Lot Essay
Cette spectaculaire pendule se distingue notamment par ses dimensions monumentales et par la richesse de son iconographie. Elle se caractérise aussi par la passionnante inscription sculptée dans le marbre au revers de la base qui indique le nom (Deliau) et l'adresse (24 rue de la Barillerie) de l'auteur de ce chef d'oeuvre de l'horlogerie de la fin du XVIIIe siècle. De surcroit, elle nous donne une datation précise (1796).
La vie et l'oeuvre de Deliau restent malheureusement bien méconnues. Il était installé dans l'actuel boulevard du Palais, sur l'île de la Cité. Signalons que c'est là que fût élevée, vers 1370, la première horloge publique de Paris. Ce quartier abrita à partir de la seconde moitié du XVIII© siècle (puis au XIXe siècle) de nombreux ateliers d'horlogers. A l'époque où Deliau était actif, on trouve notamment un certain Lebeauvallet au numéro 36 et un peu plus loin un certain Pierre-Honoré Pons.
L'iconographie de cette pendule peut paraître surprenante. Certes les pendules à figure de Diane sont fréquentes à cette époque. Le thème du triomphe d'Amphitrite, quant à lui, est également fréquent. En revanche l'association de Diane et de l'apothéose des divinités marines semble inédite.
La pendule porte la date de sa commande, 1796, ce qui peut, au premier abord, étonner. Pourtant, nombreux sont les récits et documents d'archives de l'époque qui viennent rendre compte de la permanence d'une vie mondaine et intellectuelle, très active, alors que la société française est déstabilisée et qu'elle subit une mutation historique. Que ce soit le Journal de Gouverneur Morris, ambassadeur de Washington à Paris, rival de Talleyrand, ou les mentions révélées par George Poisson sur les ateliers du Louvre en pleine période révolutionnaire (La Grande Histoire du Louvre, Perrin, Paris, 2013), le milieu auquel devait appartenir le commanditaire de notre pendule peut s'imaginer. Cette pendule peut avoir été l'objet d'une commande d'un amateur étranger à une époque, où malgré les circonstances, les artisans parisiens continuaient à créer des chefs d'oeuvre dans la continuité de la tradition "pré-révolutionnaire". A l'exemple de Deliau, un certain nombre d'artisans surent passer le cap de cette époque ; on peut par exemple mentionner l'ébéniste Adam Weisweiler, le bronzier Pierre-Philippe Thomire.
La singularité du modèle, la qualité de ses matériaux, la monumentalité de sa composition, évoque certes une oeuvre de commande ; elle témoigne également de l'enrichissement du goût français sous l'influence d'une clientèle étrangère et notamment anglaise, à la fin du XVIIIe siècle.
La présence de la signature de Deliau au revers de la base, gravée fièrement dans le marbre, est inattendue. Elle surprend d'autant plus que la mention de sa profession -horloger- est explicite. Elle témoigne de son rôle central dans la création de ce chef d'oeuvre.
Cette double signature -cadran et base- nous plonge dans l'histoire tourmentée de l'exercice du métier d'artisan à la fin de l'Ancien Régime. Celui-ci avait été longtemps régenté par la suprématie des corporations. Corps privilégié dont le roi avait homologué les statuts lui déléguant notamment un monopole d'exercice de son activité, la corporation s'érigeait en personnalité juridique indépendante dotée de statuts et de règlements. La charge de Jurande, attribuée par élection à deux ou quatre anciens, permettait aux jurés de faire respecter aux membres de la corporation les règlements du corps et surtout de contrôler le bon respect des frontières entre les différentes corporations. On évitait ainsi que des métiers voisins ne puissent outrepasser leurs droits de fabrication et empiéter sur leurs monopoles respectifs. De ce fait de nombreux procès de mitoyenneté furent intentés comme en témoigne le célèbre exemple de l'ébéniste Charles Cressent et ses interminables combats avec fondeurs et doreurs (cf. par exemple Alexandre Pradère, Charles Cressent, Editions Faton, Dijon, 2003, p. 32-36).
Ce système se fissure cependant progressivement à partir du dernier quart du XVIIIème siècle ; corporations et jurandes sont définitivement supprimées par la loi Le Chapelier de 1791 qui insuffle un vent de liberté dans les pratiques créatives des gens de métier. Il fut dès lors "libre à tout citoyen de faire tel commerce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'il trouvera bon après s'être pourvu d'une patente et en avoir acquitté le prix" (cf. Jean-Michel Gourden, Gens de Métier & Sans-Culottes, les artisans dans la Révolution, Creaphis, Paris, 2002, p. 121).
Ainsi, quelques années après ce changement législatif, l'horloger Deliau, signe-t-il de son nom le marbre sculpté, témoignant de la riche interpénétration des disciplines permise par la Révolution Française.
Le bas-relief qui orne la base de cette pendule est emblématique du goût pour le triomphe marin qui anime le XVIIIème siècle finissant. Il représente le Triomphe d'Amphitrite et sa composition évoque à n'en point douter le célèbre bas-relief de Clodion conservé à Copenhague au Statens Museum (cf. Cat. expo., Clodion, 1738-1814, Musée du Louvre, 1992, pp. 181-183.) et les différentes interprétations qu'il inspira. Les différentes créatures marines et l'élan donné au sujet semblent illustrer presque littéralement la description du triomphe d'Amphitrite donnée par Fénelon dans Les Aventures de Télémaque publié en 1699 et sans cesse reprise par les artistes du XVIIIème siècle tels que le peintre Natoire, Clodion ou Joseph-Charles Marin : "Nous aperçûmes des dauphins, couverts d'une écaille qui paraissait d'or et d'azur [...] Après eux venaient des tritons qui sonnaient de la trompette avec leurs conques recourbées [...], le char de la déesse Amphitrite était une conque d'une merveilleuse figure [...] une troupe de nymphes couronnées de fleurs nageait en foule derrière le char [...] Une grande voile flottait dans les cieux au-dessus du char ; elle était à demi enflée par le souffle d'une multitude de petits zéphyrs qui s'efforçaient de la pousser par leur haleine" (Les Aventures de Télémaque, livre IV, Venise, 1768, pp. 80-81).
La vie et l'oeuvre de Deliau restent malheureusement bien méconnues. Il était installé dans l'actuel boulevard du Palais, sur l'île de la Cité. Signalons que c'est là que fût élevée, vers 1370, la première horloge publique de Paris. Ce quartier abrita à partir de la seconde moitié du XVIII© siècle (puis au XIXe siècle) de nombreux ateliers d'horlogers. A l'époque où Deliau était actif, on trouve notamment un certain Lebeauvallet au numéro 36 et un peu plus loin un certain Pierre-Honoré Pons.
L'iconographie de cette pendule peut paraître surprenante. Certes les pendules à figure de Diane sont fréquentes à cette époque. Le thème du triomphe d'Amphitrite, quant à lui, est également fréquent. En revanche l'association de Diane et de l'apothéose des divinités marines semble inédite.
La pendule porte la date de sa commande, 1796, ce qui peut, au premier abord, étonner. Pourtant, nombreux sont les récits et documents d'archives de l'époque qui viennent rendre compte de la permanence d'une vie mondaine et intellectuelle, très active, alors que la société française est déstabilisée et qu'elle subit une mutation historique. Que ce soit le Journal de Gouverneur Morris, ambassadeur de Washington à Paris, rival de Talleyrand, ou les mentions révélées par George Poisson sur les ateliers du Louvre en pleine période révolutionnaire (La Grande Histoire du Louvre, Perrin, Paris, 2013), le milieu auquel devait appartenir le commanditaire de notre pendule peut s'imaginer. Cette pendule peut avoir été l'objet d'une commande d'un amateur étranger à une époque, où malgré les circonstances, les artisans parisiens continuaient à créer des chefs d'oeuvre dans la continuité de la tradition "pré-révolutionnaire". A l'exemple de Deliau, un certain nombre d'artisans surent passer le cap de cette époque ; on peut par exemple mentionner l'ébéniste Adam Weisweiler, le bronzier Pierre-Philippe Thomire.
La singularité du modèle, la qualité de ses matériaux, la monumentalité de sa composition, évoque certes une oeuvre de commande ; elle témoigne également de l'enrichissement du goût français sous l'influence d'une clientèle étrangère et notamment anglaise, à la fin du XVIIIe siècle.
La présence de la signature de Deliau au revers de la base, gravée fièrement dans le marbre, est inattendue. Elle surprend d'autant plus que la mention de sa profession -horloger- est explicite. Elle témoigne de son rôle central dans la création de ce chef d'oeuvre.
Cette double signature -cadran et base- nous plonge dans l'histoire tourmentée de l'exercice du métier d'artisan à la fin de l'Ancien Régime. Celui-ci avait été longtemps régenté par la suprématie des corporations. Corps privilégié dont le roi avait homologué les statuts lui déléguant notamment un monopole d'exercice de son activité, la corporation s'érigeait en personnalité juridique indépendante dotée de statuts et de règlements. La charge de Jurande, attribuée par élection à deux ou quatre anciens, permettait aux jurés de faire respecter aux membres de la corporation les règlements du corps et surtout de contrôler le bon respect des frontières entre les différentes corporations. On évitait ainsi que des métiers voisins ne puissent outrepasser leurs droits de fabrication et empiéter sur leurs monopoles respectifs. De ce fait de nombreux procès de mitoyenneté furent intentés comme en témoigne le célèbre exemple de l'ébéniste Charles Cressent et ses interminables combats avec fondeurs et doreurs (cf. par exemple Alexandre Pradère, Charles Cressent, Editions Faton, Dijon, 2003, p. 32-36).
Ce système se fissure cependant progressivement à partir du dernier quart du XVIIIème siècle ; corporations et jurandes sont définitivement supprimées par la loi Le Chapelier de 1791 qui insuffle un vent de liberté dans les pratiques créatives des gens de métier. Il fut dès lors "libre à tout citoyen de faire tel commerce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'il trouvera bon après s'être pourvu d'une patente et en avoir acquitté le prix" (cf. Jean-Michel Gourden, Gens de Métier & Sans-Culottes, les artisans dans la Révolution, Creaphis, Paris, 2002, p. 121).
Ainsi, quelques années après ce changement législatif, l'horloger Deliau, signe-t-il de son nom le marbre sculpté, témoignant de la riche interpénétration des disciplines permise par la Révolution Française.
Le bas-relief qui orne la base de cette pendule est emblématique du goût pour le triomphe marin qui anime le XVIIIème siècle finissant. Il représente le Triomphe d'Amphitrite et sa composition évoque à n'en point douter le célèbre bas-relief de Clodion conservé à Copenhague au Statens Museum (cf. Cat. expo., Clodion, 1738-1814, Musée du Louvre, 1992, pp. 181-183.) et les différentes interprétations qu'il inspira. Les différentes créatures marines et l'élan donné au sujet semblent illustrer presque littéralement la description du triomphe d'Amphitrite donnée par Fénelon dans Les Aventures de Télémaque publié en 1699 et sans cesse reprise par les artistes du XVIIIème siècle tels que le peintre Natoire, Clodion ou Joseph-Charles Marin : "Nous aperçûmes des dauphins, couverts d'une écaille qui paraissait d'or et d'azur [...] Après eux venaient des tritons qui sonnaient de la trompette avec leurs conques recourbées [...], le char de la déesse Amphitrite était une conque d'une merveilleuse figure [...] une troupe de nymphes couronnées de fleurs nageait en foule derrière le char [...] Une grande voile flottait dans les cieux au-dessus du char ; elle était à demi enflée par le souffle d'une multitude de petits zéphyrs qui s'efforçaient de la pousser par leur haleine" (Les Aventures de Télémaque, livre IV, Venise, 1768, pp. 80-81).