Lot Essay
Cette oeuvre sera incluse au Tome IV du catalogue raisonné de l'oeuvre de Moïse Kisling actuellement en préparation par Jean Kisling et Marc Ottavi.
Ce sont les hasards du destin qui guident les pas de Moïse Kisling vers la peinture. En réalité, depuis son enfance il est passionné par la sculpture et les volumes. Quand il postule à l'Ecole des Beaux-Arts de Cracovie, il est finalement retenu pour un apprentissage dans la classe de peinture de Josef Pankievicz, ami de Pierre-Auguste Renoir. Son éducation artistique se fait donc à travers les oeuvres classiques de Théodore Géricault, Jean-Auguste Dominique Ingres, Paul Cézanne et surtout Renoir. C'est en 1910 que Kisling arrive à Paris, où il s'installe rue des Beaux-Arts. Le jeune homme se laisse rapidement emporter dans le tourbillon de la vie diurne et nocturne de Montparnasse et se lie d'amitié avec un cercle de jeunes artistes étrangers et d'intellectuels, notamment Pablo Picasso, Juan Gris, Manolo, André Salmon, Max Jacob et Amedeo Modigliani. Ils échangent des idées, collaborent sur des projets et stimulent mutuellement leur créativité.
Peintre complet, Kisling aborde tous les genres. Toutefois, ce sont les portraits qui restent l'un des thèmes les plus attachants de son oeuvre. C'est avec sincérité qu'il s'intéresse à la vie du modèle, dont il cherche à retranscrire l'instant émotionnel et l'état d'esprit de manière plastique. Sa préférence se porte sur le travail du nu - il dira lui-même: "une belle fille nue me donne de la joie, le désir d'aimer, d' être heureux et je voudrais que le morceau d'étoffe sur lequel je la pose soit une expression de ma joie" (cité in G. Charensol, Moïse Kisling, Paris, 1948, p. 6).
L'oeuvre Majama revêt une importance historique et stylistique dans la production du jeune artiste polonais. D'une part, cette composition s'inscrit dans une période de création faste et de réussite: ce tableau fait partie de la sélection présentée lors du Salon des Indépendants de 1914, qui recevra un excellent accueil et sera saluée par la critique. Soulignons notamment le soutien du critique d'art André Salmon qui dira: "Kisling ? C'est le peintre. L'homme, admirable de demeurer un homme. Le peintre de la vie moderne en possession de la plus rigoureuse tradition, sans être possédé d'elle" (Kisling, Paris, 1928, p. 9). D'autre part, d'un point de vue esthétique, ce nu retranscrit toutes les réflexions stylistiques que Kisling porte en lui: l'empreinte du passé, sa production au présent et le questionnement de sa création future. Après les révolutions du Fauvisme et du Cubisme, Kisling sera l'un des premiers de la jeune génération à revenir à la tradition classique tout en cherchant sa propre modernité.
Tout au long de sa vie, il recherche la perfection et une construction robuste dans ces oeuvres de nus. Comme les autres peintres de l'Ecole de Paris, Kisling s'oriente techniquement vers une économie de couleurs, le travail du monochrome, des plans sommaires et des formes simplifiées. Dans le cas du présent tableau, il s'agit bien d'une oeuvre pensée et construite selon le modèle classique: on retrouve ici les leçons de Renoir, ceci à travers un certain réalisme, le traitement des volumes et une subtile partition des couleurs. Le corps et la description de l'atelier en arrière-plan sont une suite de somptueuses simplifications, de luttes d'ombres et de lumiéres, dont la palette chaude ne fait qu'augmenter la sensualité volontaire de ce nu. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Kisling assimile les nouveaux principes esthétiques défendus par Pablo Picasso, mais ceci tout en gardant sa propre personnalité artistique. Ceci amène à la question suivante: quelle a été l'influence de la révolution picturale de l'artiste andalou sur le jeune Kisling? Pour suivre une réflexion sur ce sujet, gardons en mémoire deux éléments d'argumentaire: d'une part, la particularité des nus féminins de Pablo Picasso des années 1907 et 1908, dont le sublime Trois femmes; et l'impact du séjour au Céret de Kisling en 1912-13 auprès de Pablo Picasso.
La prise de position de M. Kisling vers une nouvelle modernité trouvera ses défenseurs et ses suiveurs, en particulier en la personne d'Amedeo Modigliani. Le jeune artiste de Livourne est fortement attaché à la peinture des grands maîtres anciens, en particulier à ceux de la Renaissance italienne. Modigliani se rend quotidiennement au 3 rue Joseph Bara, à l'atelier de "Kiki", pour peindre dans une atmosphère de sérénité et d'échange en compagnie de son ami polonais. Comme Kisling dans Majama, Modigliani retranscrit dans ses plus belles oeuvres de nus féminins, telles que Nu assis, Nu assis sur le divan (la Belle Romaine), ou encore Nu au drapé, son attachement aux leçons du passé en y faisant naître sa propre révolution stylistique.
In the end it was a twist of fate which led Moïse Kisling to painting. Despite having been fascinated by sculpture and three dimensionality since childhood, when it came to his apprenticeship at the Krakow academy of fine arts he was placed in the class of Josef Pankievicz, a friend of Pierre-Auguste Renoir. His artistic education was wrought by the classic works of Théodore Géricault, Jean-Auguste Dominique Ingres, Paul Cézanne and above all Renoir. Kisling arrived in Paris in 1910 and took up lodgings in Rue des Beaux-Arts. The young man was soon caught up in the whirl of the day and night life of Montparnasse. He befriended a group of young foreign artists and intellectuals, notably Pablo Picasso, Juan Gris, Manolo, André Salmon, Max Jacob and Amedeo Modigliani. They exchanged ideas, worked together on projects and stimulated one another's creativity.
An accomplished artist, Kisling would try his hand at all artistic genres. Portraiture, however, soon distinguished itself as one of the most successful themes in his work. He took a real interest in the life of the model and was intent on capturing their emotional state of mind in his depiction. His preference was for nudes, as revealed by his remark "a beautiful naked girl gives me joy, the desire to love, to be happy and I would like the canvas on which I display her to express my joy" (quoted in Charensol, Moïse Kisling, Paris, 1948, p. 6).
Majama is an important work from an historical and stylistic point of view in the young polish artist's production. On one hand, this composition belongs to a highly creative and successful period: it was part of a selection for the 1914 Salon des Indépendants, which met with an excellent critical reception. The support of the art critic André Salmon was notable: "Kisling? There's a painter. There's a man, who remains a man. The painter of modern life in full possession of the most rigorous tradition, without being possessed by it" (Kisling, Paris, 1928, p. 9). On the other hand, from an esthetic point of view, this nude retraces all of the stylistic reflections Kisling carried within him: the imprint of the past, its application in the present and the question of his future direction. After the revolutions of Fauvism and Cubism, Kisling would be one of the first in the young generation to go back to the classical tradition whilst looking for his own modernity. As with the other painters of the École de Paris, Kisling turned to an economy of colour, working largely in monochrome, with simplified perspective and configurations. In the case of the present painting, it is a work conceived and built on a classic model: Renoir's teachings can be perceived in the presence of realism, the treatment of volumes and a subtle distribution of colour. The model's body and the description of the studio in the background are a series of sumptuous simplifications, of shadows and light wrought in a warm palette which can serves to enhance the sensuousness of this nude. It is additionally of interest to note that Kisling assimilated the new esthetic principles defended by Pablo Picasso, while retaining his own artistic personality. With regards to the influence of the Andalusian artist on the young Kisling, two elements should be kept in mind: the distinctive aspect of Pablo Picasso's female nudes from years 1907 and 1908, among which the magnificent Trois Femmes; and the impact of Kisling's stay with Pablo Picasso in Céret in 1911.
Moïse Kisling's role in forging a new modernity would find him partisans and followers, especially Amedeo Modigliani. The young artist from Livorno was also strongly attached to the painting of the great masters, especially those of the Italian Renaissance. Each day Modigliani would visit Kiki's studio, 3 rue Joseph Bara, to paint in the serene atmosphere and exchange ideas with his Polish friend. As with Kisling in Majama, Modigliani transcribed via his most beautiful nude paintings, Nu assis, Nu assis sur le divan (la Belle Romaine), or still Nu au drape, his recognition of the lessons of the past, while cementing his own stylistic revolution.
Ce sont les hasards du destin qui guident les pas de Moïse Kisling vers la peinture. En réalité, depuis son enfance il est passionné par la sculpture et les volumes. Quand il postule à l'Ecole des Beaux-Arts de Cracovie, il est finalement retenu pour un apprentissage dans la classe de peinture de Josef Pankievicz, ami de Pierre-Auguste Renoir. Son éducation artistique se fait donc à travers les oeuvres classiques de Théodore Géricault, Jean-Auguste Dominique Ingres, Paul Cézanne et surtout Renoir. C'est en 1910 que Kisling arrive à Paris, où il s'installe rue des Beaux-Arts. Le jeune homme se laisse rapidement emporter dans le tourbillon de la vie diurne et nocturne de Montparnasse et se lie d'amitié avec un cercle de jeunes artistes étrangers et d'intellectuels, notamment Pablo Picasso, Juan Gris, Manolo, André Salmon, Max Jacob et Amedeo Modigliani. Ils échangent des idées, collaborent sur des projets et stimulent mutuellement leur créativité.
Peintre complet, Kisling aborde tous les genres. Toutefois, ce sont les portraits qui restent l'un des thèmes les plus attachants de son oeuvre. C'est avec sincérité qu'il s'intéresse à la vie du modèle, dont il cherche à retranscrire l'instant émotionnel et l'état d'esprit de manière plastique. Sa préférence se porte sur le travail du nu - il dira lui-même: "une belle fille nue me donne de la joie, le désir d'aimer, d' être heureux et je voudrais que le morceau d'étoffe sur lequel je la pose soit une expression de ma joie" (cité in G. Charensol, Moïse Kisling, Paris, 1948, p. 6).
L'oeuvre Majama revêt une importance historique et stylistique dans la production du jeune artiste polonais. D'une part, cette composition s'inscrit dans une période de création faste et de réussite: ce tableau fait partie de la sélection présentée lors du Salon des Indépendants de 1914, qui recevra un excellent accueil et sera saluée par la critique. Soulignons notamment le soutien du critique d'art André Salmon qui dira: "Kisling ? C'est le peintre. L'homme, admirable de demeurer un homme. Le peintre de la vie moderne en possession de la plus rigoureuse tradition, sans être possédé d'elle" (Kisling, Paris, 1928, p. 9). D'autre part, d'un point de vue esthétique, ce nu retranscrit toutes les réflexions stylistiques que Kisling porte en lui: l'empreinte du passé, sa production au présent et le questionnement de sa création future. Après les révolutions du Fauvisme et du Cubisme, Kisling sera l'un des premiers de la jeune génération à revenir à la tradition classique tout en cherchant sa propre modernité.
Tout au long de sa vie, il recherche la perfection et une construction robuste dans ces oeuvres de nus. Comme les autres peintres de l'Ecole de Paris, Kisling s'oriente techniquement vers une économie de couleurs, le travail du monochrome, des plans sommaires et des formes simplifiées. Dans le cas du présent tableau, il s'agit bien d'une oeuvre pensée et construite selon le modèle classique: on retrouve ici les leçons de Renoir, ceci à travers un certain réalisme, le traitement des volumes et une subtile partition des couleurs. Le corps et la description de l'atelier en arrière-plan sont une suite de somptueuses simplifications, de luttes d'ombres et de lumiéres, dont la palette chaude ne fait qu'augmenter la sensualité volontaire de ce nu. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Kisling assimile les nouveaux principes esthétiques défendus par Pablo Picasso, mais ceci tout en gardant sa propre personnalité artistique. Ceci amène à la question suivante: quelle a été l'influence de la révolution picturale de l'artiste andalou sur le jeune Kisling? Pour suivre une réflexion sur ce sujet, gardons en mémoire deux éléments d'argumentaire: d'une part, la particularité des nus féminins de Pablo Picasso des années 1907 et 1908, dont le sublime Trois femmes; et l'impact du séjour au Céret de Kisling en 1912-13 auprès de Pablo Picasso.
La prise de position de M. Kisling vers une nouvelle modernité trouvera ses défenseurs et ses suiveurs, en particulier en la personne d'Amedeo Modigliani. Le jeune artiste de Livourne est fortement attaché à la peinture des grands maîtres anciens, en particulier à ceux de la Renaissance italienne. Modigliani se rend quotidiennement au 3 rue Joseph Bara, à l'atelier de "Kiki", pour peindre dans une atmosphère de sérénité et d'échange en compagnie de son ami polonais. Comme Kisling dans Majama, Modigliani retranscrit dans ses plus belles oeuvres de nus féminins, telles que Nu assis, Nu assis sur le divan (la Belle Romaine), ou encore Nu au drapé, son attachement aux leçons du passé en y faisant naître sa propre révolution stylistique.
In the end it was a twist of fate which led Moïse Kisling to painting. Despite having been fascinated by sculpture and three dimensionality since childhood, when it came to his apprenticeship at the Krakow academy of fine arts he was placed in the class of Josef Pankievicz, a friend of Pierre-Auguste Renoir. His artistic education was wrought by the classic works of Théodore Géricault, Jean-Auguste Dominique Ingres, Paul Cézanne and above all Renoir. Kisling arrived in Paris in 1910 and took up lodgings in Rue des Beaux-Arts. The young man was soon caught up in the whirl of the day and night life of Montparnasse. He befriended a group of young foreign artists and intellectuals, notably Pablo Picasso, Juan Gris, Manolo, André Salmon, Max Jacob and Amedeo Modigliani. They exchanged ideas, worked together on projects and stimulated one another's creativity.
An accomplished artist, Kisling would try his hand at all artistic genres. Portraiture, however, soon distinguished itself as one of the most successful themes in his work. He took a real interest in the life of the model and was intent on capturing their emotional state of mind in his depiction. His preference was for nudes, as revealed by his remark "a beautiful naked girl gives me joy, the desire to love, to be happy and I would like the canvas on which I display her to express my joy" (quoted in Charensol, Moïse Kisling, Paris, 1948, p. 6).
Majama is an important work from an historical and stylistic point of view in the young polish artist's production. On one hand, this composition belongs to a highly creative and successful period: it was part of a selection for the 1914 Salon des Indépendants, which met with an excellent critical reception. The support of the art critic André Salmon was notable: "Kisling? There's a painter. There's a man, who remains a man. The painter of modern life in full possession of the most rigorous tradition, without being possessed by it" (Kisling, Paris, 1928, p. 9). On the other hand, from an esthetic point of view, this nude retraces all of the stylistic reflections Kisling carried within him: the imprint of the past, its application in the present and the question of his future direction. After the revolutions of Fauvism and Cubism, Kisling would be one of the first in the young generation to go back to the classical tradition whilst looking for his own modernity. As with the other painters of the École de Paris, Kisling turned to an economy of colour, working largely in monochrome, with simplified perspective and configurations. In the case of the present painting, it is a work conceived and built on a classic model: Renoir's teachings can be perceived in the presence of realism, the treatment of volumes and a subtle distribution of colour. The model's body and the description of the studio in the background are a series of sumptuous simplifications, of shadows and light wrought in a warm palette which can serves to enhance the sensuousness of this nude. It is additionally of interest to note that Kisling assimilated the new esthetic principles defended by Pablo Picasso, while retaining his own artistic personality. With regards to the influence of the Andalusian artist on the young Kisling, two elements should be kept in mind: the distinctive aspect of Pablo Picasso's female nudes from years 1907 and 1908, among which the magnificent Trois Femmes; and the impact of Kisling's stay with Pablo Picasso in Céret in 1911.
Moïse Kisling's role in forging a new modernity would find him partisans and followers, especially Amedeo Modigliani. The young artist from Livorno was also strongly attached to the painting of the great masters, especially those of the Italian Renaissance. Each day Modigliani would visit Kiki's studio, 3 rue Joseph Bara, to paint in the serene atmosphere and exchange ideas with his Polish friend. As with Kisling in Majama, Modigliani transcribed via his most beautiful nude paintings, Nu assis, Nu assis sur le divan (la Belle Romaine), or still Nu au drape, his recognition of the lessons of the past, while cementing his own stylistic revolution.