Henry de MONTHERLANT (1895-1972). 122 lettres autographes signées, 30 cartes postales ou billets, adressés à Alice Poirier de 1928 à 1963. Environ 200 pages in-4 ou in-8. Parmi elles, une photo de l’écrivain avec la mention autographe : « Montherlant s’en va-t-en guerre. Pour que Melle Poirier sache qu’il y a une seconde photo de moi où je rigole. Celle-ci a été prise à l’Ecole militaire le jour de mon départ pour les armées ». Plusieurs lettres portent une datation d’une autre main à l’encre rouge.
… le mariage officiel, jamais. Plutôt la tuberculose ou le cancer… Les femmes sont surtout intéressantes, quand elles écrivent, quand elles parlent avec jaillissement…
Henry de MONTHERLANT (1895-1972). 122 lettres autographes signées, 30 cartes postales ou billets, adressés à Alice Poirier de 1928 à 1963. Environ 200 pages in-4 ou in-8. Parmi elles, une photo de l’écrivain avec la mention autographe : « Montherlant s’en va-t-en guerre. Pour que Melle Poirier sache qu’il y a une seconde photo de moi où je rigole. Celle-ci a été prise à l’Ecole militaire le jour de mon départ pour les armées ». Plusieurs lettres portent une datation d’une autre main à l’encre rouge.

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Henry de MONTHERLANT (1895-1972). 122 lettres autographes signées, 30 cartes postales ou billets, adressés à Alice Poirier de 1928 à 1963. Environ 200 pages in-4 ou in-8. Parmi elles, une photo de l’écrivain avec la mention autographe : « Montherlant s’en va-t-en guerre. Pour que Melle Poirier sache qu’il y a une seconde photo de moi où je rigole. Celle-ci a été prise à l’Ecole militaire le jour de mon départ pour les armées ». Plusieurs lettres portent une datation d’une autre main à l’encre rouge.
714 lettres autographes signées d’Alice Poirier à Montherlant et 14 brouillons autographes de l’écrivain complètent ce remarquable ensemble.
Provenance : Alice Poirier (1900-?) -- SMAF (acquisition à l'hôtel Drouot, 12 juin 1984).

IMPORTANTE CORRESPONDANCE À L’UNE DES « JEUNES FILLES », MODÈLE D’ANDRÉE HACQUEBAUT. En 1968, dans des notes communiquées à Pierre Sipriot, qu’il avait désigné comme son biographe, Montherlant dévoile les noms des trois modèles d’André Hacquebaut : Jeanne Sandelion, Mathilde Pomès et Alice Poirier. Dans ces lettres, au ton plus intime que celles adressées à Jeanne Sandelion (voir lot 37), Montherlant livre sans détour sa conception de l’amour. Il clame sans relâche son horreur du mariage, ce redoutable et dévastateur « hippogriffe » tant nuisible à son œuvre.

Depuis leur première rencontre à la Bibliothèque nationale, avec ténacité la jeune fille poursuit l’écrivain n’ayant qu’une ambition en tête: l’épouser. Ainsi que le fera Andrée Hacquebaut avec Pierre Costals, elle l’accable de lettres. La publication des Jeunes Filles en 1936, puis de Pitié pour les femmes, Le Démon du bien et Les Lépreuses, ne calmera pas son ardeur. En 1950, Montherlant met un terme à cette volumineuse et étouffante relation épistolaire.

1928. Il la remercie pour des fleurs. « […] Mon prochain livre de poèmes sera dédié à toutes les femmes qui m’ont offert des fleurs […] » (30 juillet). Dans une carte postale envoyée d’Alger le 13 novembre, il lui confie être « excité à la pensée que puissiez écrire qqchose sur moi ! ».

1929. « […] Ma gloire ?! Je vous dirais : ‘Vous êtes folle ! si j’osais. Je n’ai ni la gloire, ni son ombre, et je m’en moque. Je l’aurai peut-être après ma mort, ce qui est encore pire. La gloire posthume est le coup de pied à la postérité […] » (20 juin). Quelques jours plus tard, il lui prodigue ses conseils sur la thèse qu’elle prépare sur les idées artistiques de Chateaubriand et critique sévèrement ses écrits: « […] Rien ne vaut que le travail qui vient d’inspiration. Pour ma part, je quitte aussitôt un travail où je sens que ‘ça ne roule’ Vous feriez mieux de choisir un point précis de ma ‘personnalité’ et de le presser comme un citron […] » (carte postale du 12 octobre).

1930. « […] Je ne crois pas en Dieu, mais, chaque jour, je trouve une minute de quoi croire en lui, pr le remercier de m’avoir fait échapper au mariage. Et, d’ailleurs, qui vous dit que je ne suis pas marié ? Plutôt dix fois qu’une, si le maire n’y a pas passé. Mais le mariage officiel, jamais. Plutôt la tuberculose ou le cancer […] » (15 mai). Le 6 juillet, Montherlant s’inquiète et la met en garde : « votre amitié pour moi glisse vers des sentiments plus exaltés et tout à fait sans issue […] n’attendez rien de moi, que la sympathie que j’ai toujours portée à votre intelligence et à votre caractère […] » Il accepte cependant de la voir avant son départ pour le Maroc : « Mais, pour l’amour de Dieu, pas de sentimentalité […] J’aimerais mieux mourir abandonné dans une île déserte, qu’être ‘aimé’ de qui que ce soit au monde […] » (21 juillet).

1931. Montherlant est en Algérie : « […] Mon prochain roman, en deux volumes, La Rose de Sable, va déchaîner la colère et la calomnie […] Je crois que la générosité n’a rien à voir avec aucune doctrine politique, le communisme y compris […] l’idée d’Etat est exclusive de l’idée de générosité […] » (24 avril). Tandis qu’il relit « lentement » sa thèse, il la rassure et lui confie avoir « été non seulement recalé – avec plusieurs zéros – à ma 1re année de droit, mais également, la 1re fois, à l’oral de ma philo, examens qui l’un et l’autre sont passés haut la main par tous les petits imbéciles de France […] » (13 juin).
« J’ai lu le Nietzsche Merci. Mais c’est un livre très médiocre […] poursuit-il. Le nudisme c’est un faux et trois fois faux paradoxe, malgré ses apparences distinguées, que celui qui veut qu’un corps entièrement nu soit moins désirable qu’à ½ vêtu. Croyez que j’ai une gde expérience de tout cela. Le nu n’a nullement besoin d’être intégral pr être esthétique non plus qu’hygiénique […] Je ne crois pas en Dieu, et moins encore aux prêtres. Mais : 1- L’Evangile est tout de même une grande chose. 2- Quand la spiritualité disparaît de partout, il faut bien reconnaître que l’Eglise est un de ses derniers refuges […] ». Puis il l’admoneste sévèrement: « Qu’est-ce que c’est que ces idées de mariages? Comment diable vous êtes-vous fourré cela dans la tête ? […] J’aimerais mieux mourir, que me marier […] » (5 septembre).

1932. De Fez, le 6 janvier : « […] J’ai écrit 600 pages de la Rose de sable, sur 700 environ. Mais je n’écris qu’à mes moments perdus. J’ai mieux à faire […] Vous avez, je crois un peu trop vécu dans les livres […] ». Le 4 août, d’Alger, il confesse combien la Rose de sable le tourmente : « Est-ce bien le moment de jeter la pierre à l’œuvre de mon pays ? Je suis cruellement écartelé entre des devoirs différents, et maudis d’avoir choisi jadis ce sujet […] ».
Cette année-là, il s’apprête à publier ses souvenirs de guerres, Mors et Vita. « […] On me voit toujours piaffant et ‘cavalier’, et je suis toujours emprisonné par des scrupules […] » (2 octobre).
Peu de temps avant son retour à Paris, il redit à Alice combien ses idées sur le mariage lui « semblent un peu naïves ». Il lui rappelle la phrase de Melle de Lespinasse ; « Le mariage, éteignoir de tout ce qui est grand » et tente une mise au point pour la convaincre : « Le mariage aux médiocres. Il faut bien continuer l’espèce. Le célibat à ceux des hommes qui ont quoi que ce soit, à faire ou à dire, d’un peu important. Célibat indispensable. Des maîtresses auxquelles on ne tient pas. Mariage, hélas, pour les femmes, et, je crois pour toutes les femmes […] Que faire, alors, quand on est une femme d’élite ? Epouser un homme d’élite, et ne s’occuper que de le trouver […] Pour moi – je ne me marierai jamais […] » (14 novembre).

1933. Les lettres d’Alice, « pleines de folies » l’exaspèrent. « […] N’oubliez pas que nous sommes sur le plan amitié. Le plan amour m’assomme, et me semble ridicule […] » lui écrit-il le 11 février. Une semaine plus tard, il tente, une fois de plus, de lui faire comprendre que le mariage n’est pas pour lui. « […] Alors quoi ? La liaison ? Vous voulez que je vous fasse en enfant sans vous épouser ? (en fait de mots ténus, hum…) Ces grosses bêtises ne se font d’ordinaire que dans un entrainement de passion, qu’il faut bénir le ciel de n’avoir pas […] Je croyais, j’espérais que vous étiez totalement dépourvue de ces rêveries vulgaires… je vous répéterai que voici des années – près de neuf ans – que ma décision est fermement prise, de ne pas me marier […] » (28 février).

1934. « […] Bien entendu, je suis Coriolan ! Mais sûrement, je ne succomberai pas aux larmes d’une mère, et moins encore d’une épouse. Et probablement je ne trahirai pas. Mais il y a tant de raisons de trahir ! Sans doute, je ne me vois pas allant offrir mes services au 2e bureau allemand. Mais il y a une défiance et une désaffection que l’on éprouve pour ses compatriotes qui est aussi grave que l’acte de Coriolan […] » (2 février).
Cette année paraît Les Célibataires, grand prix de littérature de l’Académie française. Les réflexions d’Alice Poirier l’irritent et il lui reproche son absence de jugement ((24 avril).
Puis ressurgit l’hippogriffe du mariage qu’il lui ordonne de reconduire à l’écurie. « […] L’amitié des jeunes filles est une vache (‘génisse’ serait bien mieux) attachée, qui broute inlassablement son rond d’herbe autour de son piquet […] ».
D’Alger, le 28 décembre, il annonce la prochaine parution des Jeunes Filles « tout recouvert de l’ombre de l’Hippogriffe. On parlera d’ailleurs de Lui, avec les exécrations nécessaires et rituelles ».

1935. « L’hippogriffe, comme l’anguille, rentre donc sous roche. Parfait ! […] Mais vous errez en disant qu’il a inspiré mes J. filles. Je me suis contenté, l’été dernier, de le lancer, comme dans un fourré, à travers le livre déjà écrit (en 30) […] » (10 janvier).
« Le grand bonheur de ma vie, écrit-il le 13 mars, c’est de savoir – d’une conscience permanente - que je ne suis pas marié. Savez-vous le titre du roman qui suivra les J. filles ? Au bord de l’abîme. L’abîme, c’est le mariage. J’y raconte mes fiançailles et défiançailles perpétuelles […]».

1936. Avec sévérité Montherlant juge le manuscrit qu’elle lui a soumis lui reprochant son manque d’intrigue et cette « enfilade de notations et de descriptions ». « Si vous aviez un pouvoir créateur, vous pourriez sûrement faire un roman de vos relations (si on peut dire) avec moi […] œuvre qui serait le roman d’une jeune fille qui vit dans un autre monde que la réalité, et pcq. elle n’a jamais rencontré d’hommes, prend pour des manifestations d’amour les traits les plus insignifiants du premier homme avec qui elle est en relations, croit qu’il songe à l’épouser […] Il y a aurait là un roman très intéressant à faire, et qui serait facile […] » (1er mars).
Quelques mois plus tard, il évoque l’autre « concurrente » d’Alice : « J’ai reçu de nombreuses lettres de Melle Sandelion, qui me dit que tout cela est pour exploiter le scandale. Car elle a écrit un roman sur moi, qu’elle ne peut pas arriver à placer […] » (2 octobre).

1937. « Vous m’avez écrit des lettres si ridicules avec vos menaces de coups de revolver, et autres choses qui montrent toujours votre constant ‘à côté’ de la réalité, que je ne suis pas senti le courage de vous répondre [...] » (14 mars). À la fin de l’année, le 19 décembre : « Vous êtes plus maline comme rat de bibliothèque (merci pr les fiches) et comme philosophe (vos pensées m’intéressent beaucoup) que comme romancière, où vous ne valez pas gd chose. J’irai mercredi à la B. N. […] »

1938. Montherlant reconnaît « une certaine influence » de Nietzsche sur lui (9 juin). « […] Reçu invitation officielle comme ‘invité d’honneur’ du Führer à Nüremberg. Je lui serai présenté. Ai encore refusé, car je voudrais être mieux au courant de la res germanica que je ne le suis. Mais promis pr l’an prochain (mon roman fini) […] »

1939. « Les Français trouvent l’Equinoxe [L’Equinoxe de septembre, publié en décembre 1938] trop hitlérien […] mon éditeur allemand en est épouvanté, craint qu’il ne reçoive pas la censure, et ne compromette le succès de tout mon œuvre en Allemagne ! » (21 janvier). Le 1er septembre, il confie que « Le monde n’aura la paix que lorsque le sublime emmerdeur Adolf sera déboulonné. C’est pourquoi je souhaite la guerre, pensant qu’il n’y a qu’elle qui le déboulonnera […] ».

1941. Le 23 juin, au lendemain de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, il lui adresse « le 1er jet de pages écrites d’après [ses] notes d’il y a un an, au moment de l’occupation ». « Je pensais que la France et l’Allemagne pourraient faire ensemble une croisade antichrétienne. Nous en sommes loin ! (je pense que, après les évènements d’hier, c’est une croisade chrétienne à laquelle elle va ns entraîner […] ». Quoiqu’il en soit, il désire poursuivre son essai, mais le « cœur n’y est plus » et sa seule préoccupation est que ce texte « ait une belle forme littéraire ».

Dans les lettres suivantes, il tente de placer chez Gallimard le livre d’Alice. Il évoque à plusieurs reprises Drieu La Rochelle dont il sollicite d’appui et se voit accuser de coucher avec Drieu ! (12 décembre).
Son agacement devant la « stupidité inouïe » de la jeune fille ne fait que croître.

1942 – 1949. Les lettres, la plupart relatives aux articles et livres d’Alice ainsi qu’aux traductions qu’il lui demande, sont de plus en plus brèves et empreintes d’une nervosité non dissimulée.
L’été 1947, Montherlant travaille aux Garçons : « […] par 35° dehors, je travaille de 8 ½ du matin à minuit ½ […] nu dans ma chambre, avec slip, ou même sans slip […] (20 août 1947).

1950. Le 19 janvier, excédé des « extravagances » de son amie, Montherlant exige un répit et pose « la condition formelle qu’il ne soit plus jamais question d’épousailles ». « J’ai été mille fois trop patient, écrit-il, de supporter que vous continuiez d’évoquer, malgré tout ce que je vous ai dit, cette insanité ridicule, qui ne m’a jamais traversé seulement l’esprit. Mettez-vous ceci dans la tête : la première fois que vous ferez une allusion, fût-ce la plus lointaine, à cette insanité, c’en sera fini à jamais entre nous [...] ».
Quelques mois plus tard, l’incorrigible Alice l’assaille à nouveau de ses « imbécilités nuptiales ». Le 2 mars : « à partir d’aujourd’hui, vous n’aurez plus jamais signe de vue de moi. Adieu ». Après cette rupture, Montherlant lui adressera deux autres lettres.

Cet ensemble est complété par la très volumineuse correspondance d’Alice Poirier à Montherlant : 714 lettres autographes dont de nombreuses annotées par Montherlant, et 4 feuillets dactylographiés de quelques lettres d’Alice à une amie, avec annotations de l’écrivain réutilisées dans les Jeunes filles.

Cette correspondance, en partie inédite, est d’une remarquable richesse pour la connaissance de l’écrivain et de son œuvre. Elle éclaire, d’un jour nouveau, la genèse des Jeunes filles. « La femme ? Un être qui racole et un être qui relance » (Montherlant, Les Lépreuses).

Quelques lettres ont été publiées en 1985 dans Lettres à une jeune fille au Cercle de l’inédit français avec une préface de Pierre Sipriot.

Manuscrits du Moyen-?ge et manuscrits modernes: la collection de manuscrits des assureurs français, Paris, 2001 (exposition, Bibliothèque nationale de France), pp. 259-264.

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