拍品专文
Dans le corpus de l'art Africain, les serpents baga tiennent une place importante. De par leurs grandes qualités plastiques, leur dimension, ces sculptures monoxyles sont inédites par la pureté de leur esthétique et leur monumentalité. Le serpent de la collection Bartos par sa taille, sa forme alongée, l'équilibre de ses courbes, est un exemplaire saisissant de ce groupe de sculptures. Le corps, s'évasant aux extrémités et présentant un renflement en son centre, forme un étranglement prononcé à la base du cou et dessinent ainsi de façon précise la tête de l'animal. L'épaisseur de la crête parcourant la totalité de la surface du corps épouse la forme de l'oeuvre en se rétrécissant au niveau de la gorge. Le profil quant à lui fait apparaitre un mouvement ascendant, exprimé par la courbe et contre-courbe de l'objet. La superbe polychromie, rehausse de pigments noir, rouge et blanc formant des motifs géométriques triangulaires et renforce cette dynamique.
La grande majorité de ces pièces, et parmi elles le serpent de la collection Bartos, furent collectées par Hélène et Henri Kamer dans les années 50, et sont aujourd'hui conservées dans les plus grands musées du monde.
Parmi les huit serpents collectés par le couple Kamer se trouvent : celui du Musée du Quai Branly actuellement exposé au Pavillon des Sessions du Louvre (71.1989.49.1), il avait été offert au musée par Jacques Lazard à l'instigation d'Hélène (Kamer) Leloup; un autre appartenant à la Menil Collection de Houston (V9009), deux autres exemplaires conservés au Metropolitan Museum de New York (1978.206.101 et 1978.412.339) et provenant de la collection Rockefeller, un serpent vendu par Hélène Leloup au réalisateur américain, John Huston, et enfin un dernier exemplaire ayant appartenu à Pierre Matisse, aujourd'hui conservé dans une collection privée (voir Sotheby's, 16 mai 2008, lot 58). Pour d'autres serpents de style similaire, voir aussi: celui du musée Barbier-Mueller de Genève, celui du Cleveland Museum of Art (1960.37), publié dans Robbins et Nooter (1989 fig.247); enfin une autre figure conservée au Rietberg Museum de Zurich, acquise auprès d'Emil Storrer.
Hélène Leloup a rappelé récemment le contexte particulier dans lequel elle collecta le serpent de la collection Bartos. Quand elle arriva en Guinée en 1957, elle et Henri Kamer, s'installèrent à Boka. Pendant les dix jours qui suivirent, elle parcourut les territoires Baga et Nalu, à la recherche de serpents.
Le serpent présenté ici fut trouvé à la fin de l'année 1957, dans un village guinéen, dénommé alors Victoria, aujourd'hui Kanfarandé. A l'époque, parce qu'il était situé à l'embouchure de la rivière Rio Nunez, le village changeait de nom en fonction de l'origine ethnique des interlocuteurs. A marée basse, elle remonta le fleuve bordé de palétuviers à l'aide d'une pirogue tandis que les crocodiles apeurés fuyaient à son passage. Le retour, par marée haute, était bien plus dangereux, la pirogue peinait à avancer à cause du remous des vagues, devenues plus grandes, et le poids de la cargaison - comprenant les objets et les personnes (communication personnelle Hélène Leloup, Paris, 27 mai 2013).
Le serpent Bartos présente deux aspects remarquables. Le premier est l'extraordinaire présence de cavités qui parsèment le dos de l'animal. Assez profondes et autrefois recouvertes de métal, elles servaient certainement à contenir des substances magiques. Comme on le voit sur la célèbre photographie d'Hélène Kamer sur laquelle apparaît le serpent Bartos, la base a été modifiée et réduite. Cela a certainement eu lieu en 1958, lorsque l'objet fut soclé tel que l'on peut le voir sur l'image du MFA de Boston.
Le contexte culturel
" Associé à l'arc-en-ciel, considéré comme source des rivières et signe de la fin des pluies, le serpent évoque l'idée de vie et de mort, du début et de la fin. " (Lamp, 1996).
Les Baga, Landuman et Nalu, peuples aux caractéristiques ethniques et artistiques similaires, vivent le long des côtes lagunaires du sud de la Guinée. Six mois de l'année, les marais environnants sont inondés ce qui rend difficilement accessible une grande partie du territoire Baga. Cet isolement relatif explique le manque d'études de terrain anciennes. L'ethnologue Denise Paulme (1909-1998) séjourna chez les Baga au cours des années 1950 mais ne put jamais assister à la clôture des cérémonies d'initiation (Stoullig-Martin, 1988). Il fallut attendre la publication des recherches de Frederick Lamp (Art of the Baga, New York, 1996), que nous conseillons de consulter, afin d'approfondir le sujet.
L'esprit ninkinanka du serpent appelé bansonyi ou a-Mantsho-no-Pön régnait en maître parmi la population Baga qui le craignait. Il était considéré comme l'esprit pouvant apporter la pluie, accorder des richesses et offrir des enfants aux stériles. Chaque section du village devait être représentée par l'image en bois d'un serpent, tel un animal totémique. Le cimier bansonyi apparaissait lors de compétitions entre les clans. De jeunes gens revêtus d'un costume complexe surmonté par la représentation du serpent s'affrontaient lors de danses qui étaient évaluées par les femmes. Le serpent se manifestait également lors de la phase finale de l'initiation des fillettes et des garçons ainsi qu'au début des cérémonies d'initiation des jeunes adultes. Associé à l'arc-en-ciel, considéré comme étant à la source des rivières et marquant la fin des pluies, le serpent renvoie à l'image de la vie et de la mort, du commencement et de la fin (Lamp, 1996).
La découverte des grands serpents en bois
Peu après l'indépendance de la Guinée et à la suite de l'apparition du parti politique RDA (Rassemblement Démocratique Africain), vainqueur des élections présidentielles en 1958 avec Ahmed Sékou Touré, il fut décidé de moderniser le pays et de supprimer les coutumes locales. Les anciennes traditions Baga furent ainsi rapidement interdites et enfin oubliées (Lamp, 1996). Ce qui explique très certainement l'arrivée en Europe d'un certain nombre d'objets de cultes tombés en désuétude. Ainsi les serpents Baga sont apparus sur le marché en 1957, suite au voyage d'Hélène et Henri Kamer au pays Baga. Hélène Kamer, habitant en face du Musée de l'Homme à l'époque, montra ces pièces à Denise Paulme, conservatrice de la section africain du musée, qui avait entendu parler de ces objets lorsqu'elle travaillait en Guinée, sans les avoir jamais vus. Peu nombreux, ces objets contrastant avec l'art africain plus classique présenté dans les galeries de l'époque plurent rapidement et furent acquis par de grands musées et collectionneurs privés. Quelques autres exemplaires seront également rapportés plus tard entre 1957 et 1961, suite à l'engouement provoqué en Europe par ces sculptures serpentiformes.
Le serpent de la collection Bartos fut exposé au Museum of Fine Arts de Boston, en 1958 et fut décrit par Lamp comme ' le premier serpent baga jamais vu aux Etats-Unis' (op. cit.).
Jacqueline Delange, dans son article Le Bansonyi du Pays Baga (nous remercions Madame Hélène Leloup de nous avoir confié ce document), note que le serpent, animal assez commun de l'Afrique subsaharienne, est étrangement peu représenté dans la statuaire indigène. Elle cite le "grand serpent des Dogons", appelé, imina na (cf. Musée du Quai Branly, 71.1931.74.1935, pour un masque imina na collecté par la Mission Dakar-Djibouti) ainsi que le masque Bwa surmonté d'un serpent (cf. Musée du Quai Branly, 73.1962.6.1), seules images sculptées de l'animal. Selon Jacqueline Delange, ce dernier se retrouve plus fréquemment représenté sur les objets de petites dimensions tels que "les coupes en bois peint des Nago par exemple, ou sur les bijoux en laiton des Lobi, Sénoufo ou Bamoun. Nous rencontrons également la figuration du serpent peinte sur de nombreuses cases ouest-africaines, ou bien encore intégrée dans une composition allégorique complexe comme certains éléments en bois sculpté du mobilier Bacongo ou de pièces d'architectures Bamoun-Bamiléké. Plus souvent nous la découvrirons suggérée par une ligne sinueuse, motif fidèle de tant de sculptures cultuelles Dogon et Bambara."
Bien que les statues en bois du serpent bansonyi nous fussent longtemps inconnues, l'importance de cet être mythique dans la cosmogonie Baga est attestée par de nombreux récits. En 1943, Béatrice Appia publia des dessins d'enfants illustrant des scènes de vie quotidienne de leurs villages. Sur ces images apparaissent la figure du serpent, posée sur la tête d'un unique porteur à l'aide d'une sorte de cage, le tout dissimulé sous un costume.
La grande majorité de ces pièces, et parmi elles le serpent de la collection Bartos, furent collectées par Hélène et Henri Kamer dans les années 50, et sont aujourd'hui conservées dans les plus grands musées du monde.
Parmi les huit serpents collectés par le couple Kamer se trouvent : celui du Musée du Quai Branly actuellement exposé au Pavillon des Sessions du Louvre (71.1989.49.1), il avait été offert au musée par Jacques Lazard à l'instigation d'Hélène (Kamer) Leloup; un autre appartenant à la Menil Collection de Houston (V9009), deux autres exemplaires conservés au Metropolitan Museum de New York (1978.206.101 et 1978.412.339) et provenant de la collection Rockefeller, un serpent vendu par Hélène Leloup au réalisateur américain, John Huston, et enfin un dernier exemplaire ayant appartenu à Pierre Matisse, aujourd'hui conservé dans une collection privée (voir Sotheby's, 16 mai 2008, lot 58). Pour d'autres serpents de style similaire, voir aussi: celui du musée Barbier-Mueller de Genève, celui du Cleveland Museum of Art (1960.37), publié dans Robbins et Nooter (1989 fig.247); enfin une autre figure conservée au Rietberg Museum de Zurich, acquise auprès d'Emil Storrer.
Hélène Leloup a rappelé récemment le contexte particulier dans lequel elle collecta le serpent de la collection Bartos. Quand elle arriva en Guinée en 1957, elle et Henri Kamer, s'installèrent à Boka. Pendant les dix jours qui suivirent, elle parcourut les territoires Baga et Nalu, à la recherche de serpents.
Le serpent présenté ici fut trouvé à la fin de l'année 1957, dans un village guinéen, dénommé alors Victoria, aujourd'hui Kanfarandé. A l'époque, parce qu'il était situé à l'embouchure de la rivière Rio Nunez, le village changeait de nom en fonction de l'origine ethnique des interlocuteurs. A marée basse, elle remonta le fleuve bordé de palétuviers à l'aide d'une pirogue tandis que les crocodiles apeurés fuyaient à son passage. Le retour, par marée haute, était bien plus dangereux, la pirogue peinait à avancer à cause du remous des vagues, devenues plus grandes, et le poids de la cargaison - comprenant les objets et les personnes (communication personnelle Hélène Leloup, Paris, 27 mai 2013).
Le serpent Bartos présente deux aspects remarquables. Le premier est l'extraordinaire présence de cavités qui parsèment le dos de l'animal. Assez profondes et autrefois recouvertes de métal, elles servaient certainement à contenir des substances magiques. Comme on le voit sur la célèbre photographie d'Hélène Kamer sur laquelle apparaît le serpent Bartos, la base a été modifiée et réduite. Cela a certainement eu lieu en 1958, lorsque l'objet fut soclé tel que l'on peut le voir sur l'image du MFA de Boston.
Le contexte culturel
" Associé à l'arc-en-ciel, considéré comme source des rivières et signe de la fin des pluies, le serpent évoque l'idée de vie et de mort, du début et de la fin. " (Lamp, 1996).
Les Baga, Landuman et Nalu, peuples aux caractéristiques ethniques et artistiques similaires, vivent le long des côtes lagunaires du sud de la Guinée. Six mois de l'année, les marais environnants sont inondés ce qui rend difficilement accessible une grande partie du territoire Baga. Cet isolement relatif explique le manque d'études de terrain anciennes. L'ethnologue Denise Paulme (1909-1998) séjourna chez les Baga au cours des années 1950 mais ne put jamais assister à la clôture des cérémonies d'initiation (Stoullig-Martin, 1988). Il fallut attendre la publication des recherches de Frederick Lamp (Art of the Baga, New York, 1996), que nous conseillons de consulter, afin d'approfondir le sujet.
L'esprit ninkinanka du serpent appelé bansonyi ou a-Mantsho-no-Pön régnait en maître parmi la population Baga qui le craignait. Il était considéré comme l'esprit pouvant apporter la pluie, accorder des richesses et offrir des enfants aux stériles. Chaque section du village devait être représentée par l'image en bois d'un serpent, tel un animal totémique. Le cimier bansonyi apparaissait lors de compétitions entre les clans. De jeunes gens revêtus d'un costume complexe surmonté par la représentation du serpent s'affrontaient lors de danses qui étaient évaluées par les femmes. Le serpent se manifestait également lors de la phase finale de l'initiation des fillettes et des garçons ainsi qu'au début des cérémonies d'initiation des jeunes adultes. Associé à l'arc-en-ciel, considéré comme étant à la source des rivières et marquant la fin des pluies, le serpent renvoie à l'image de la vie et de la mort, du commencement et de la fin (Lamp, 1996).
La découverte des grands serpents en bois
Peu après l'indépendance de la Guinée et à la suite de l'apparition du parti politique RDA (Rassemblement Démocratique Africain), vainqueur des élections présidentielles en 1958 avec Ahmed Sékou Touré, il fut décidé de moderniser le pays et de supprimer les coutumes locales. Les anciennes traditions Baga furent ainsi rapidement interdites et enfin oubliées (Lamp, 1996). Ce qui explique très certainement l'arrivée en Europe d'un certain nombre d'objets de cultes tombés en désuétude. Ainsi les serpents Baga sont apparus sur le marché en 1957, suite au voyage d'Hélène et Henri Kamer au pays Baga. Hélène Kamer, habitant en face du Musée de l'Homme à l'époque, montra ces pièces à Denise Paulme, conservatrice de la section africain du musée, qui avait entendu parler de ces objets lorsqu'elle travaillait en Guinée, sans les avoir jamais vus. Peu nombreux, ces objets contrastant avec l'art africain plus classique présenté dans les galeries de l'époque plurent rapidement et furent acquis par de grands musées et collectionneurs privés. Quelques autres exemplaires seront également rapportés plus tard entre 1957 et 1961, suite à l'engouement provoqué en Europe par ces sculptures serpentiformes.
Le serpent de la collection Bartos fut exposé au Museum of Fine Arts de Boston, en 1958 et fut décrit par Lamp comme ' le premier serpent baga jamais vu aux Etats-Unis' (op. cit.).
Jacqueline Delange, dans son article Le Bansonyi du Pays Baga (nous remercions Madame Hélène Leloup de nous avoir confié ce document), note que le serpent, animal assez commun de l'Afrique subsaharienne, est étrangement peu représenté dans la statuaire indigène. Elle cite le "grand serpent des Dogons", appelé, imina na (cf. Musée du Quai Branly, 71.1931.74.1935, pour un masque imina na collecté par la Mission Dakar-Djibouti) ainsi que le masque Bwa surmonté d'un serpent (cf. Musée du Quai Branly, 73.1962.6.1), seules images sculptées de l'animal. Selon Jacqueline Delange, ce dernier se retrouve plus fréquemment représenté sur les objets de petites dimensions tels que "les coupes en bois peint des Nago par exemple, ou sur les bijoux en laiton des Lobi, Sénoufo ou Bamoun. Nous rencontrons également la figuration du serpent peinte sur de nombreuses cases ouest-africaines, ou bien encore intégrée dans une composition allégorique complexe comme certains éléments en bois sculpté du mobilier Bacongo ou de pièces d'architectures Bamoun-Bamiléké. Plus souvent nous la découvrirons suggérée par une ligne sinueuse, motif fidèle de tant de sculptures cultuelles Dogon et Bambara."
Bien que les statues en bois du serpent bansonyi nous fussent longtemps inconnues, l'importance de cet être mythique dans la cosmogonie Baga est attestée par de nombreux récits. En 1943, Béatrice Appia publia des dessins d'enfants illustrant des scènes de vie quotidienne de leurs villages. Sur ces images apparaissent la figure du serpent, posée sur la tête d'un unique porteur à l'aide d'une sorte de cage, le tout dissimulé sous un costume.