Lot Essay
Ilobu, petite ville Yoruba à la frontière orientale de l'ancien empire Oyo, possédait de nombreux autels dédiés aux orisa, les divinités du panthéon yoruba. Dans les années 1950 et 1960, alors qu'il enseignait à l'Université d'Ibadan, Ulli Beier voyagea beaucoup dans le sud-ouest du Nigeria. Sa femme, Susanne Wenger, et lui, parlaient couramment la langue des Yoruba d'Oyo, et avaient un profond respect pour leurs pratiques et croyances religieuses, ainsi que pour les compétences artistiques des sculpteurs, des tisserands et des musiciens qu'ils ont rencontré. Ils furent captivés par la sagesse, l'esprit et la richesse des traditions orales ainsi que par la splendeur des cérémonies.
A Ilobu, Beier visita de nombreux sanctuaires, y compris ceux placés dans le palais du roi, l'Oba de Ilobu, où il vit "Orisa Oba", la divinité adorée par le roi, aussi appelée orisa Erinle. Beier découvrit que les sanctuaires de "orisa Erinle" étaient présents dans presque tous les foyers, bien que les noms donnés à l'ancienne divinité varient beaucoup: Fayemi, Ondun, Asunara, Apala, Agbandada, Owala, Kuse, et d'autres. Ce n'était pas inhabituel ou distinctif d'Ilobu. Dans les années 70 et 80, on me donna plusieurs noms pour la même divinité dans les villages de Ila Orangun, une ville d'Igbomina Yoruba à cinquante ou soixante miles d'Ilobu. Les objets rituels étaient souvent similaires et les prières, oriki, contenaient des passages identiques. Les dates des festivités variaient de temps en temps, mais la référence à la divinité était clairement dédiée au même orisa: Shango, Ogun, Oshun, Eshu, Oko, Erinle et d'autres. Les adorateurs d'un autel reconnaissaient les différences de pratique et d'identité mais disaient simplement : "Ils le font comme ça!". Parfois, ces différences reprenaient les histoires, itan, d'un membre de la famille ou d'une personne importante que cette famille souhaitait célébrer.
Ulli Beier était un professeur méticuleux. Il posait des questions précises sur l'origine d'un sanctuaire, la signification des objets rituels, et les noms et les dates des sculpteurs des oeuvres qui ornaient un autel. Après avoir photographié un sanctuaire ou des objets qui avaient été déplacés afin qu'ils puissent être suffisamment clairs, Beier a souvent écrit: "Sculpteur et âge inconnu." Parfois, quelqu'un se souvenait que la sculpture était d'Ibadan ou d'une ville voisine, comme Oshogbo, Erin ou Ila-Orangun. Les objets voyageaient autant que les personnes déménageaient d'une ville à l'autre ou quand un sculpteur reconnu pour ses talents était chargé de réaliser une oeuvre pour l'autel du roi ou d'un chef d'un village voisin. Par exemple, on a trouvé sur l'autel du palais de Timi à Ede, trente ou quarante sculptures remarquables qui étaient l'oeuvre de sculpteurs de Ede et des villes alentour, dont Maku d'Erin (mort en 1927) ou son fils, Toibo (mort en 1937).
Puis il y avait les rares cas où on disait à Beier : "Sculpté à Erin par Maku vers 1900", "Sculpté à Ilobu. Sculpteur et âge inconnus". "... probablement sculpté par un des fils de Maku" Dans une autre note, le fils de Muku, Toibo, est cité comme étant le sculpteur. (Pour des oeuvres de Toibo voir Fagg et Pemberton, Yoruba Sculpture of West Africa, New York, 1982, pp.54-55 ; Thompson, Black Gods and Kings, Los Angeles, 1971, CH13, 39, 54-55). Encore une fois, à Ila-Orangun je fus confronté au même manque d'informations sur les sculpteurs, de même que Rosyln Walker dans ses recherches dans le sud de Ekiti sur le grand sculpteur, Olowe d'Ise, qui l'a conduit à intituler un de ses chapitres "Anonyme a un nom." Dans la plupart des villes yoruba, les sculpteurs, comme les musiciens, étaient respectés, car leur pouvoir résidait dans la crainte. Cependant, ce qui était important pour celui qui commandait une sculpture ou qui en héritait de ses aînés était l'objet rituel, et non le sculpteur en tant qu'artiste. Comme Chinua Achebe l'a écrit, les Africains ne collectionnent pas d'art ni ne créent des musées. Ils acquièrent des objets à des fins rituelles ou comme des signes de statut social ou de l'autorité politique. Un sculpteur peut être honoré en son temps et reconnu sur une génération ou deux, mais pas "collectionné".
Dans la région de Ilobu, Erin, Ede, et Oshogbo, il y avait des sculpteurs talentueux : Maku d'Erin, son fils, Toibo et Abogunde de Ede. Ils devinrent Les Anciens et les maîtres d'ateliers et attirèrent d'autres sculpteurs dont certains avec beaucoup de talent et d'autres qui se contentaient de couper le bois. Les études de Beier révèlent l'importance des sculptures d'autel et aussi le niveau d'excellence atteint par les maîtres sculpteurs.
La divinité principale à Ilobu était orisa Erinle et à Ede orisa Ogun. On raconte que les Yoruba orisa étaient des êtres humains mais compte tenu de leurs qualités et de leur renommée dans la vie, ils accédèrent au statut de divinités à leur décès. C'est aussi le cas pour les rois Yoruba aujourd'hui. Erinle et Ogun étaient tous les deux de célèbres chasseurs qui, en temps de guerre avaient protégé leurs villes avec talent et courage. Ogun est connu comme le dieu du fer et de la guerre et la divinité protectrice des chasseurs, des forgerons et des guerriers.
En tant que guerrier, Ogun peut s'empoisonner avec le sang au point qu'il se retourne contre ses propres disciples, et les tue. Erinle est le chasseur, le fournisseur de nourriture et de vie dans la rivière qui porte son nom. Ainsi, les sculptures des sanctuaires célébrant Erinle et Ogun portent la coiffure du chasseur, une tresse de cheveux à l'arrière de leur tête, portent la lance et montent le cheval du guerrier, et sont parfois accompagnés par un joueur de flûte annonçant la présence du chasseur-guerrier. Lorsqu'ils sont associé à une figure féminine, cette dernière porte un enfant sur son dos, sa coiffure est comme celle du chasseur, et, comme William Fagg l'observe "sa présence sculpturale [est] renforcée par le serpent couché au repos autour de son cou" .
Je pense que les sculptures présentées ici sont l'oeuvre de Maku d'Erin. Elles sont similaires à une paire photographiée par Beier à l'extérieur du sanctuaire Kuse dans Ilobu. Il affirme dans ses notes que les sculptures "sont pour Kuse recouvertes d'indigo." Toutefois, on ne connaissait pas le nom du sculpteur ou la date à laquelle elles ont été sculptées ou quand elles sont apparues sur l'autel de Kuse. Bien qu'étonnamment similaires, elles ne sont pas celles de Kuse. Il est clair que les sculptures du lot 279 n'ont pas été couvertes d'indigo, que la poudre de cam rouge qui couvre leurs corps, les vêtements, le cheval et l'enfant sur le dos de la mère est la couleur d'origine avec des touches supplémentaires de peinture blanche. Cela ne veut pas dire pour autant que les sculptures de Kuse et celles-ci n'ont pas été réalisées par Maku.
Une statue équestre illustre dans Drewal, Pemberton, et Abiodun, Yoruba: Nine Centuries of African Art and Thought (New York, 1989, fig.173) est attribuée à Maku. Dans presque tous les détails, on retrouve la même main que dans les sculptures présentées et de grandes similarités avec celles de l'autel de Kuse: le corps allongé du cavalier, le rapport entre la taille de la monture et celle de la tête du cavalier, les ornements de la tunique, la barbe du cavalier commençant à la base de l'oreille et suivant le bord du menton, la forme des oreilles, les yeux écarquillés et entourés de motifs rayonnants, et l'arrondi de son front. La statue équestre et la maternité sont manifestement l'oeuvre d'un Maître, quel qu'il soit.
Ouvrages de références:
Achebe, C. "Forward: The Igbo World and its Art" dans Cole, H., et Aniakor, C, Igbo Arts: Community and Cosmos, Los Angeles, 1984.
Beier, U., The Story of Sacred Wood Carvings from One Small Yoruba Town, dans une édition spéciale du "Nigerian Magazine", Lagos, 1957.
Beier, U., A Year of Sacred Festivals in One Yoruba Town, dans une édition spéciale du "Nigerian Magazine", Lagos, 1959.
Beier, U. et Gbadamosi, B., Yoruba Poetry, dans une édition spéciale de Black Orpheus, Ibadan, 1959.
Fagg, W., note descriptive dans le catalogue Christie's Londres, 22 juin 1981, lot 117
Jack Pemberton
A Ilobu, Beier visita de nombreux sanctuaires, y compris ceux placés dans le palais du roi, l'Oba de Ilobu, où il vit "Orisa Oba", la divinité adorée par le roi, aussi appelée orisa Erinle. Beier découvrit que les sanctuaires de "orisa Erinle" étaient présents dans presque tous les foyers, bien que les noms donnés à l'ancienne divinité varient beaucoup: Fayemi, Ondun, Asunara, Apala, Agbandada, Owala, Kuse, et d'autres. Ce n'était pas inhabituel ou distinctif d'Ilobu. Dans les années 70 et 80, on me donna plusieurs noms pour la même divinité dans les villages de Ila Orangun, une ville d'Igbomina Yoruba à cinquante ou soixante miles d'Ilobu. Les objets rituels étaient souvent similaires et les prières, oriki, contenaient des passages identiques. Les dates des festivités variaient de temps en temps, mais la référence à la divinité était clairement dédiée au même orisa: Shango, Ogun, Oshun, Eshu, Oko, Erinle et d'autres. Les adorateurs d'un autel reconnaissaient les différences de pratique et d'identité mais disaient simplement : "Ils le font comme ça!". Parfois, ces différences reprenaient les histoires, itan, d'un membre de la famille ou d'une personne importante que cette famille souhaitait célébrer.
Ulli Beier était un professeur méticuleux. Il posait des questions précises sur l'origine d'un sanctuaire, la signification des objets rituels, et les noms et les dates des sculpteurs des oeuvres qui ornaient un autel. Après avoir photographié un sanctuaire ou des objets qui avaient été déplacés afin qu'ils puissent être suffisamment clairs, Beier a souvent écrit: "Sculpteur et âge inconnu." Parfois, quelqu'un se souvenait que la sculpture était d'Ibadan ou d'une ville voisine, comme Oshogbo, Erin ou Ila-Orangun. Les objets voyageaient autant que les personnes déménageaient d'une ville à l'autre ou quand un sculpteur reconnu pour ses talents était chargé de réaliser une oeuvre pour l'autel du roi ou d'un chef d'un village voisin. Par exemple, on a trouvé sur l'autel du palais de Timi à Ede, trente ou quarante sculptures remarquables qui étaient l'oeuvre de sculpteurs de Ede et des villes alentour, dont Maku d'Erin (mort en 1927) ou son fils, Toibo (mort en 1937).
Puis il y avait les rares cas où on disait à Beier : "Sculpté à Erin par Maku vers 1900", "Sculpté à Ilobu. Sculpteur et âge inconnus". "... probablement sculpté par un des fils de Maku" Dans une autre note, le fils de Muku, Toibo, est cité comme étant le sculpteur. (Pour des oeuvres de Toibo voir Fagg et Pemberton, Yoruba Sculpture of West Africa, New York, 1982, pp.54-55 ; Thompson, Black Gods and Kings, Los Angeles, 1971, CH13, 39, 54-55). Encore une fois, à Ila-Orangun je fus confronté au même manque d'informations sur les sculpteurs, de même que Rosyln Walker dans ses recherches dans le sud de Ekiti sur le grand sculpteur, Olowe d'Ise, qui l'a conduit à intituler un de ses chapitres "Anonyme a un nom." Dans la plupart des villes yoruba, les sculpteurs, comme les musiciens, étaient respectés, car leur pouvoir résidait dans la crainte. Cependant, ce qui était important pour celui qui commandait une sculpture ou qui en héritait de ses aînés était l'objet rituel, et non le sculpteur en tant qu'artiste. Comme Chinua Achebe l'a écrit, les Africains ne collectionnent pas d'art ni ne créent des musées. Ils acquièrent des objets à des fins rituelles ou comme des signes de statut social ou de l'autorité politique. Un sculpteur peut être honoré en son temps et reconnu sur une génération ou deux, mais pas "collectionné".
Dans la région de Ilobu, Erin, Ede, et Oshogbo, il y avait des sculpteurs talentueux : Maku d'Erin, son fils, Toibo et Abogunde de Ede. Ils devinrent Les Anciens et les maîtres d'ateliers et attirèrent d'autres sculpteurs dont certains avec beaucoup de talent et d'autres qui se contentaient de couper le bois. Les études de Beier révèlent l'importance des sculptures d'autel et aussi le niveau d'excellence atteint par les maîtres sculpteurs.
La divinité principale à Ilobu était orisa Erinle et à Ede orisa Ogun. On raconte que les Yoruba orisa étaient des êtres humains mais compte tenu de leurs qualités et de leur renommée dans la vie, ils accédèrent au statut de divinités à leur décès. C'est aussi le cas pour les rois Yoruba aujourd'hui. Erinle et Ogun étaient tous les deux de célèbres chasseurs qui, en temps de guerre avaient protégé leurs villes avec talent et courage. Ogun est connu comme le dieu du fer et de la guerre et la divinité protectrice des chasseurs, des forgerons et des guerriers.
En tant que guerrier, Ogun peut s'empoisonner avec le sang au point qu'il se retourne contre ses propres disciples, et les tue. Erinle est le chasseur, le fournisseur de nourriture et de vie dans la rivière qui porte son nom. Ainsi, les sculptures des sanctuaires célébrant Erinle et Ogun portent la coiffure du chasseur, une tresse de cheveux à l'arrière de leur tête, portent la lance et montent le cheval du guerrier, et sont parfois accompagnés par un joueur de flûte annonçant la présence du chasseur-guerrier. Lorsqu'ils sont associé à une figure féminine, cette dernière porte un enfant sur son dos, sa coiffure est comme celle du chasseur, et, comme William Fagg l'observe "sa présence sculpturale [est] renforcée par le serpent couché au repos autour de son cou" .
Je pense que les sculptures présentées ici sont l'oeuvre de Maku d'Erin. Elles sont similaires à une paire photographiée par Beier à l'extérieur du sanctuaire Kuse dans Ilobu. Il affirme dans ses notes que les sculptures "sont pour Kuse recouvertes d'indigo." Toutefois, on ne connaissait pas le nom du sculpteur ou la date à laquelle elles ont été sculptées ou quand elles sont apparues sur l'autel de Kuse. Bien qu'étonnamment similaires, elles ne sont pas celles de Kuse. Il est clair que les sculptures du lot 279 n'ont pas été couvertes d'indigo, que la poudre de cam rouge qui couvre leurs corps, les vêtements, le cheval et l'enfant sur le dos de la mère est la couleur d'origine avec des touches supplémentaires de peinture blanche. Cela ne veut pas dire pour autant que les sculptures de Kuse et celles-ci n'ont pas été réalisées par Maku.
Une statue équestre illustre dans Drewal, Pemberton, et Abiodun, Yoruba: Nine Centuries of African Art and Thought (New York, 1989, fig.173) est attribuée à Maku. Dans presque tous les détails, on retrouve la même main que dans les sculptures présentées et de grandes similarités avec celles de l'autel de Kuse: le corps allongé du cavalier, le rapport entre la taille de la monture et celle de la tête du cavalier, les ornements de la tunique, la barbe du cavalier commençant à la base de l'oreille et suivant le bord du menton, la forme des oreilles, les yeux écarquillés et entourés de motifs rayonnants, et l'arrondi de son front. La statue équestre et la maternité sont manifestement l'oeuvre d'un Maître, quel qu'il soit.
Ouvrages de références:
Achebe, C. "Forward: The Igbo World and its Art" dans Cole, H., et Aniakor, C, Igbo Arts: Community and Cosmos, Los Angeles, 1984.
Beier, U., The Story of Sacred Wood Carvings from One Small Yoruba Town, dans une édition spéciale du "Nigerian Magazine", Lagos, 1957.
Beier, U., A Year of Sacred Festivals in One Yoruba Town, dans une édition spéciale du "Nigerian Magazine", Lagos, 1959.
Beier, U. et Gbadamosi, B., Yoruba Poetry, dans une édition spéciale de Black Orpheus, Ibadan, 1959.
Fagg, W., note descriptive dans le catalogue Christie's Londres, 22 juin 1981, lot 117
Jack Pemberton