouyon (1701-1765), puisque le portrait de celle-ci, 'jusqu’aux genoux' et en Cérès, figure également en l’année 1721 dans les livres de comptes. Les joies de l’hymen furent cependant de courte durée : une sentence du Châtelet de Paris prononça en effet le 25 juin 1728 la séparation de biens entre les époux, bientôt suivie d’une séparation d’habitation. Comme à son habitude, Rigaud, qui n’est, à l’instar de l’aimée de Verlaine dans son Rêve familier, 'chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre', rompt au moyen de quelques détails le caractère explicite de la référence au portrait de Vauban : c’est ici une tête qui se tourne dans le sens opposé du corps pour conférer davantage de naturel à la pose, en même temps qu’elle se dérobe à une vision par trop frontale et hiératique ; là, à la place du bâton de commandement, c’est une élégante canne décorée d’une chaîne d’or, bien moins martiale, que notre officier partage d’ailleurs avec Thomas Legendre (1673-1738), seigneur de Collandre, peint en 1713 (Aix-en-Provence, musée Granet ; AJS, cat. rais., II, n° P.1261) et que l’on retrouve, en tant que motif propice à toutes les reprises de l’atelier, avec les deux mains posées l’une sur l’autre, dans une des études de Rigaud conservées au musée Fabre à Montpellier (AJS, cat. rais., II, n° E.1).
Les traits distinctifs de ce qui fonde la marque de fabrique de l’artiste sont bel et bien présents dans cette effigie bâtie avec clarté, altière sans être emphatique, dynamique sans être artificieuse, vraie sans être prosaïque, pleine d’une noblesse de bon aloi sans être intimidante, et qui, sous les codes de la représentation, ne fait jamais oublier pour autant l’homme que son pinceau consacre.
Nous remercions Madame Ariane James-Sarazin de la rédaction de la présente notice et d'avoir précisé que l'habillement du modèle de notre tableau avait été confié au proche collaborateur de Rigaud, Charles Sevin de La Penaye.
Sur le plan formel, l’artiste est alors en pleine possession de ses moyens dont il a su imposer à tous l’écriture singulière, et continue à enrichir son répertoire de nouvelles attitudes, multipliant les agencements inédits à partir d’éléments anciens qui trouvent, au gré de sa fantaisie et des exigences de ses modèles, une sorte de second souffle. Tenant le haut du pavé de la clientèle, les nobles d’épée se voient proposer quatre ou cinq combinaisons génériques sur lesquelles broder, à même de traduire leurs exploits sur les théâtres d’opérations.
C’est ainsi que Rigaud crée en 1704-1705 pour l’une des gloires du Grand Siècle, le maréchal de Vauban (1633-1707), une 'attitude' et 'un habillement' entièrement 'originaux', pour reprendre le vocabulaire de ses livres de comptes : corps de trois quarts vers la droite vêtu d’un justaucorps fauve à larges revers de brocart sur lequel est enfilé un plastron métallique doublé de velours, l’écharpe blanche en bandoulière, visage de trois-quarts regardant le spectateur, les deux mains posées sur le bâton de commandement qui jouxte la bourguignotte tarée de front et dotée d’un nasal évidé en forme de lyre, le tout se détachant sur un paysage aux lointains montagneux et à la végétation faite d’arbres chétifs, le ciel étant obscurci, comme après la bataille, des nuées rousses de l’incendie… À peine adoptée pour Vauban (collection particulière ; Ariane James-Sarazin (ci-après 'AJS'), Catalogue raisonné Hyacinthe Rigaud 1659-1743, (ci-après 'cat.rais.'), II, n°P.895), cette composition connut un succès immédiat et prolongé auprès des officiers supérieurs français et étrangers, quitte à ce que Rigaud la plie à quelques variations de son cru : à l’inventeur du pré carré succèdent ainsi le maréchal Conrad de Rosen (1629-1715) peint seulement un an après (1705, collection particulière ; AJS, cat.rais., II, n°P.914) et le maréchal de Montrevel (1645-1716), dont le portrait, inscrit en 1711 dans les livres de comptes de l’artiste, est aujourd’hui non localisé (AJS, cat.rais., II, n°*P.1202), avant que Rigaud ne troque le simple plastron contemporain pour une archaïque armure complète dans laquelle se coulent le marquis de Belle-Isle (1684-1761), au prix d’une inversion de la posture, en 1713-1714 (Manom, Château de La Grange ; AJS, cat.rais., II, n°P.1259) et l’envoyé du roi d’Espagne, Patricio Laules Y Briaen (1676-1739) en 1721 (collection particulière ; AJS, cat.rais., II, n°P.1372), l’un campé devant un champ de bataille, l’autre dans l’intérieur minéral d’un palais.
C’est également pour cette composition éprouvée qu’opta en 1721 pour 1 500 livres, selon le témoignage des livres de comptes ('M[onsieu]r le m[ar]q[ui]s d’Assigny jusqu’aux genoux ; l’habillement répété d’après celui du maréchal de Montrevel'), Alexis César Freslon, marquis d’Acigné (1691-1748), avec lequel nous avons proposé en 2011, avec les précautions d’usage, de rapprocher à titre d’hypothèse les traits de l’officier supérieur de l’ancienne collection de la comtesse de Segouy, dont il existe par ailleurs un très beau dessin en forme de ricordo dans les collections de l’Albertina de Vienne (AJS, cat.rais., II, n°D.134), ainsi qu’une réduction peinte en collection particulière (cité par AJS, cat.rais., II, sous le n°P.1375), l’une et l’autre répliques présentant le modèle sans la croix de l’ordre de Saint-Louis qui a pu être ajoutée à posteriori sur la toile.
Dans la mesure où il s’agissait de s’inspirer d’une composition antérieure, Rigaud confia l’habillement du marquis à l’un de ses plus proches collaborateurs, Charles Sevin de La Penaye (1685-1740), qui en perçut 120 livres. Issu d’une très vieille famille de l’aristocratie bretonne, Alexis César Freslon, qui mourut sans descendance, semble avoir passé commande à l’occasion de son union, effective dès 1719, avec Françoise Sophie Gouyon (1701-1765), puisque le portrait de celle-ci, 'jusqu’aux genoux' et en Cérès, figure également en l’année 1721 dans les livres de comptes. Les joies de l’hymen furent cependant de courte durée : une sentence du Châtelet de Paris prononça en effet le 25 juin 1728 la séparation de biens entre les époux, bientôt suivie d’une séparation d’habitation. Comme à son habitude, Rigaud, qui n’est, à l’instar de l’aimée de Verlaine dans son Rêve familier, 'chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre', rompt au moyen de quelques détails le caractère explicite de la référence au portrait de Vauban : c’est ici une tête qui se tourne dans le sens opposé du corps pour conférer davantage de naturel à la pose, en même temps qu’elle se dérobe à une vision par trop frontale et hiératique ; là, à la place du bâton de commandement, c’est une élégante canne décorée d’une chaîne d’or, bien moins martiale, que notre officier partage d’ailleurs avec Thomas Legendre (1673-1738), seigneur de Collandre, peint en 1713 (Aix-en-Provence, musée Granet ; AJS, cat. rais., II, n° P.1261) et que l’on retrouve, en tant que motif propice à toutes les reprises de l’atelier, avec les deux mains posées l’une sur l’autre, dans une des études de Rigaud conservées au musée Fabre à Montpellier (AJS, cat. rais., II, n° E.1).
Les traits distinctifs de ce qui fonde la marque de fabrique de l’artiste sont bel et bien présents dans cette effigie bâtie avec clarté, altière sans être emphatique, dynamique sans être artificieuse, vraie sans être prosaïque, pleine d’une noblesse de bon aloi sans être intimidante, et qui, sous les codes de la représentation, ne fait jamais oublier pour autant l’homme que son pinceau consacre.
Nous remercions Madame Ariane James-Sarazin de la rédaction de la présente notice et d'avoir précisé que l'habillement du modèle de notre tableau avait été confié au proche collaborateur de Rigaud, Charles Sevin de La Penaye.