Lot Essay
LES CHARMES DE LA BONNE FORTUNE
par Bernard Dulon
Parmi les nombreux bwanga ou fétiches qu’utilisèrent autrefois les nganga (devins, tradi-praticiens) songye, il en existait d’un genre particulier qui surent se faire une place de choix au sein des icônes des arts de l’Afrique centrale : les mankishi (sing. nkishi). Il s’agit de statues anthropomorphes auxquelles on adjoint rituellement des charges magiques bishimba, insérées majoritairement au niveau de l’ombilic et du sommet du crâne1.
Les mankishi peuvent être répartis en deux catégories : les mankishi personnels et les mankishi communautaires. Les exemplaires de cette dernière catégorie, dont relève celui de la collection Périnet, se caractérisent par leur grande taille. Ils n’étaient pas à proprement parler des statues d’ancêtres, mais servaient d’intermédiaires entre les vivants et les défunts les plus vénérables, chefs honorables et notables prestigieux2. Ils jouaient également un rôle important pour la fertilité du groupe et la réincarnation des esprits bénéfiques, la protection et la guérison, la lutte contre la sorcellerie et enfin le succès martial.
Les mankishi communautaires étaient réalisés par un sculpteur et sacralisés par un nganga lors d’un rituel bien singulier attesté en différents endroits du pays songye. Lorsque la statue était achevée elle était placée de nuit auprès d’un feu, le seul autorisé dans tout le village le temps de l’opération, afin d’inviter les esprits à s’y réchauffer et à favoriser la pratique du devin pour la consécration des bishimba et la transformation de la sculpture en nkishi. Les nganga disposant des pouvoirs nécessaires à cette activation n’était pas très nombreux car l’acquisition de cette compétence se payait au prix fort. Étroitement liés à leur nganga, certains nkishi pouvaient décliner à leur décès. Devenus inutiles, ils étaient abandonnés.
Le nkishi communautaire était conservé dans un sanctuaire auquel était attaché un gardien, le nkunja, qui pouvait être un vieil homme ou une vieille femme. Par l’intermédiaire de transe ou de messages oniriques, le nkunja recevait les messages des forces s’exprimant au travers du nkishi et les transmettait au village.
Lors des cérémonies de nouvelle lune, on sortait le grand nkishi et on pouvait le placer sur un siège de chef. On lui offrait, en guise d’offrandes pour les ancêtres, des libations d’huile de palme, du sang et de la viande de coq, afin de recharger ses forces. Lors de cette cérémonie, les possesseurs de petits mankishi personnels pouvaient les apporter afin qu’ils profitent eux-aussi de cette revitalisation.
De nombreuses sources historiques indiquent que les Songye étaient particulièrement renommés pour leur connaissance dans l’art des mankishi et que certains grands exemplaires furent utilisés par des populations étrangères hors du territoire songye.
Le somptueux nkishi de la collection Périnet relève stylistiquement de la région Songye-Kalebwe. Son visage harmonieux évoque les traits des plus beaux masques de la confrérie du bwadi-bwa-kifwebe. Il est vrai que dans cette région la cérémonie de ressourcement nocturne d’un grand nkishi s’accompagnait d’une sortie de ces masques, dépositaires d’une forme de magie bénéfique, le buci.
1Selon certaines hypothèses, la ou les cornes figées au sommet du crâne ou dans le ventre des nkishi ne seraient pas tant des bishimba que des bwanga indépendants dont la force s’ajouterait à celle du nkishi
2Un nkishi pouvait porter comme nom personnel celui d’un de ces importants personnages du passé
THE CHARMS OF GOOD FORTUNE
by Bernard Dulon
Among the many bwanga or fetishes once used by the nganga (clairvoyants, traditional spiritual healers) of the Songye people, there is a specific type that earned a place of choice for itself among the icons of Central African art: mankishi (singular: nkishi). They are anthropomorphic statues to which bishimba, or magically significant ingredients, were ritually attached: generally inserted into the navel or top of the head1.
Mankishi can be divided into two categories: personal mankishi and community mankishi. The examples from the second category, including the one from the Périnet collection, are characteristically large. They were not statues of ancestors, strictly speaking, but rather intermediaries between living people and the most venerable among the deceased: honourable chiefs and prestigious notables2. They also played an important role in the group’s fertility and the reincarnation of beneficial spirits, protection and healing, resistance to evil witchcraft, and success in combat.
Community mankishi were crafted by a sculptor and made sacred by a nganga through a very special ritual observed in different locations throughout Songye country. When the statue was fully sculpted, it would be placed near a fire by night, the only entity authorised to remain in the village during this operation, in order to invite the spirits to come warm themselves and to foster the divination practices for the consecration of the bishimba and the transformation of the sculpture into a nkishi. The nganga believed to have the powers necessary for this activation were uncommon, and their services were very expensive. Certain mankishi, closely related to their nganga, could go into decline following the death of the healer. They would become useless and be abandoned.
The community nkishi was kept in a sanctuary guarded by a nkunja, who could be an old man or an old woman. Through trances or dream visions, the nkunja received messages from the forces expressing themselves through the nkishi and passed them along to the village.
During new moon ceremonies, the great nkishi was taken out, and could be placed on a chief ’s throne. It was given libations of palm oil and blood, as well as rooster meat, as offerings for the ancestors to recharge its forces. During this ceremony, those who possessed personal mankishi could bring them so that they too could benefit from the replenishment.
A number of historical sources indicate that the Songye were particularly renowned for their knowledge in the art of mankishi, and that certain great examples were used by foreign populations outside of the Songye territory.
The opulent nkishi of the Périnet collection stylistically belongs to the Songye-Kalebwe region. The features of its harmonious face evoke those of the most extraordinary masks of the bwadi-bwa-kifwebe fraternity. It is true that in this region, during the nocturnal replenishment ceremony of a great nkishi, these masks were also brought out, since they were thought to hold a form of beneficial magic called buci.
1According to certain theories, the horn or horns that appear at the top of the head or in the abdomen of a nkishi are not so much bishimba as independent bwanga which reinforce the power of the nkishi
2A nkishi could be personally named after one of the important people of the past
par Bernard Dulon
Parmi les nombreux bwanga ou fétiches qu’utilisèrent autrefois les nganga (devins, tradi-praticiens) songye, il en existait d’un genre particulier qui surent se faire une place de choix au sein des icônes des arts de l’Afrique centrale : les mankishi (sing. nkishi). Il s’agit de statues anthropomorphes auxquelles on adjoint rituellement des charges magiques bishimba, insérées majoritairement au niveau de l’ombilic et du sommet du crâne1.
Les mankishi peuvent être répartis en deux catégories : les mankishi personnels et les mankishi communautaires. Les exemplaires de cette dernière catégorie, dont relève celui de la collection Périnet, se caractérisent par leur grande taille. Ils n’étaient pas à proprement parler des statues d’ancêtres, mais servaient d’intermédiaires entre les vivants et les défunts les plus vénérables, chefs honorables et notables prestigieux2. Ils jouaient également un rôle important pour la fertilité du groupe et la réincarnation des esprits bénéfiques, la protection et la guérison, la lutte contre la sorcellerie et enfin le succès martial.
Les mankishi communautaires étaient réalisés par un sculpteur et sacralisés par un nganga lors d’un rituel bien singulier attesté en différents endroits du pays songye. Lorsque la statue était achevée elle était placée de nuit auprès d’un feu, le seul autorisé dans tout le village le temps de l’opération, afin d’inviter les esprits à s’y réchauffer et à favoriser la pratique du devin pour la consécration des bishimba et la transformation de la sculpture en nkishi. Les nganga disposant des pouvoirs nécessaires à cette activation n’était pas très nombreux car l’acquisition de cette compétence se payait au prix fort. Étroitement liés à leur nganga, certains nkishi pouvaient décliner à leur décès. Devenus inutiles, ils étaient abandonnés.
Le nkishi communautaire était conservé dans un sanctuaire auquel était attaché un gardien, le nkunja, qui pouvait être un vieil homme ou une vieille femme. Par l’intermédiaire de transe ou de messages oniriques, le nkunja recevait les messages des forces s’exprimant au travers du nkishi et les transmettait au village.
Lors des cérémonies de nouvelle lune, on sortait le grand nkishi et on pouvait le placer sur un siège de chef. On lui offrait, en guise d’offrandes pour les ancêtres, des libations d’huile de palme, du sang et de la viande de coq, afin de recharger ses forces. Lors de cette cérémonie, les possesseurs de petits mankishi personnels pouvaient les apporter afin qu’ils profitent eux-aussi de cette revitalisation.
De nombreuses sources historiques indiquent que les Songye étaient particulièrement renommés pour leur connaissance dans l’art des mankishi et que certains grands exemplaires furent utilisés par des populations étrangères hors du territoire songye.
Le somptueux nkishi de la collection Périnet relève stylistiquement de la région Songye-Kalebwe. Son visage harmonieux évoque les traits des plus beaux masques de la confrérie du bwadi-bwa-kifwebe. Il est vrai que dans cette région la cérémonie de ressourcement nocturne d’un grand nkishi s’accompagnait d’une sortie de ces masques, dépositaires d’une forme de magie bénéfique, le buci.
1Selon certaines hypothèses, la ou les cornes figées au sommet du crâne ou dans le ventre des nkishi ne seraient pas tant des bishimba que des bwanga indépendants dont la force s’ajouterait à celle du nkishi
2Un nkishi pouvait porter comme nom personnel celui d’un de ces importants personnages du passé
THE CHARMS OF GOOD FORTUNE
by Bernard Dulon
Among the many bwanga or fetishes once used by the nganga (clairvoyants, traditional spiritual healers) of the Songye people, there is a specific type that earned a place of choice for itself among the icons of Central African art: mankishi (singular: nkishi). They are anthropomorphic statues to which bishimba, or magically significant ingredients, were ritually attached: generally inserted into the navel or top of the head1.
Mankishi can be divided into two categories: personal mankishi and community mankishi. The examples from the second category, including the one from the Périnet collection, are characteristically large. They were not statues of ancestors, strictly speaking, but rather intermediaries between living people and the most venerable among the deceased: honourable chiefs and prestigious notables2. They also played an important role in the group’s fertility and the reincarnation of beneficial spirits, protection and healing, resistance to evil witchcraft, and success in combat.
Community mankishi were crafted by a sculptor and made sacred by a nganga through a very special ritual observed in different locations throughout Songye country. When the statue was fully sculpted, it would be placed near a fire by night, the only entity authorised to remain in the village during this operation, in order to invite the spirits to come warm themselves and to foster the divination practices for the consecration of the bishimba and the transformation of the sculpture into a nkishi. The nganga believed to have the powers necessary for this activation were uncommon, and their services were very expensive. Certain mankishi, closely related to their nganga, could go into decline following the death of the healer. They would become useless and be abandoned.
The community nkishi was kept in a sanctuary guarded by a nkunja, who could be an old man or an old woman. Through trances or dream visions, the nkunja received messages from the forces expressing themselves through the nkishi and passed them along to the village.
During new moon ceremonies, the great nkishi was taken out, and could be placed on a chief ’s throne. It was given libations of palm oil and blood, as well as rooster meat, as offerings for the ancestors to recharge its forces. During this ceremony, those who possessed personal mankishi could bring them so that they too could benefit from the replenishment.
A number of historical sources indicate that the Songye were particularly renowned for their knowledge in the art of mankishi, and that certain great examples were used by foreign populations outside of the Songye territory.
The opulent nkishi of the Périnet collection stylistically belongs to the Songye-Kalebwe region. The features of its harmonious face evoke those of the most extraordinary masks of the bwadi-bwa-kifwebe fraternity. It is true that in this region, during the nocturnal replenishment ceremony of a great nkishi, these masks were also brought out, since they were thought to hold a form of beneficial magic called buci.
1According to certain theories, the horn or horns that appear at the top of the head or in the abdomen of a nkishi are not so much bishimba as independent bwanga which reinforce the power of the nkishi
2A nkishi could be personally named after one of the important people of the past