Henry de MONTHERLANT (1895-1972). Volumineuse correspondance, en partie inédite, adressée à Jeanne Sandelion (1899-1976) entre 1926 et 1963. Elle comporte 233 lettres (dont 2 pneumatiques), 37 cartes postales, 6 billets, 3 télégrammes et 25 brouillons de lettres. Environ 450 pages de divers formats.
Vous avez vu que j’ai souvent pêché quelque chose dans vos lettres, que vous avez retrouvé dans mes ouvrages, et dans tout ce que vous me dites de la femme, je trouve mon bien, qui ressortira un jour sous qq. forme.
Henry de MONTHERLANT (1895-1972). Volumineuse correspondance, en partie inédite, adressée à Jeanne Sandelion (1899-1976) entre 1926 et 1963. Elle comporte 233 lettres (dont 2 pneumatiques), 37 cartes postales, 6 billets, 3 télégrammes et 25 brouillons de lettres. Environ 450 pages de divers formats.

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Henry de MONTHERLANT (1895-1972). Volumineuse correspondance, en partie inédite, adressée à Jeanne Sandelion (1899-1976) entre 1926 et 1963. Elle comporte 233 lettres (dont 2 pneumatiques), 37 cartes postales, 6 billets, 3 télégrammes et 25 brouillons de lettres. Environ 450 pages de divers formats.

Á ce remarquable ensemble s’ajoutent 200 lettres autographes signées de Jeanne Sandelion à Montherlant. Environ 850 pages de formats divers.
Provenance : Jeanne Sandelion (1899-1976) - SMAF (acquisition à l'hôtel Drouot, 12 décembre 1985).

Poétesse et romancière, Jeanne Sandelion doit surtout sa renommée à l’intérêt que lui portait Montherlant dont elle découvre l’œuvre en 1923. Leur rencontre a lieu à Alger en 1928. « Nous n’avions eu jusqu’alors que des rapports épistolaires très espacés et cérémonieux » précise-t-elle dans son essai Montherlant et les femmes (Plon, 1950). Elle y publiera 45 lettres très souvent censurées.
Follement éprise de l’écrivain - qui ne lui vouait qu’une amitié toute fraternelle - Jeanne Sandelion fut, avec Mathilde Pomès et Alice Poirier, l’un des modèles d’Andrée Hacquebaut.

De 1926 à 1963, avec bienveillance, verve et assiduité, Montherlant, tout en prodiguant ses conseils, évoque tour à tour son œuvre, ses voyages et ses états d’âme. Mais en octobre 1930, Montherlant refuse de rendre à Jeanne les lettres qu’elle lui avait adressées. Une brouille s’ensuit et leurs échanges épistolaires s’interrompent pendant quelques années. Ce n’est qu’en 1936, lors de la parution des Jeunes filles que leurs échanges reprennent.

La première lettre est datée du 11 janvier 1926. Montherlant y annonce la parution de son prochain roman, Les Bestiaires, qu’il porte dans ses « entrailles depuis une quinzaine d’années ». Il fait reprendre son article pour le publier dans les Cahiers libres et lui annonce son prochain « grand tour de la Méditerranée Occidentale (Espagne, Afrique, Italie) jusqu’à mai ou juin 1927. »

1927. « Je pense que le seul principe vrai est celui de l’alternance, et je mets mon espérance dans la certitude qu’il est impossible que l’état où je me trouve demeure éternellement… Je pense que pour le moment la seule façon de me distraire de moi-même est dans un abrutissement de travail. Mais je ne crois plus à mon travail […] ». Il promet de lui envoyer des épreuves de Fontaines du désir. (20 juin)
Quelque temps plus tard, dans une lettre non datée, Montherlant commente « sans flatterie » les poèmes de Jeanne : « Ils sont beaux. Ce ne sont pas des poèmes de littérateur mais de femme […] Les trois motifs que vous donnez de la crise : drame de la poésie, satiété, et égocentrisme sont exacts […] vous avez parfaitement raison d’écrire que je n’ai pu aimer les hommes que dans la guerre […] »


1928. « J’ai passé 3 semaines chez les Bédouins du Sud-Tunisien, et suis de retour à Alger pour 15 à 20 jours encore – Je ne vous ai que trop rapidement aperçue. J’y ai reçu de vous la lettre la plus ‘incorrigiblement femme’, où il m’a été impossible de comprendre si vous viendriez ou ne viendriez pas à un rendez-vous […] » (29 mai). Le 8 août suivant il lui confie : « J’ai souvent pêché quelque chose dans vos lettres, que vous avez retrouvé dans mes ouvrages, et dans tout ce que vous me dites de la femme, je trouve mon bien, qui ressortira un jour sous quelque forme. Depuis un an j’ai découvert une grande vérité. J’avais souvent dit et écrit que je pensais qu’il était peu utile qu’on vous rendît en amour ce qu’on donnait ; je crois aujourd’hui qu’il vaut mieux qu’on ne vous rende rien, du moins, quand on est un artiste et dans des cas singuliers. L’amour qu’on reçoit vous affaiblit et finit toujours par vous faire dévier […] on ne peut rien comprendre au monde si on juge homme et femme sur le même gabarit […] »

En route pour Fès, il commente le roman de Jeanne Sandelion et l’incite à le réécrire : « Que d’ardeur, de finesse, de profondeur, de vérité ! Non, pas du tout ‘jeune fille’ dans le mauvais sens du mot, mais dans ce qu’il a de charmant […] » À Alger, il revoit attentivement et corrige le manuscrit, puis le recommande à des éditeurs dont Plon : "Vous avez tort de croire que ce besoin de servir dans le sens noble, si féminin – le dienen ! dienen ! de Kundry – ne puisse pas s’employer avec moi. Vous m’avez déjà apporté beaucoup. Et je n’ai ni cette puissance, ni ces certitudes, ni cette sécurité – ni tant d’amis – que je ne sois heureux de sentir quelques êtres sûrs, sur lesquels à l’occasion je puisse m’appuyer […] De votre côté, vous sentez mon estime, ma sympathie et ma curiosité de vous. Je crois vous comprendre assez – votre solitude et vos difficultés, […] j’ai un peu passé par tout cela et je suis le moins invulnérable des hommes. Bardé et insensible d’un côté, de l’autre tout me blesse […] » (13 novembre).

1929. En janvier il a cédé son appartement d’Alger à Gide et part pour l’Espagne. « Quand on vit, on est dispersé, on ne consacre au travail que les heures perdues. Il faut renoncer à vivre pendant quelque temps, pour faire une œuvre (avec ce qu’on a vécu) » lui confie-t-il le 24 janvier.
À son retour à Paris, il examine le contrat pour la publication de son roman (L’Âge où l’on croit aux îles) qu’il préfacera et qui paraîtra à La Renaissance du Livre. Il la met en garde ; « … N’attachez aucune importance à ce que vous disent les éditeurs qui disent n’importe quoi quand ils sont décidés à refuser. Les hommes vous diront toujours des bêtises sur votre livre, parce qu’ils ne sentent rien de rien et trouvent niais tout livre de femme qui est autre chose que de la sensation à la Colette ou Noailles […] » (lettre non datée).
L’écrivain lui confie conserver « précieusement » ses lettres, notes et réflexion dans « un dossier, auquel je me référerai le jour où je voudrai écrire sur le féminin… Je pêche toujours dans ce que vous m’écrivez ; disons en style sublime : vous m’enrichissez […] » (lettre non datée).
Jeanne Sandelion perd son père en juillet. Montherlant lui fait part de sa sympathie et lui confie : « que si vous sentiez auprès de cela quelque affreux détachement, songez que quand mourut ma jeune mère (trente-huit ans ; j’en avais dix-neuf), je sentis cette effroyable indifférence, contre laquelle je ne pouvais rien ; et j’étais lié avec elle comme avec une sœur. Ce n’est que plus tard que la peine me vint. Cette sécheresse est inexplicable : si les gens étaient francs ils avoueraient qu’auprès de la mort d’un ‘être cher’, ils la sentent très souvent […] » (lettre non datée [juillet]). Il évoque alors la disparition de Paul Souday qui l’a bouleversé.

Le 26 août, il lui adresse sa préface et lui explique dans quel esprit il l’a écrite. « Je sens bien le tragique de votre existence. Le malheur des femmes… je vous conseille de sortir de votre solitude en faisant une bêtise, n’importe laquelle, rien que pour remuer la vie, et créer l’aventure… je ne comprends rien à votre pudeur de la chair […] »

1930. C’est l’année lancement du roman de Jeanne Sandelion, Boris Godounov, aux Concerts Pasdeloup. Cette année-là Montherlant se plaint à plusieurs reprises des jeunes filles et des femmes qui le pourchassent : « Mes 34 ans m’ont valu la lettre d’une jeune fille très bien [Alice Poirier] qui se décide ‘après deux ans’, à me dire tout de go qu’il est temps que je l’épouse. Je lui ai répondu, en propres termes, par lettre : Plutôt le cancer ou la tuberculose. Voyez où peut mener l’impatience d’être aimé. Oui, j’aimerais cent et mille fois mieux que vous ne m’aimiez pas. […] Et cela pour toutes. Cela devient une véritable tragédie. A tel point que bien plus – j’en arrive à prendre en horreur les femmes qui, sans m’aimer, me désirent absolument. (Excusez ces termes indiscrets : mais quoi, vous êtes femmes de lettres, et devez tout savoir). Je suis exaspéré quand je vois l’amour dans les yeux d’une femme, pour moi. Je trouve cela ridicule. La barbe ! Je n’aime et ne désire que les femmes qui ont vis-à-vis de moi une complète indifférence du cœur et des sens. Savez-vous qu’il y a là un cas très curieux ? Plus que jamais l’idéal est pour moi une femme qui simplement se laisse faire – passive. Même pas les gestes qu’arrache le plaisir. Extrême justesse du mot de Romier sur l’homme qui se suffit. Elles m’envahissent, veulent me tirer à elles. Quelle mainmise! Elles m’assomment. Nausée de la femme… Impossibilité d’avoir simplement une calme amitié, camaraderie, avec une femme. Il faut qu’on se jette sur elles. Sinon on est un goujat. Quel embêtement d’être l’amant d’une femme ! Quels chichis ! Quel empoisonnement de toute de la vie ! Quel margouillis sentimental ! Que ne peut-on supprimer ce sexe de la terre, et puisqu’il faut en avoir, avoir des enfants par des moyens chimiques après avoir pris une pilule ou s’être fait faire une opération […] Je vous assure, j’envie les pédérastes. Je connais bien les jeunes garçons. Jamais ils ne sont accrochants, envahissants, dévorants comme les femmes. Je connais, naturellement, beaucoup de pédérastes, puisque à peu près tout le monde l’est parmi les littérateurs jeunes et de talent… les garçons rendent peu l’amour qu’on leur donne ; et nous en revenons à l’idéal de l’amour non rendu […] » (lettre non datée).

Cette discussion, sur la « supériorité de l’amour sans réciprocité » se poursuit à bâtons rompus dans les lettres suivantes. Le 13 mai, dans une longue lettre, il critique sévèrement le nouveau roman de Jeanne Sandelion (Le Songe). Celle-ci a d’ailleurs sévèrement et rageusement annoté de sa main les propos de Montherlant. Puis le ton s’envenime lorsque Montherlant refuse de lui rendre les lettres qu’il a reçues d’elle. Il juge cet usage « bourgeois déjà ridicule quand il y en a eu l’ombre, mais qui serait tout à fait extraordinaire quand il n’y en a pas eu l’ombre […]» (21 mai).

1936. Après cette brouille, la correspondance reprend à l’occasion de la parution des Jeunes fille. Montherlant, assailli par ses modèles, accuse : « la vraie Andrée Hacquebaut est furieuse contre vous. A tout ou à raison, cette femme, qui m’aime beaucoup est fière d’avoir inspiré Andrée, et outrée qu’on veuille lui ravir ce qu’elle considère comme un honneur. Elle dit que vous êtes un imposteur… Elle voulait écrire à un journal pour se nommer, et fournir les preuves les plus probantes que c’était elle Andrée. Je l’en ai énergiquement dissuadée. Mais je n’ai pu empêcher qu’une amie commune, Melle Alice Poirier, qui a été au courant de toutes mes relations avec la vraie Andrée, n’écrivît pour se porter garant et affirmer ‘de la façon la plus catégorique ’que la vraie Andrée n’était pas là où on la cherchait… Je me suis inspiré de qq. épisodes de nos relations, comme je l’ai fait à dix, ou vingt, ou trente personnes… vous usurpez dans un but publicitaire, un rôle que vous n’avez pas eu […] » (2 octobre).
Plusieurs lettres témoignent de l’acharnement de Jeanne Sandelion à ce sujet tandis que Montherlant ne cesse de lui assener qu’elle n’est pas « l’Andrée principale » (5 octobre).

1938. Après avoir attendu en vain Jeanne dans un restaurant, Montherlant la sermonne : « Je suis quelqu’un non pas qui pardonne, mais oublie - réellement – les pires désobligeances. Mais je ne suis pas quelqu’un à qui on pose des lapins, que ce soit par oubli, désinvolture, ou bêtise … Vous aviez prévu une 3e brouille ; je n’y songeais guère ; mais il paraît que vous y tenez. Adieu donc […] » (23 février). Cette lettre est en partie reprise dans Les Lépreuses (Lettre de Pierre Costals à Andrée Hacquebaut du 26 septembre 1928).

1939. Aux critiques acerbes qu’il brosse du nouveau roman de Jeanne, qualifié de « folle prairie, pleine de gentilles fleurs perdues dans les ronces, les niais herbages, et probablement les bouses de vaches », s’ajoutent les sempiternelles disputes à propose du modèle d’Andrée Hacquebaut. « J’ai cherché les ‘pages entières de vos lettres’ que j’aurais mises dans mon roman. J’ai trouvé pour les 600 pp. des J.F. et de Pitié une phrase d’une de vos lettres […] »

1947. Tout entier pris par la préparation du Maître de Santiago, Montherlant s’occupe de trouver un éditeur pour la réédition du roman de Jeanne Sandelion. Il met au point l’édition de Malatesta et travaille avec acharnement, pendant l’été à son roman Les Garçons. « J’ai gardé une puissance de travail énorme et intacte. Et il n’y a que cela qui me fasse plaisir, ça et faire l’amour […] » (21 août).

1948. Les lettres évoquent tour à tour la création et la genèse du Maître de Santiago et la reprise de La Reine Morte. « […] J’ai écrit d’abord Fils de Personne sous forme de roman (mieux ou pis : sous forme de journal) : cela avait plus de 200 pages. Quand j’en ai fait une pièce, j’ai ‘tout enlevé’, il est resté 80 pages, - et j’ai détruit le roman […] » (25 avril). S’y ajoute une très belle lettre sur Marie Noël « seul poète français qui [le] touche ». « Il y a deux grands bonshommes de lettres aujourd’hui, et ces deux bonshommes sont des femmes : Colette et elle […] »

1949. Montherlant est dans les répétions de Demain il fera jour et projette d’écrire Celles qu’on prend dans ses bras : « Ce sera mon adieu pour longtemps, au théâtre, qui vous disperse trop, et vous détourne trop de ce que les chrétiens nomment la contemplation […] » (5 avril).
Il encourage Jeanne Sandelion à écrire sur lui. « Songez que tout ce que j’écris est source de malentendus ; les uns involontaires, les autres non. Oui, je me suis déchargé de toute ma misogynie avec les J.F., et mon théâtre est, si on veut, ce livre que je rêvais d’écrire dans l’appendice des Lépreuses, où la femme serait supérieure à l’homme […] » (24 août). Puis il distille, dans une longue lettre du 8 novembre 1949, de nombreuses précisions sur le modèle de Solange Dandillot. Il refuse catégoriquement de supprimer des lettres du livre : « j’ai assez prévenu, publiquement, en 36, que les gens qui ne veulent pas se retrouver dans les romans n’ont qu’à ne pas fréquenter les romanciers […] » (13 juin).

De 1950 à 1963, la correspondance se poursuit, tout aussi riche et intense : la préparation du livre de Jeanne Sandelion, Montherlant et les femmes, discussions sur le mensonge, la misogynie, création de Malatesta, genèse et répétitions de Port-Royal, révision de ses romans pour La Pléiade, l’échec de Don Juan, etc.
Le 6 janvier 1959, il confesse à Jeanne avoir supprimé, dans les Jeunes Filles, « plusieurs passages qui pouvaient paraître désobligeants pour vous, même s’ils ne vous concernaient pas en réalité […] ». Puis, le 2 février suivant, Montherlant raconte comment il a renoncé à 18 ans « à ce qui me faisait le plus envie au monde – m’engager – pour ne pas faire souffrir ma mère […] ma mère a été ma meilleure amie durant toute mon adolescence […] ».
En 1962, la santé de Montherlant décline,
« Si j’écrivais aujourd’hui Les Jeunes Filles, j’y dirais que la femme me paraît avoir beaucoup plus d’énergie que l’homme […] » (19 juillet).

Cette exceptionnelle correspondance est complétée par plus de 200 longues et belles lettres autographes de Jeanne Sandelion à Montherlant (de 1926 à 1929 et de 1946 à 1963). Fourmillant de détails et de commentaires sur l’œuvre et la personnalité l’écrivain, elles viennent enrichir considérablement cette longue aventure épistolaire.

Manuscrits du Moyen-?ge et manuscrits modernes: la collection de manuscrits des assureurs français, Paris, 2001 (exposition, Bibliothèque nationale de France), pp. 252-258.

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