Lot Essay
« Beaucoup disent qu’il n’y a rien dans la peinture abstraite, mais je sais que si ma vie était trois fois plus longue, elle ne le serait pas assez pour que je puisse exprimer tout ce que j’y vois. » - Serge Poliakoff
Avec son patchwork dynamique de formes imbriquées rouge foncé, marron, jaune moutarde, noir velouté et gris-bleu, Composition abstraite (1969) est un bel exemple de la pratique non figurative de Serge Poliakoff. Exécutée dans la dernière année de la vie de l’artiste, cette toile témoigne de sa maîtrise des harmonies chromatiques intuitives qui ont caractérisé son œuvre. La composition est agencée selon un équilibre architectural habile – les formes géométriques irrégulières sont fermement maintenues et calées en place comme des pierres sèches. Poliakoff applique des pigments soigneusement mélangés avec des touches tour à tour grossières, granuleuses et lisses, formant un jeu actif d’effets de texture et de tonalité. Le clair et l’obscur alternent dans une modulation prudente, révélant des silhouettes frappantes des angles de chaque élément. Sa palette fait écho aux riches pigments de cinabre et de cochenille des peintures d’icônes russes qu’il avait vu dans sa jeunesse. Composition abstraite a été exposée lors des importantes expositions consacrées à Poliakoff au musée Fabre de Montpellier et au musée des Beaux-Arts de La-Chaux-de-Fonds en 1975, au Sonja Henie-Onstad Kunstsenter de Hovikodden en 1976 et au musée Ingres en 1980.
Né à Moscou en 1900 dans une famille nombreuse et aisée, Poliakoff fuit la Russie après la révolution de 1917. Il vit à Constantinople, Sofia, Belgrade, Vienne et Berlin, gagnant sa vie en accompagnant sa tante, chanteuse, à la guitare. Il s’installe finalement à Paris et s’inscrit en 1929 à l’Académie de la Grande Chaumière à Montparnasse pour y étudier la peinture. En 1933, il suit l’enseignement de l’ancien fauve Othon Friesz à l’Académie Frochot, qui influencera son goût pour à la couleur.
Poliakoff affine son regard à la Slade School of Fine Art de Londres, où il étudie entre 1935 et 1937. Au cours de sa vie, il développe une grande admiration pour Cimabue et Giotto, peintres italiens de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle, dont il avait vu les fresques lors de visites en Italie dans les années 1960. À l’automne 1969, un mois avant sa mort, Poliakoff se rend à la chapelle Scrovegni de Padoue. Il est frappé par la beauté du chromatisme des fresques de Giotto qui décorent les murs intérieurs et le manteau ; il est aussi profondément marqué par l’impression de leurs surfaces à la détrempe vieillies. Ses œuvres réalisées pendant cette année 1969 révèlent la vivacité de cette influence, atteignant une luminosité quasi spirituelle.
Dans le Paris de l’après-guerre, Poliakoff se lie d’amitié avec Robert et Sonia Delaunay, dont les expériences chromatiques – qui utilisent la couleur pure comme moyen de créer une profondeur et une vibration spatiales – constituent une autre influence déterminante de son travail. Il en va de même pour le peintre russe Kazimir Malevitch, dont Poliakoff a vu les œuvres pour la première fois au musée d’Art moderne de Paris en 1952, puis à la Kunsthalle de Berne en 1959.
Dans les années 1950, l’artiste peint à plein temps. Il abandonne l’usage des contours dans ses toiles, utilisant uniquement la couleur pour guider leurs compositions intuitives. « Lorsqu’un tableau est silencieux », pensait-il, « c’est qu’il est réussi. Certaines de mes toiles commencent dans le tumulte. Elles sont explosives. Mais je ne suis satisfait que lorsqu’elles deviennent silencieuses. Une forme doit être écoutée et non vue. » (S. Poliakoff cité dans M. Ragon, Le regard et la mémoire, Paris, 1956, p. 56).
On retrouve dans la présente collection une autre Composition abstraite tardive de Poliakoff, exécutée en 1966 à la gouache et à la détrempe sur papier, qui illustre bien cette vision artistique. Des blocs cernés de rose, de bleu profond et de bleu pâle, de rouge cadmium et de blanc pur et étincelant se concentrent dans un canal central de composition. Ils sont contenus de part et d’autre par deux panneaux d’encadrement bleu sarcelle, qui offrent des espaces de silence reposants au centre de la composition. Véritables apogées de la quête d’équilibre énergétique et chromatique de Poliakoff, ces deux œuvres sont des exemples particulièrement remarquables du travail de l’artiste durant sa la dernière décennie, pendant laquelle il connut la reconnaissance.
"Many say that there is nothing in abstract painting, but I know that if my life were three times longer it would not be long enough for me to express everything I see in it ". - Serge Poliakoff
With its dynamic, interlocking patchwork of deep red, brown, mustard yellow, velvety black and grey-blue shapes, Composition abstraite (1969) is an elegant example of Serge Poliakoff’s abstract practice. It was painted in the final year of the artist’s life, and exhibits his mastery of the intuitive chromatic harmonies that defined his oeuvre. The composition is arranged with deft architectural balance - irregular, geometric forms are tightly held and wedged in place like dry-laid stone. Poliakoff applies carefully-mixed pigments with strokes that are by turns coarse, granular and smooth, forming an active interplay of textural and tonal effects. Light and dark alternate in careful modulation, revealing striking silhouettes of each element’s angles and edges. His palette echoes the rich cinnabar and cochineal pigments of the Russian icon paintings he knew well in his youth. Composition abstraite was exhibited in Poliakoff’s significant solo shows at the Musée Fabre in Montpellier and Musée des Beaux-Arts in La-Chaux-de-Fonds in 1975, the Sonja Henie-Onstad Kunstsenter in Hovikodden in 1976, and the Musée Ingres in 1980.
Born into a large, wealthy family in Moscow in 1900, Poliakoff fled Russia after the 1917 revolution. He lived in Constantinople, Sofia, Belgrade, Vienna and Berlin, earning his income by accompanying his aunt - who was a singer - on the guitar. He eventually settled in Paris, and in 1929 enrolled at the Académie de la Grande Chaumière in Montparnasse to study painting. In 1933 he was taught at the Académie Frochot by the former Fauvist Othon Friesz, who influenced his awareness of colour. Poliakoff sharpened his eye further at the Slade School of Fine Art in London, where he studied between 1935 and 1937. Over his lifetime, he developed a strong admiration for late-thirteenth and early-fourteenth-century Italian painters Cimabue and Giotto, whose frescoes he had seen in visits to Italy during the 1960s. In the autumn of 1969, just one month before his death, Poliakoff would pay a final visit to the Scrovegni Chapel in Padua. He had been astonished by the sublime chromatism of Giotto’s frescoes that decorate the interior walls and mantle, and deeply marked by the impression of their aged tempera surfaces. The works of this year bear this vivid influence, attaining an almost spiritual luminosity.
In postwar Paris, Poliakoff began an important friendship with Robert and Sonia Delaunay, whose colourist experiments - using pure colour as a means to create spatial depth and vibration—were another formative influence. So, too, was Russian painter Kazimir Malevich - whose works were first seen by Poliakoff at the Musée d’Art Moderne de Paris in 1952, and again at the Kunsthalle in Bern in 1959. By the 1950s, Poliakoff was painting full-time. He abandoned the use of outlines in his canvases, using colour alone to guide their intuitive compositions. 'When a painting is silent,' he mused, 'it means that it is successful. Some of my paintings begin with tumult. They are explosive. But I am only satisfied when they become silent. A form must be listened to and not seen' (S. Poliakoff quoted in M. Ragon, Le regard et la mémoire, Paris, 1956, p. 56). Another late Composition abstraite by the artist in the present collection, executed in 1966 with gouache and tempera on paper, exemplifies this distilled artistic vision. Knitted blocks of pink, deep and pale blues, cadmium red, and pure, gleaming white concentrate down a central compositional channel. They are contained on either side by two teal framing panels, which offer tranquil pools of silence amidst the arrangement. Reflecting the culmination of Poliakoff’s pursuit of energetic and chromatic equilibrium, these two works are spellbinding examples from the artist’s acclaimed final decade.
« Il ne faut pas oublier que chaque forme a deux couleurs : l'une intérieure, l'autre extérieure. Ainsi l'œuf, qui est blanc à l'extérieur mais jaune à l'intérieur. Et il en va de même pour chaque chose ». - Serge Poliakoff
''We mustn't forget that every shape has two colours: one inside, the other outside. Like the egg, which is white on the outside but yellow on the inside. And it's the same with everything.'' - Serge Poliakoff
Avec son patchwork dynamique de formes imbriquées rouge foncé, marron, jaune moutarde, noir velouté et gris-bleu, Composition abstraite (1969) est un bel exemple de la pratique non figurative de Serge Poliakoff. Exécutée dans la dernière année de la vie de l’artiste, cette toile témoigne de sa maîtrise des harmonies chromatiques intuitives qui ont caractérisé son œuvre. La composition est agencée selon un équilibre architectural habile – les formes géométriques irrégulières sont fermement maintenues et calées en place comme des pierres sèches. Poliakoff applique des pigments soigneusement mélangés avec des touches tour à tour grossières, granuleuses et lisses, formant un jeu actif d’effets de texture et de tonalité. Le clair et l’obscur alternent dans une modulation prudente, révélant des silhouettes frappantes des angles de chaque élément. Sa palette fait écho aux riches pigments de cinabre et de cochenille des peintures d’icônes russes qu’il avait vu dans sa jeunesse. Composition abstraite a été exposée lors des importantes expositions consacrées à Poliakoff au musée Fabre de Montpellier et au musée des Beaux-Arts de La-Chaux-de-Fonds en 1975, au Sonja Henie-Onstad Kunstsenter de Hovikodden en 1976 et au musée Ingres en 1980.
Né à Moscou en 1900 dans une famille nombreuse et aisée, Poliakoff fuit la Russie après la révolution de 1917. Il vit à Constantinople, Sofia, Belgrade, Vienne et Berlin, gagnant sa vie en accompagnant sa tante, chanteuse, à la guitare. Il s’installe finalement à Paris et s’inscrit en 1929 à l’Académie de la Grande Chaumière à Montparnasse pour y étudier la peinture. En 1933, il suit l’enseignement de l’ancien fauve Othon Friesz à l’Académie Frochot, qui influencera son goût pour à la couleur.
Poliakoff affine son regard à la Slade School of Fine Art de Londres, où il étudie entre 1935 et 1937. Au cours de sa vie, il développe une grande admiration pour Cimabue et Giotto, peintres italiens de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle, dont il avait vu les fresques lors de visites en Italie dans les années 1960. À l’automne 1969, un mois avant sa mort, Poliakoff se rend à la chapelle Scrovegni de Padoue. Il est frappé par la beauté du chromatisme des fresques de Giotto qui décorent les murs intérieurs et le manteau ; il est aussi profondément marqué par l’impression de leurs surfaces à la détrempe vieillies. Ses œuvres réalisées pendant cette année 1969 révèlent la vivacité de cette influence, atteignant une luminosité quasi spirituelle.
Dans le Paris de l’après-guerre, Poliakoff se lie d’amitié avec Robert et Sonia Delaunay, dont les expériences chromatiques – qui utilisent la couleur pure comme moyen de créer une profondeur et une vibration spatiales – constituent une autre influence déterminante de son travail. Il en va de même pour le peintre russe Kazimir Malevitch, dont Poliakoff a vu les œuvres pour la première fois au musée d’Art moderne de Paris en 1952, puis à la Kunsthalle de Berne en 1959.
Dans les années 1950, l’artiste peint à plein temps. Il abandonne l’usage des contours dans ses toiles, utilisant uniquement la couleur pour guider leurs compositions intuitives. « Lorsqu’un tableau est silencieux », pensait-il, « c’est qu’il est réussi. Certaines de mes toiles commencent dans le tumulte. Elles sont explosives. Mais je ne suis satisfait que lorsqu’elles deviennent silencieuses. Une forme doit être écoutée et non vue. » (S. Poliakoff cité dans M. Ragon, Le regard et la mémoire, Paris, 1956, p. 56).
On retrouve dans la présente collection une autre Composition abstraite tardive de Poliakoff, exécutée en 1966 à la gouache et à la détrempe sur papier, qui illustre bien cette vision artistique. Des blocs cernés de rose, de bleu profond et de bleu pâle, de rouge cadmium et de blanc pur et étincelant se concentrent dans un canal central de composition. Ils sont contenus de part et d’autre par deux panneaux d’encadrement bleu sarcelle, qui offrent des espaces de silence reposants au centre de la composition. Véritables apogées de la quête d’équilibre énergétique et chromatique de Poliakoff, ces deux œuvres sont des exemples particulièrement remarquables du travail de l’artiste durant sa la dernière décennie, pendant laquelle il connut la reconnaissance.
"Many say that there is nothing in abstract painting, but I know that if my life were three times longer it would not be long enough for me to express everything I see in it ". - Serge Poliakoff
With its dynamic, interlocking patchwork of deep red, brown, mustard yellow, velvety black and grey-blue shapes, Composition abstraite (1969) is an elegant example of Serge Poliakoff’s abstract practice. It was painted in the final year of the artist’s life, and exhibits his mastery of the intuitive chromatic harmonies that defined his oeuvre. The composition is arranged with deft architectural balance - irregular, geometric forms are tightly held and wedged in place like dry-laid stone. Poliakoff applies carefully-mixed pigments with strokes that are by turns coarse, granular and smooth, forming an active interplay of textural and tonal effects. Light and dark alternate in careful modulation, revealing striking silhouettes of each element’s angles and edges. His palette echoes the rich cinnabar and cochineal pigments of the Russian icon paintings he knew well in his youth. Composition abstraite was exhibited in Poliakoff’s significant solo shows at the Musée Fabre in Montpellier and Musée des Beaux-Arts in La-Chaux-de-Fonds in 1975, the Sonja Henie-Onstad Kunstsenter in Hovikodden in 1976, and the Musée Ingres in 1980.
Born into a large, wealthy family in Moscow in 1900, Poliakoff fled Russia after the 1917 revolution. He lived in Constantinople, Sofia, Belgrade, Vienna and Berlin, earning his income by accompanying his aunt - who was a singer - on the guitar. He eventually settled in Paris, and in 1929 enrolled at the Académie de la Grande Chaumière in Montparnasse to study painting. In 1933 he was taught at the Académie Frochot by the former Fauvist Othon Friesz, who influenced his awareness of colour. Poliakoff sharpened his eye further at the Slade School of Fine Art in London, where he studied between 1935 and 1937. Over his lifetime, he developed a strong admiration for late-thirteenth and early-fourteenth-century Italian painters Cimabue and Giotto, whose frescoes he had seen in visits to Italy during the 1960s. In the autumn of 1969, just one month before his death, Poliakoff would pay a final visit to the Scrovegni Chapel in Padua. He had been astonished by the sublime chromatism of Giotto’s frescoes that decorate the interior walls and mantle, and deeply marked by the impression of their aged tempera surfaces. The works of this year bear this vivid influence, attaining an almost spiritual luminosity.
In postwar Paris, Poliakoff began an important friendship with Robert and Sonia Delaunay, whose colourist experiments - using pure colour as a means to create spatial depth and vibration—were another formative influence. So, too, was Russian painter Kazimir Malevich - whose works were first seen by Poliakoff at the Musée d’Art Moderne de Paris in 1952, and again at the Kunsthalle in Bern in 1959. By the 1950s, Poliakoff was painting full-time. He abandoned the use of outlines in his canvases, using colour alone to guide their intuitive compositions. 'When a painting is silent,' he mused, 'it means that it is successful. Some of my paintings begin with tumult. They are explosive. But I am only satisfied when they become silent. A form must be listened to and not seen' (S. Poliakoff quoted in M. Ragon, Le regard et la mémoire, Paris, 1956, p. 56). Another late Composition abstraite by the artist in the present collection, executed in 1966 with gouache and tempera on paper, exemplifies this distilled artistic vision. Knitted blocks of pink, deep and pale blues, cadmium red, and pure, gleaming white concentrate down a central compositional channel. They are contained on either side by two teal framing panels, which offer tranquil pools of silence amidst the arrangement. Reflecting the culmination of Poliakoff’s pursuit of energetic and chromatic equilibrium, these two works are spellbinding examples from the artist’s acclaimed final decade.
« Il ne faut pas oublier que chaque forme a deux couleurs : l'une intérieure, l'autre extérieure. Ainsi l'œuf, qui est blanc à l'extérieur mais jaune à l'intérieur. Et il en va de même pour chaque chose ». - Serge Poliakoff
''We mustn't forget that every shape has two colours: one inside, the other outside. Like the egg, which is white on the outside but yellow on the inside. And it's the same with everything.'' - Serge Poliakoff