Lot Essay
UN HOMME-LÉZARD À BORD DE LA TOPAZE
par Michel Orliac
[…] La majeure partie des bois sculptés des collections actuelles provient de l’intérêt ou de la curiosité des marins et des officiers de la frégate Topaze. […] L’origine de ce dernier est attestée par une aquarelle du chirurgien du bord, John Linton Palmer, sur laquelle il écrivit « image bought at Easter Island 1868 ». C’est dire l’intérêt que présente cette sculpture acquise par l’un des descripteurs de l’île de Pâques les plus avisés.
Le moko Périnet appartient à la famille d’une petite cinquantaine de représentations d’entités dont la morphologie de lézard l’emporte sur les caractéristiques humaines : corps nettement courbé en avant, tête triangulaire, museau et bouche de reptile, abdomen renflé, longue queue effilée. Ces sinuosités expriment la fluidité du corps du reptile ; pour les traduire, le bois tortueux du toromiro a été choisi pour sculpter tous les moko (dix-huit) déterminés par Catherine Orliac. […] L’insistance apportée aux os des côtes et de la colonne vertébrale évoque le cadavre des défunts et l’ancestralité.
Le moko Périnet se distingue des autres membres de sa famille par le volume de son « melon » crânien, la morphologie de son nez et la présence, sous son maxillaire inférieur, d’un glyphe représentant un sexe féminin sculpté en très-bas-relief.
Le crâne des lézards est plat comme celui de tous les reptiles ; en revanche, celui de la plupart des moko forme une bosse hémisphérique plus ou moins volumineuse ressemblant au « melon » des cétacés (ce terme n’implique aucune parenté avec les mammifères marins). Le melon nu de la figurine Périnet est remarquable par son développement.
Comme celui des double pales rapa, le visage des moko se réduit parfois à la courbe des sourcils réunis en un nez aux narines parfois semblables à celles des humains ; le nez du moko Périnet ne présente pas de narines ; le dos (arête) de ce nez est curieusement dégagé par deux profondes incisions, unique exemple de ce procédé dans la famille des moko.
[…] Selon des témoignages tardifs, les moko seraient « des massues destinées a protéger l’entrée des maisons (Geiseler, 1882) ; et selon des informations encore plus récentes « ils auraient été […] brandis devant l’ennemi pour repousser ses attaques » ; « lors de l’inauguration d’une maison, les officiants agitaient les statuettes en mimant l’acte sexuel », « les images des hommes-lézards auraient été placées de part et d’autre de la porte pour en protéger l’entrée »1. Ces informations imprécises semblent désigner le redoutable moko comme un protecteur de la maison.
[…] Comme beaucoup de bois sculptés, le moko Périnet porte les vestiges d’un jus léger de teinture noire ; jamais renouvelée, cette teinture, effacée sur les arêtes, est préservée dans les creux. Tous ces indices témoignent d’une vie cérémonielle assez longue pour émousser tous les points saillants de la statuette et pour que la sculpture subisse des violences erratiques.
1Métraux, A., Ethnology of Easter Island, Honolulu, 1940, p. 265 ; ces propositions sont fausses : les moko ne présentent jamais les stigmates produits par une éventuelle fonction de « massues », par ailleurs peu redoutables par leur faible poids ; leur base pointue, absolument intacte, n’a jamais subi le contact d’un sol caillouteux
A LIZARDMAN ON BOARD OF THE TOPAZE
by Michel Orliac
[…] The majority of sculpted wood pieces in the current collections were claimed by the sailors and officers of the Topaze frigate, whether through interest or curiosity. […] The origin of the latter is attested by a watercolour of the naval surgeon of the expedition, John Linton Palmer, on which he wrote “image bought at Easter Island 1868”. This by itself is enough to raise interest in this sculpture, which was purchased by one of the best-informed describers of Easter Island.
The Périnet moko belongs to a small group of representations of entities featuring more prominent lizard characteristics than human ones: a body that clearly curved forward, a triangular head with a reptilian snout and mouth, a bulbous abdomen and a long tapered tail. These curves express the fluidity of the reptile body. To carve them, twisted toromiro wood was chosen for all (eighteen) of the moko sculptures scrutinised by Catherine Orliac. […] The emphasis placed on the ribs and backbone is evocative of cadavers and the ancestors.
The Périnet moko is distinctive from other members of this group for the size of the “melon” of its head, the morphology of its nose, and - under its lower jawbone - the presence of a glyph representing a vulva sculpted in very low relief.
The skull of a lizard, like that of any reptile, is flat; however, most moko heads have a more or less pronounced hemispheric hump resembling the “melon” of a cetacean (although this term does not imply any relationship with marine mammals). The bare melon of the Périnet figurine is remarkably developed.
Like those of the two-bladed rapa, moko faces are sometimes reduced to an eyebrow curve connected to a nose with nostrils that can sometimes resemble those of humans. The Périnet moko nose has no nostrils; the bridge of its nose is curiously slashed by two deep incisions, making it the only example featuring this process in the whole moko group.
[…] According to late testimonials, moko are “clubs designed to protect the entrances to houses” (Geiseler, 1882); and according to even more recent information, they would have been “[…] wielded before the enemy to drive away attacks”; “when inaugurating a house, the attending officials would move the statuettes about, mimicking the sexual act”; “the images of lizard-men were placed on either side of the door to protect the entrance”1. These vague informations appear to designate the powerful fearsome moko as a protector of the home.
[…] Like many sculpted wood figures, the Périnet moko bears the traces of a light black liquid dye. The dye, wiped from the edges, remains within the recesses. All these clues point at a rather long ceremonial life which dulled the prominent points of the statuette and subjected the sculpture to erratic minor damages.
1Métraux, A., Ethnology of Easter Island, Honolulu, 1940, p. 265; these statements are false: moko figures never show the wear that would be produced by their use as “clubs”, and moreover they are not very effective as weapons because of their light weight; the pointed base, absolutely intact, has never been subjected to contact with the rough ground
par Michel Orliac
[…] La majeure partie des bois sculptés des collections actuelles provient de l’intérêt ou de la curiosité des marins et des officiers de la frégate Topaze. […] L’origine de ce dernier est attestée par une aquarelle du chirurgien du bord, John Linton Palmer, sur laquelle il écrivit « image bought at Easter Island 1868 ». C’est dire l’intérêt que présente cette sculpture acquise par l’un des descripteurs de l’île de Pâques les plus avisés.
Le moko Périnet appartient à la famille d’une petite cinquantaine de représentations d’entités dont la morphologie de lézard l’emporte sur les caractéristiques humaines : corps nettement courbé en avant, tête triangulaire, museau et bouche de reptile, abdomen renflé, longue queue effilée. Ces sinuosités expriment la fluidité du corps du reptile ; pour les traduire, le bois tortueux du toromiro a été choisi pour sculpter tous les moko (dix-huit) déterminés par Catherine Orliac. […] L’insistance apportée aux os des côtes et de la colonne vertébrale évoque le cadavre des défunts et l’ancestralité.
Le moko Périnet se distingue des autres membres de sa famille par le volume de son « melon » crânien, la morphologie de son nez et la présence, sous son maxillaire inférieur, d’un glyphe représentant un sexe féminin sculpté en très-bas-relief.
Le crâne des lézards est plat comme celui de tous les reptiles ; en revanche, celui de la plupart des moko forme une bosse hémisphérique plus ou moins volumineuse ressemblant au « melon » des cétacés (ce terme n’implique aucune parenté avec les mammifères marins). Le melon nu de la figurine Périnet est remarquable par son développement.
Comme celui des double pales rapa, le visage des moko se réduit parfois à la courbe des sourcils réunis en un nez aux narines parfois semblables à celles des humains ; le nez du moko Périnet ne présente pas de narines ; le dos (arête) de ce nez est curieusement dégagé par deux profondes incisions, unique exemple de ce procédé dans la famille des moko.
[…] Selon des témoignages tardifs, les moko seraient « des massues destinées a protéger l’entrée des maisons (Geiseler, 1882) ; et selon des informations encore plus récentes « ils auraient été […] brandis devant l’ennemi pour repousser ses attaques » ; « lors de l’inauguration d’une maison, les officiants agitaient les statuettes en mimant l’acte sexuel », « les images des hommes-lézards auraient été placées de part et d’autre de la porte pour en protéger l’entrée »1. Ces informations imprécises semblent désigner le redoutable moko comme un protecteur de la maison.
[…] Comme beaucoup de bois sculptés, le moko Périnet porte les vestiges d’un jus léger de teinture noire ; jamais renouvelée, cette teinture, effacée sur les arêtes, est préservée dans les creux. Tous ces indices témoignent d’une vie cérémonielle assez longue pour émousser tous les points saillants de la statuette et pour que la sculpture subisse des violences erratiques.
1Métraux, A., Ethnology of Easter Island, Honolulu, 1940, p. 265 ; ces propositions sont fausses : les moko ne présentent jamais les stigmates produits par une éventuelle fonction de « massues », par ailleurs peu redoutables par leur faible poids ; leur base pointue, absolument intacte, n’a jamais subi le contact d’un sol caillouteux
A LIZARDMAN ON BOARD OF THE TOPAZE
by Michel Orliac
[…] The majority of sculpted wood pieces in the current collections were claimed by the sailors and officers of the Topaze frigate, whether through interest or curiosity. […] The origin of the latter is attested by a watercolour of the naval surgeon of the expedition, John Linton Palmer, on which he wrote “image bought at Easter Island 1868”. This by itself is enough to raise interest in this sculpture, which was purchased by one of the best-informed describers of Easter Island.
The Périnet moko belongs to a small group of representations of entities featuring more prominent lizard characteristics than human ones: a body that clearly curved forward, a triangular head with a reptilian snout and mouth, a bulbous abdomen and a long tapered tail. These curves express the fluidity of the reptile body. To carve them, twisted toromiro wood was chosen for all (eighteen) of the moko sculptures scrutinised by Catherine Orliac. […] The emphasis placed on the ribs and backbone is evocative of cadavers and the ancestors.
The Périnet moko is distinctive from other members of this group for the size of the “melon” of its head, the morphology of its nose, and - under its lower jawbone - the presence of a glyph representing a vulva sculpted in very low relief.
The skull of a lizard, like that of any reptile, is flat; however, most moko heads have a more or less pronounced hemispheric hump resembling the “melon” of a cetacean (although this term does not imply any relationship with marine mammals). The bare melon of the Périnet figurine is remarkably developed.
Like those of the two-bladed rapa, moko faces are sometimes reduced to an eyebrow curve connected to a nose with nostrils that can sometimes resemble those of humans. The Périnet moko nose has no nostrils; the bridge of its nose is curiously slashed by two deep incisions, making it the only example featuring this process in the whole moko group.
[…] According to late testimonials, moko are “clubs designed to protect the entrances to houses” (Geiseler, 1882); and according to even more recent information, they would have been “[…] wielded before the enemy to drive away attacks”; “when inaugurating a house, the attending officials would move the statuettes about, mimicking the sexual act”; “the images of lizard-men were placed on either side of the door to protect the entrance”1. These vague informations appear to designate the powerful fearsome moko as a protector of the home.
[…] Like many sculpted wood figures, the Périnet moko bears the traces of a light black liquid dye. The dye, wiped from the edges, remains within the recesses. All these clues point at a rather long ceremonial life which dulled the prominent points of the statuette and subjected the sculpture to erratic minor damages.
1Métraux, A., Ethnology of Easter Island, Honolulu, 1940, p. 265; these statements are false: moko figures never show the wear that would be produced by their use as “clubs”, and moreover they are not very effective as weapons because of their light weight; the pointed base, absolutely intact, has never been subjected to contact with the rough ground