Lot Essay
LE MASQUE NGIL VÉRITÉ
par Louis Perrois
On sait que les masques de type ngil des Fang du Gabon sont des objets rares et recherches, notamment ceux qui sont d’une provenance avérée. Ce masque au long nez acéré en ≪ lame ≫ et aux arcades sourcilières proéminentes, s’impose par son allure majestueuse et impressionnante. D'ancienneté évidente, on y retrouve une plastique épurée, constituée de plans et de courbes, caractéristique des productions traditionnelles des Fang. Le visage émacié est enduit de kaolin blanchâtre, la couleur symbolique des esprits du monde des morts. De part et d’autre du nez démesuré, aux ≪ ailes ≫ marquées, les yeux en amande mais aussi la bouche entrouverte sur des dents limées en pointe, confèrent au masque un air sévère, bien en rapport avec son rôle d’inquisiteur, en charge de la régulation sociale des villages, vers les années 1880-1900. Actif dans tout le Nord-Gabon et les contrées voisines de Guinée Equatoriale et du Sud-Cameroun, ce masque et les rites de justice coutumière dont il était l'emblème furent finalement interdits par l’administration coloniale vers 1920, en raison des multiples exactions commises au détriment des populations, mais peut-être aussi de la concurrence que cette justice autochtone, souvent expéditive et radicale voire partisane, faisait à l’ordre impose par les colons européens.
Au plan des marques décoratives, on remarque sur les joues deux excroissances en croissant en demi-lune (efa ngomendan selon Tessmann, 1913), en chéloïde, un motif rarement observe sinon par le Père Trilles lors de sa tournée dans le Nord-Gabon entre 1899 et 1901 puis G. Tessmann a l’occasion de ses travaux de terrain entre 1904 et 1907. Peut-être s’agit-il d’une marque identifiant un danseur particulier ?
Comme œuvre de comparaison, on peut citer le grand masque de la collection G. & F. Schindler, New York, 63,5 cm qui sera exposé au Musée du Quai Branly en octobre 2017 dans l’exposition ≪ Forêts natales, Arts de l’Afrique équatoriale atlantique ≫ . On y retrouve quelques traits caractéristiques tels que le haut front arque, les arcades sourcilières proéminentes au rebord peint d’un pigment noir, le nez très allonge en ≪ lame ≫ et une bouche aux dents acérées.
A noter que cette facture expressionniste et très simplifiée, est très efficace en termes d’effet dans un contexte de danse. Dans les années 1925-30 et même plus tard, ce type de masque du ngil, devenu interdit, conduira a une évolution vers un masque de signification moins tragique (du moins en apparence) connu sous les appellations de Bikeghe, Ndénéyong ou Ekekèk. Leur aspect caricatural évoquait sans qu’on y prenne garde quelques personnalités coloniales particulièrement craintes (reconnaissables à leur grand nez) qu’il fallait symboliquement neutraliser par des danses carnavalesques.
On sait aujourd’hui, après s'être penche sur leur véritable importance symbolique, que ces masques Fang, aujourd’hui si recherches comme une composante indispensable des collections d’art africain, étaient tout sauf des accessoires anodins malgré leurs formes épurées et gracieuses. Support de croyances liées à la puissance des esprits et à l’espoir de vaincre la mort, surtout celle provoquée
par les pratiques de sorcellerie, les masques du ngil évoquaient la constante liaison entre les vivants et les défunts.
par Louis Perrois
On sait que les masques de type ngil des Fang du Gabon sont des objets rares et recherches, notamment ceux qui sont d’une provenance avérée. Ce masque au long nez acéré en ≪ lame ≫ et aux arcades sourcilières proéminentes, s’impose par son allure majestueuse et impressionnante. D'ancienneté évidente, on y retrouve une plastique épurée, constituée de plans et de courbes, caractéristique des productions traditionnelles des Fang. Le visage émacié est enduit de kaolin blanchâtre, la couleur symbolique des esprits du monde des morts. De part et d’autre du nez démesuré, aux ≪ ailes ≫ marquées, les yeux en amande mais aussi la bouche entrouverte sur des dents limées en pointe, confèrent au masque un air sévère, bien en rapport avec son rôle d’inquisiteur, en charge de la régulation sociale des villages, vers les années 1880-1900. Actif dans tout le Nord-Gabon et les contrées voisines de Guinée Equatoriale et du Sud-Cameroun, ce masque et les rites de justice coutumière dont il était l'emblème furent finalement interdits par l’administration coloniale vers 1920, en raison des multiples exactions commises au détriment des populations, mais peut-être aussi de la concurrence que cette justice autochtone, souvent expéditive et radicale voire partisane, faisait à l’ordre impose par les colons européens.
Au plan des marques décoratives, on remarque sur les joues deux excroissances en croissant en demi-lune (efa ngomendan selon Tessmann, 1913), en chéloïde, un motif rarement observe sinon par le Père Trilles lors de sa tournée dans le Nord-Gabon entre 1899 et 1901 puis G. Tessmann a l’occasion de ses travaux de terrain entre 1904 et 1907. Peut-être s’agit-il d’une marque identifiant un danseur particulier ?
Comme œuvre de comparaison, on peut citer le grand masque de la collection G. & F. Schindler, New York, 63,5 cm qui sera exposé au Musée du Quai Branly en octobre 2017 dans l’exposition ≪ Forêts natales, Arts de l’Afrique équatoriale atlantique ≫ . On y retrouve quelques traits caractéristiques tels que le haut front arque, les arcades sourcilières proéminentes au rebord peint d’un pigment noir, le nez très allonge en ≪ lame ≫ et une bouche aux dents acérées.
A noter que cette facture expressionniste et très simplifiée, est très efficace en termes d’effet dans un contexte de danse. Dans les années 1925-30 et même plus tard, ce type de masque du ngil, devenu interdit, conduira a une évolution vers un masque de signification moins tragique (du moins en apparence) connu sous les appellations de Bikeghe, Ndénéyong ou Ekekèk. Leur aspect caricatural évoquait sans qu’on y prenne garde quelques personnalités coloniales particulièrement craintes (reconnaissables à leur grand nez) qu’il fallait symboliquement neutraliser par des danses carnavalesques.
On sait aujourd’hui, après s'être penche sur leur véritable importance symbolique, que ces masques Fang, aujourd’hui si recherches comme une composante indispensable des collections d’art africain, étaient tout sauf des accessoires anodins malgré leurs formes épurées et gracieuses. Support de croyances liées à la puissance des esprits et à l’espoir de vaincre la mort, surtout celle provoquée
par les pratiques de sorcellerie, les masques du ngil évoquaient la constante liaison entre les vivants et les défunts.