Lot Essay
PANNEAUX D’OISEAUX
par Markus Schindlbeck
Les planches malu sont des panneaux ajourés d’une grande rareté. La sculpture de la collection Périnet appartient à cet ensemble d’objets spectaculaires qui furent acquis dès le début du XXe siècle sur le fleuve Sepik en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce panneau de bois - qui a gardé son attache de rotin à son sommet - est divisé en trois parties ornementales : le tiers supérieur présente un grand visage, le centre ajouré est rempli de multiples petites décorations, et la partie basse, plus petite, laisse entrevoir un second visage au milieu de crochets taillés en pointe. Cette répartition tripartite est caractéristique des planches telles que nous les connaissons dans les collections. Les deux faces de la planche étant sculptées et peintes, il est difficile de décider quelle est la face principale de l’objet. On considèrera ici que la face principale est celle qui présente un grand visage en haut et un petit en bas. Le revers de la planche obéit à la même organisation des registres que le verso, seul le visage supérieur est plus petit. Ce visage présente sous les yeux des petites lignes caractéristiques qui rappellent les scarifications réalisées lors des initiations. En accord avec le style des peintures du moyen Sepik, trois couleurs - blanc, rouge et noir - sont utilisees. L’usage de ces couleurs souligne la virtuosite de la sculpture.
Les décorations des deux faces du panneau, et leur exceptionnel état de conservation, contribuent à l’extraordinaire aspect de l’objet. Les autres exemplaires comparables à cet objet ne présentent pas une sculpture et des peintures aussi soignées à leur revers ou les dessins y sont le plus souvent vaguement tracés.
[…] Comme souvent, le village où ce malu a été sculpté ou bien découvert nous est inconnu. En le comparant avec d’autres exemplaires connus, il est cependant à peu près certain qu’il a été réalisé dans les villages de la rive nord du Sepik, dans l’aire Iatmul ou Sawos. Il est généralement admis que ces planches sont spécifiques au groupe Sawos (ou Tshuosh) qui vivent à l’intérieur du marais. Les Sawos partagent de très nombreux traits avec les Iatmul installés, eux, sur les berges du fleuve. Des planches similaires furent acquises dans les villages iatmul de Kanganamun, Angriman, Tambanum, Simar et Singarin. Cependant, les Iatmul n’ont aucune tradition liée à l’usage de ces planches. Rares sont celles qui furent recueillies par les premiers acquéreurs dans les villages Sawos, ces villages étant difficile d’accès. Seules quelques informations provenant du village de Gaikorobi - l’un des principaux centres de diffusion de la culture Sawos - fournissent des indices sur leur usage. Entre les deux guerres, le fameux anthropologue Gregory Bateson, venant du village iatmul de Kanganamun, s’est arrêté quelques heures dans le village de Gaikorobi où il acquit une planche malu similaire à celle-ci. De nos jours, cet objet est conservé au Musée d’anthropologie de Cambridge. Le père Kirschbaum, premier missionnaire installé dans la vallée, note que ces planches étaient échangées ou données en dot aux femmes qui se mariaient soit dans les villages situés en aval de Gaikorobi soit à Kanganamun, village en partenariat d’échanges traditionnels avec Gaikorobi, une information depuis largement admise.
[...] Ces objets apparaissent dans les collections constituées avant 1914. A cette époque, elles étaient déjà rares. Néanmoins, comme le prouvent des photographies, elles existaient encore dans le village de Gaikorobi au début des années 1950. Les formes de ces objets ne nous disent rien de leur fonction si l’on excepte la présence d’un lien de rotin qui permet de les suspendre au toit intérieur des maisons et le fait qu’ils puissent être regardés sur leurs deux faces. Comme elles ne furent jamais vues dans les maisons des hommes, par déduction leur place était dans les maisons d’habitation. Ceci explique le manque d’informations à leur sujet : comme les premiers explorateurs furent rarement autorisés à pénétrer dans les maisons familiales, lieu d’habitation des femmes, nous ne possédons aucune photographie prise avant 1914 montrant l’usage et la fonction des planches malu.
[…] La planche de la collection Périnet présente des motifs caractéristiques des planches malu des Sawos : un lacis complexe de motifs ajourés au milieu desquels apparaissent des têtes et des becs d’oiseaux associés aux motifs de scarification reçues lors des initiations. Par la qualité de ses motifs sculptés sur ses deux faces, elle compte parmi les objets les plus beaux de tout le Pacifique.
BOARDS OF BIRDS
by Markus Schindlbeck
Malu boards are openwork panels of great rarity. The present carving is one of these spectacular objects which were acquired early in the twentieth century on the Sepik river in Papua New Guinea. The flat panel out of wood with a rattan fastening on the top of the carving is structured into three ornamental parts: the upper third of the board shows a large face, the middle consists of a fretwork with a great number of smaller decorations, the lower smaller portion shows several pointed hooks with in the middle another representation of a face. This tripartite division is typical of all Malu boards as we know them from the collections. As both sides of the board are carved and painted it is difficult to decide which one is the front view. In this case the side with a face not only in the upper but also in the lower part will be described as the frontal view. The back part of the board has the same structure as the front, only the upper face is much smaller, with the typical lines below the eyes which are reminiscent of the scars produced during initiation. According to the style of painting in the Middle Sepik area the colours of white, red and black were used to enforce the virtuoso creation of the carving.
The decoration on both sides of the panel and its exceptional preservation create the extraordinary aspect of this object. Other comparable Malu boards often do not have a similar careful carving and painting on the back side, and the design is only vaguely indicated.
[…] As in many cases we do not know in which village the board was made or acquired, but certainly it was made according to comparable objects in a village north of the Sepik river in Iatmul or Sawos area. Generally it is thought that these boards were specific to Sawos (or Tshuosh) people who are similar in many traits to the Iatmul people living on the banks of the river. Similar panels were discovered in the villages of Kanganamun, Angriman, Tambanum, Simar and Singarin. Rarely they were acquired among the Sawos themselves as for the early acquirers their country was difficult to access. But the Iatmul themselves had no tradition about the function of the Malu boards, only information from the village of Gaikorobi gives some hint, probably one main centre of distribution of Sawos culture. The famous Gregory Bateson who passed only few hours in this village coming from Kanganamun discovered one similar piece which is now in Cambridge. Therefore it is assumed that these boards were traded or given as dowry to villages downriver from Gaikorobi or its trade partner Kanganamun.
[...] The Malu boards are present mainly in the early collections made before 1914. At that time they were already a rarity. Nevertheless they still existed in the village of Gaikorobi in the early fifties as a photograph shows. The objects themselves tell us nothing about their function, with the exception that they was suspended from the roof in the interior of a house, and to be seen from both sides. As they were never observed in the men’s houses their home was in the dwelling houses which explains also the lack of information. As the early explorers were seldom able to enter the dwelling houses because of the residency of women we have no photograph showing us the use and function during the period before 1914.
[…] The Malu panel from the collection Périnet represents the typical patterns of these boards of the Sawos area in the complex openwork showing birds and bird beaks together with the scar motifs of initiation. Both sides of the panel have almost similar carving and make it one of the most beautiful artworks of the Pacific.
par Markus Schindlbeck
Les planches malu sont des panneaux ajourés d’une grande rareté. La sculpture de la collection Périnet appartient à cet ensemble d’objets spectaculaires qui furent acquis dès le début du XXe siècle sur le fleuve Sepik en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce panneau de bois - qui a gardé son attache de rotin à son sommet - est divisé en trois parties ornementales : le tiers supérieur présente un grand visage, le centre ajouré est rempli de multiples petites décorations, et la partie basse, plus petite, laisse entrevoir un second visage au milieu de crochets taillés en pointe. Cette répartition tripartite est caractéristique des planches telles que nous les connaissons dans les collections. Les deux faces de la planche étant sculptées et peintes, il est difficile de décider quelle est la face principale de l’objet. On considèrera ici que la face principale est celle qui présente un grand visage en haut et un petit en bas. Le revers de la planche obéit à la même organisation des registres que le verso, seul le visage supérieur est plus petit. Ce visage présente sous les yeux des petites lignes caractéristiques qui rappellent les scarifications réalisées lors des initiations. En accord avec le style des peintures du moyen Sepik, trois couleurs - blanc, rouge et noir - sont utilisees. L’usage de ces couleurs souligne la virtuosite de la sculpture.
Les décorations des deux faces du panneau, et leur exceptionnel état de conservation, contribuent à l’extraordinaire aspect de l’objet. Les autres exemplaires comparables à cet objet ne présentent pas une sculpture et des peintures aussi soignées à leur revers ou les dessins y sont le plus souvent vaguement tracés.
[…] Comme souvent, le village où ce malu a été sculpté ou bien découvert nous est inconnu. En le comparant avec d’autres exemplaires connus, il est cependant à peu près certain qu’il a été réalisé dans les villages de la rive nord du Sepik, dans l’aire Iatmul ou Sawos. Il est généralement admis que ces planches sont spécifiques au groupe Sawos (ou Tshuosh) qui vivent à l’intérieur du marais. Les Sawos partagent de très nombreux traits avec les Iatmul installés, eux, sur les berges du fleuve. Des planches similaires furent acquises dans les villages iatmul de Kanganamun, Angriman, Tambanum, Simar et Singarin. Cependant, les Iatmul n’ont aucune tradition liée à l’usage de ces planches. Rares sont celles qui furent recueillies par les premiers acquéreurs dans les villages Sawos, ces villages étant difficile d’accès. Seules quelques informations provenant du village de Gaikorobi - l’un des principaux centres de diffusion de la culture Sawos - fournissent des indices sur leur usage. Entre les deux guerres, le fameux anthropologue Gregory Bateson, venant du village iatmul de Kanganamun, s’est arrêté quelques heures dans le village de Gaikorobi où il acquit une planche malu similaire à celle-ci. De nos jours, cet objet est conservé au Musée d’anthropologie de Cambridge. Le père Kirschbaum, premier missionnaire installé dans la vallée, note que ces planches étaient échangées ou données en dot aux femmes qui se mariaient soit dans les villages situés en aval de Gaikorobi soit à Kanganamun, village en partenariat d’échanges traditionnels avec Gaikorobi, une information depuis largement admise.
[...] Ces objets apparaissent dans les collections constituées avant 1914. A cette époque, elles étaient déjà rares. Néanmoins, comme le prouvent des photographies, elles existaient encore dans le village de Gaikorobi au début des années 1950. Les formes de ces objets ne nous disent rien de leur fonction si l’on excepte la présence d’un lien de rotin qui permet de les suspendre au toit intérieur des maisons et le fait qu’ils puissent être regardés sur leurs deux faces. Comme elles ne furent jamais vues dans les maisons des hommes, par déduction leur place était dans les maisons d’habitation. Ceci explique le manque d’informations à leur sujet : comme les premiers explorateurs furent rarement autorisés à pénétrer dans les maisons familiales, lieu d’habitation des femmes, nous ne possédons aucune photographie prise avant 1914 montrant l’usage et la fonction des planches malu.
[…] La planche de la collection Périnet présente des motifs caractéristiques des planches malu des Sawos : un lacis complexe de motifs ajourés au milieu desquels apparaissent des têtes et des becs d’oiseaux associés aux motifs de scarification reçues lors des initiations. Par la qualité de ses motifs sculptés sur ses deux faces, elle compte parmi les objets les plus beaux de tout le Pacifique.
BOARDS OF BIRDS
by Markus Schindlbeck
Malu boards are openwork panels of great rarity. The present carving is one of these spectacular objects which were acquired early in the twentieth century on the Sepik river in Papua New Guinea. The flat panel out of wood with a rattan fastening on the top of the carving is structured into three ornamental parts: the upper third of the board shows a large face, the middle consists of a fretwork with a great number of smaller decorations, the lower smaller portion shows several pointed hooks with in the middle another representation of a face. This tripartite division is typical of all Malu boards as we know them from the collections. As both sides of the board are carved and painted it is difficult to decide which one is the front view. In this case the side with a face not only in the upper but also in the lower part will be described as the frontal view. The back part of the board has the same structure as the front, only the upper face is much smaller, with the typical lines below the eyes which are reminiscent of the scars produced during initiation. According to the style of painting in the Middle Sepik area the colours of white, red and black were used to enforce the virtuoso creation of the carving.
The decoration on both sides of the panel and its exceptional preservation create the extraordinary aspect of this object. Other comparable Malu boards often do not have a similar careful carving and painting on the back side, and the design is only vaguely indicated.
[…] As in many cases we do not know in which village the board was made or acquired, but certainly it was made according to comparable objects in a village north of the Sepik river in Iatmul or Sawos area. Generally it is thought that these boards were specific to Sawos (or Tshuosh) people who are similar in many traits to the Iatmul people living on the banks of the river. Similar panels were discovered in the villages of Kanganamun, Angriman, Tambanum, Simar and Singarin. Rarely they were acquired among the Sawos themselves as for the early acquirers their country was difficult to access. But the Iatmul themselves had no tradition about the function of the Malu boards, only information from the village of Gaikorobi gives some hint, probably one main centre of distribution of Sawos culture. The famous Gregory Bateson who passed only few hours in this village coming from Kanganamun discovered one similar piece which is now in Cambridge. Therefore it is assumed that these boards were traded or given as dowry to villages downriver from Gaikorobi or its trade partner Kanganamun.
[...] The Malu boards are present mainly in the early collections made before 1914. At that time they were already a rarity. Nevertheless they still existed in the village of Gaikorobi in the early fifties as a photograph shows. The objects themselves tell us nothing about their function, with the exception that they was suspended from the roof in the interior of a house, and to be seen from both sides. As they were never observed in the men’s houses their home was in the dwelling houses which explains also the lack of information. As the early explorers were seldom able to enter the dwelling houses because of the residency of women we have no photograph showing us the use and function during the period before 1914.
[…] The Malu panel from the collection Périnet represents the typical patterns of these boards of the Sawos area in the complex openwork showing birds and bird beaks together with the scar motifs of initiation. Both sides of the panel have almost similar carving and make it one of the most beautiful artworks of the Pacific.