Lot Essay
Cette importante statue masculine Bangwa est généralement considérée comme le compagnon de la célèbre "Reine" Bangwa, ayant appartenu à Helena Rubinstein, immortalisée par Man Ray et aujourd'hui dans les collections du musée Dapper à Paris.
Elles furent acquises au même moment au Cameroun par Gustave Conrau entre 1898 et 1899. Dans les années 1920, les deux figures quittèrent les collections du musée de Berlin suite à un échange avec Arthur Speyer. La "Reine" fut acquise par le grand marchand parisien Charles Ratton qui l'aurait vendue à Helena Rubinstein. Lors de la dispersion de sa collection en 1966, elle fut achetée par Harry Franklin. La statue royale masculine resta dans la famille Speyer jusqu'aux années 1960, lorsqu'ils l'offrirent à la famille Franklin pour reconstituer la paire.
Commentaire de Bettina von Lintig, octobre 2009 :
"Il existe de nos jours au Cameroun neuf petits royaumes Bangwa continuant à se développer dont le royaume Fontem où ce lot a été acquis. Ces royaumes étaient dirigés par un chef très influent, placé au sommet de la hiérarchie royale, parfois appelé "Roi" ou "Fon". Au XIXe siècle, les dirigeants Bangwa et leurs sujets avaient créé un vaste réseau commercial s'étendant des régions forestières à la savane et jusqu'à sur la côte. Le premier homme blanc à pénétrer dans le royaume Fontem était un allemand nommé Gustav Conrau. Cependant au moment de sa venue, le Fon Bangwa et ses sujets avaient déjà été en contact avec des marchandises européennes (considérées comme des objets de luxe) grâce à leurs activités économiques élaborées.
Le couvre-chef de cette "statue royale commémorative" est un chapeau en coton crocheté multicolore dont la forme est maintenue à l'intérieur par un morceau de bambou, la partie arrière de la tête est arrondie et les oreilles sont prononcées. L'expression vivante est rendue par le traitement légèrement asymétrique des deux parties du visage. La bouche grande ouverte, comme s'il se préparait à parler ou à chanter, montre des dents triangulaires, le nez expressif, les grands yeux en amande et le front en arc de cercle (comme celui de la Reine Bangwa) donnent une encore plus grande présence à cette pièce. Le cou est orné d'une parure stylisée représentant probablement un collier de perles de verre et de dents de léopard, les épaules sont arrondies et puissantes. Le "Roi" porte des ornements de bras et de chevilles et tient une calebasse dans sa main droite. Les pieds du "Roi" ressemblent aux pattes d'un prédateur. Ce qui est très original par rapport aux autres oeuvres Bangwa où l'on ne retrouve pas cette position féline et ce mouvement du corps. Il est possible que ces pattes de léopard reprennent les croyances répandues dans les Grasslands : les individus possédant des grands pouvoirs ont un double animal.
Le "Roi Bangwa" était une oeuvre commandée par un souverain pour représenter un personnage spécifique. Comme les portraits, les sculptures de ce type s'attachent moins à la ressemblance physique qu'à la description précise d'un rang dans la société qui comprend les couvre-chefs, les attributs de prédateurs, comme les dents ou peaux de léopard, les ornements en ivoire ou en métal et la calebasse contenant du vin de palme. De tels insignes étaient réservés aux notables masculins ou féminins. Dans le royaume Bangwa, une figure telle que la nôtre faisait partie des signes d'honneurs et des symboles des "Lefem", comme également les doubles gongs en fer. Les "Lefem", décrient parfois comme la "société gong", étaient une association de pairs. Lors de leurs réunions, rituels ou banquets, les "statues royales commémoratives" étaient disposées en bosquet sacré. Lorsqu'elles n'étaient pas utilisées, elles étaient conservées dans une cabane reliquaire, dans le grenier de la maison d'une femme ou dans un autre endroit difficile d'accès. A l'époque précoloniale, elles étaient surveillées par un gardien et placées dans une cabane à l'intérieur d'un espace boisé près de la maison d'un notable.
Les "statues royales commémoratives" n'étaient pas toujours associées directement au culte des ancêtres, mais contribuaient plus largement à la continuité de la communauté. La plupart du temps, les sculptures étaient réalisées du vivant de l'homme ou de la femme représenté. Les ancêtres décédés étaient ensuite régulièrement appelés par les membres de la société Bangwa et restaient ainsi très présents dans la société. Leurs crânes étaient préservés dans des réceptacles en bois ou en argile et placés dans des châsses ou des cabanes. Les oeuvres des sculpteurs ayant travaillés pour les notables de la société Bangwa sont considérés aujourd'hui comme les plus impressionnantes et expressives de l'art "tribal" africain. C'est le cas pour notre "Roi" qui à mon avis a été réalisé par le même artiste que la "Reine Bangwa", de nombreux détails, ainsi que le mouvement et le pas de danse qu'ils exécutent confirment cette attribution.
Les artistes travaillaient sans croquis, et avaient dans leur tête l'image de la figure qu'ils souhaitaient créer. Avec ses outils, qui consistaient en une machette et divers ciseaux, le sculpteur laissait des signes de son oeuvre. Une fois terminée elle était frottée avec différentes feuilles, imprégnée d'huile de palme et fumée au dessus d'un feu de bois vert jusqu'à obtenir une patine brun-noir. L'iconographie des statues Lefem était définie mais on remarque une grande liberté artistique parmi les groupes Bangwa.
Le premier homme blanc à pénétrer dans cette région était un allemand nommé Gustav Conrau. Il y séjourna pendant plusieurs mois et rapporta en 1898 ou 1899 la statue d'un souverain Bangwa ou d'un Roi qui resta plus de vingt ans dans le musée Völkerkunde de Berlin (Inv.Nr.III C -1051 8.). Cette statue fut acquise par Arthur Speyer en 1926, probablement grâce à un échange avec d'autres objets, et passa du monde muséal au marché de l'art. (D'après les anciens inventaires du musée, cinq objets auraient été acquis par Speyer entre 1926 et 1929). A l'époque, l'arrivée de nombreux objets ethnographiques qui n'étaient pas encore considérés comme des oeuvres d'art permettait de tels échanges.
Etant également un ethnologue amateur, Conrau nota l'utilisation du mot "Ataingu" comme nom du "Roi", que l'on retrouve également dans l'inventaire du musée de Berlin de Volkerkunde. C'est un terme collectif dans le langage local pour désigner des statues et des masques. Il écrivit aussi "Manyon-main gauche cassée" (III C 10529) comme note pour la "Reine Bangwa". Dans sa correspondance avec l'ethnologue du musée de Berlin Felix von Luschan datée du 1er octobre 1899 (Acta Africa, Vol. 21), il écrit que le plus haut responsable, le Fontem Assunganyi, lui donna la permission d'acheter des sculptures aux habitants des royaumes Bangwa en échange de généreux cadeaux. Il déclare dans sa lettre que les objets en question sont très anciens et il ajoute que le Fontem Assunganyi préférait des sculptures recouvertes de perles.
Seule une poignée d'oeuvres exceptionnelles de cette région peut être comparée à notre remarquable statue.
Elles furent acquises au même moment au Cameroun par Gustave Conrau entre 1898 et 1899. Dans les années 1920, les deux figures quittèrent les collections du musée de Berlin suite à un échange avec Arthur Speyer. La "Reine" fut acquise par le grand marchand parisien Charles Ratton qui l'aurait vendue à Helena Rubinstein. Lors de la dispersion de sa collection en 1966, elle fut achetée par Harry Franklin. La statue royale masculine resta dans la famille Speyer jusqu'aux années 1960, lorsqu'ils l'offrirent à la famille Franklin pour reconstituer la paire.
Commentaire de Bettina von Lintig, octobre 2009 :
"Il existe de nos jours au Cameroun neuf petits royaumes Bangwa continuant à se développer dont le royaume Fontem où ce lot a été acquis. Ces royaumes étaient dirigés par un chef très influent, placé au sommet de la hiérarchie royale, parfois appelé "Roi" ou "Fon". Au XIXe siècle, les dirigeants Bangwa et leurs sujets avaient créé un vaste réseau commercial s'étendant des régions forestières à la savane et jusqu'à sur la côte. Le premier homme blanc à pénétrer dans le royaume Fontem était un allemand nommé Gustav Conrau. Cependant au moment de sa venue, le Fon Bangwa et ses sujets avaient déjà été en contact avec des marchandises européennes (considérées comme des objets de luxe) grâce à leurs activités économiques élaborées.
Le couvre-chef de cette "statue royale commémorative" est un chapeau en coton crocheté multicolore dont la forme est maintenue à l'intérieur par un morceau de bambou, la partie arrière de la tête est arrondie et les oreilles sont prononcées. L'expression vivante est rendue par le traitement légèrement asymétrique des deux parties du visage. La bouche grande ouverte, comme s'il se préparait à parler ou à chanter, montre des dents triangulaires, le nez expressif, les grands yeux en amande et le front en arc de cercle (comme celui de la Reine Bangwa) donnent une encore plus grande présence à cette pièce. Le cou est orné d'une parure stylisée représentant probablement un collier de perles de verre et de dents de léopard, les épaules sont arrondies et puissantes. Le "Roi" porte des ornements de bras et de chevilles et tient une calebasse dans sa main droite. Les pieds du "Roi" ressemblent aux pattes d'un prédateur. Ce qui est très original par rapport aux autres oeuvres Bangwa où l'on ne retrouve pas cette position féline et ce mouvement du corps. Il est possible que ces pattes de léopard reprennent les croyances répandues dans les Grasslands : les individus possédant des grands pouvoirs ont un double animal.
Le "Roi Bangwa" était une oeuvre commandée par un souverain pour représenter un personnage spécifique. Comme les portraits, les sculptures de ce type s'attachent moins à la ressemblance physique qu'à la description précise d'un rang dans la société qui comprend les couvre-chefs, les attributs de prédateurs, comme les dents ou peaux de léopard, les ornements en ivoire ou en métal et la calebasse contenant du vin de palme. De tels insignes étaient réservés aux notables masculins ou féminins. Dans le royaume Bangwa, une figure telle que la nôtre faisait partie des signes d'honneurs et des symboles des "Lefem", comme également les doubles gongs en fer. Les "Lefem", décrient parfois comme la "société gong", étaient une association de pairs. Lors de leurs réunions, rituels ou banquets, les "statues royales commémoratives" étaient disposées en bosquet sacré. Lorsqu'elles n'étaient pas utilisées, elles étaient conservées dans une cabane reliquaire, dans le grenier de la maison d'une femme ou dans un autre endroit difficile d'accès. A l'époque précoloniale, elles étaient surveillées par un gardien et placées dans une cabane à l'intérieur d'un espace boisé près de la maison d'un notable.
Les "statues royales commémoratives" n'étaient pas toujours associées directement au culte des ancêtres, mais contribuaient plus largement à la continuité de la communauté. La plupart du temps, les sculptures étaient réalisées du vivant de l'homme ou de la femme représenté. Les ancêtres décédés étaient ensuite régulièrement appelés par les membres de la société Bangwa et restaient ainsi très présents dans la société. Leurs crânes étaient préservés dans des réceptacles en bois ou en argile et placés dans des châsses ou des cabanes. Les oeuvres des sculpteurs ayant travaillés pour les notables de la société Bangwa sont considérés aujourd'hui comme les plus impressionnantes et expressives de l'art "tribal" africain. C'est le cas pour notre "Roi" qui à mon avis a été réalisé par le même artiste que la "Reine Bangwa", de nombreux détails, ainsi que le mouvement et le pas de danse qu'ils exécutent confirment cette attribution.
Les artistes travaillaient sans croquis, et avaient dans leur tête l'image de la figure qu'ils souhaitaient créer. Avec ses outils, qui consistaient en une machette et divers ciseaux, le sculpteur laissait des signes de son oeuvre. Une fois terminée elle était frottée avec différentes feuilles, imprégnée d'huile de palme et fumée au dessus d'un feu de bois vert jusqu'à obtenir une patine brun-noir. L'iconographie des statues Lefem était définie mais on remarque une grande liberté artistique parmi les groupes Bangwa.
Le premier homme blanc à pénétrer dans cette région était un allemand nommé Gustav Conrau. Il y séjourna pendant plusieurs mois et rapporta en 1898 ou 1899 la statue d'un souverain Bangwa ou d'un Roi qui resta plus de vingt ans dans le musée Völkerkunde de Berlin (Inv.Nr.III C -1051 8.). Cette statue fut acquise par Arthur Speyer en 1926, probablement grâce à un échange avec d'autres objets, et passa du monde muséal au marché de l'art. (D'après les anciens inventaires du musée, cinq objets auraient été acquis par Speyer entre 1926 et 1929). A l'époque, l'arrivée de nombreux objets ethnographiques qui n'étaient pas encore considérés comme des oeuvres d'art permettait de tels échanges.
Etant également un ethnologue amateur, Conrau nota l'utilisation du mot "Ataingu" comme nom du "Roi", que l'on retrouve également dans l'inventaire du musée de Berlin de Volkerkunde. C'est un terme collectif dans le langage local pour désigner des statues et des masques. Il écrivit aussi "Manyon-main gauche cassée" (III C 10529) comme note pour la "Reine Bangwa". Dans sa correspondance avec l'ethnologue du musée de Berlin Felix von Luschan datée du 1er octobre 1899 (Acta Africa, Vol. 21), il écrit que le plus haut responsable, le Fontem Assunganyi, lui donna la permission d'acheter des sculptures aux habitants des royaumes Bangwa en échange de généreux cadeaux. Il déclare dans sa lettre que les objets en question sont très anciens et il ajoute que le Fontem Assunganyi préférait des sculptures recouvertes de perles.
Seule une poignée d'oeuvres exceptionnelles de cette région peut être comparée à notre remarquable statue.