Lot Essay
« Le pittoresque me dérange. C’est là où le pittoresque est absent que je demeure dans un état d’étonnement permanent. » - Jean Dubuffet
Dans L’Emmitouflé (1957) de Jean Dubuffet, un portrait monochrome saisissant émerge de fragments de feuilles de papier richement imprimées. L’encre noire s’accumule, se ramifie et ondule sur la surface, suggérant les crevasses d’une paroi rocheuse ou les affluents d’un ruisseau. Le titre, qui fait référence à une figure emmaillotée, qualifie la pose caractéristique du sujet. L’œuvre fait partie de la série des assemblages d’empreintes de Dubuffet, réalisés à partir d’éléments rejetés de ses propres gravures, et exécutés lors de son séjour prolongé à Paris pendant l’hiver 1956-1957. Travaillant dans son atelier en ville, Dubuffet trouve que ces œuvres possèdent « plus de liberté et d’audace » que celles des années précédentes, pendant lesquelles lui et sa femme étaient installés à Vence dans le sud de la France (J. Dubuffet, cité dans M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Tableaux d’assemblages, fascicule XXI, Lausanne 1969, p. 121).
L’Emmitouflé révèle l’intérêt constant de Dubuffet pour les possibilités poétiques de la matière, une préoccupation qui fut au premier plan de sa pratique tout au long des années 1950. Stimulée par l’esthétique de la fragmentation qui caractérise le Paris de l’après-guerre, sa production artistique de la décennie précédente s’était nourrie des façades des immeubles délabrés de la ville, de ses trottoirs et de ses murs qui s’effritaient. Désormais, Dubuffet crée des portraits organiques à partir de « pâtes épaisses » issues de matières premières grossières : de l’asphalte, du goudron et du plomb blanc mélangés à du ciment, du plâtre, de la colle, du sable, de la poussière de charbon et des particules de verre. Dans les Texturologies plus abstraites des années 1950, le plasticien se tourne vers les jardins abandonnés et les routes de campagne de Vence, forgeant des œuvres superposées « all over » à l’aide de gouttelettes de peinture, de laques et d’huiles qui semblent osciller entre le micro et le macro. À la même époque, Dubuffet utilise des ailes de papillon et des plantes séchées pour réaliser des collages qui évoquent des formes figuratives et des surfaces terrestres foisonnantes.
Ces œuvres, dans lesquelles le sujet est façonné et même défini par la matière, deviendront le pivot de la pratique de l’artiste, le conduisant à peaufiner une technique d’assemblage plus complexe. Il commence à utiliser des fragments marbrés et tachetés, découpés dans ses propres peintures et gravures mises au rebut, produisant ainsi des compositions qui rappellent les vitraux ou les mosaïques. Dubuffet définit sa propre utilisation du collage en opposition à celle des dadaïstes, de Picasso et de Braque. Des œuvres comme L’Emmitouflé se veulent « attentives au caractère spécifique des empreintes dont elles sont issues » et combinent ainsi une confiance aveugle dans le hasard avec une approche quasi symbiotique du matériau (J. Dubuffet, ibid., p. 121). Cette méthode de travail sera profondément féconde pour Dubuffet, comme en témoigne l’écrivain Alexandre Vialatte, à qui est dédié le présent ouvrage, lorsqu’il rend visite à l’artiste à Vence en 1956 : « Dubuffet est là, dans l’ombre, dans la lumière. [Il] est là, avec un chapeau à fleurs et des chaussettes à pois verts », écrit Vialatte. « Il ne peint plus avec du beurre, du ciment, du bitume, mais avec de la colle de cordonnier. » (A. Vialatte, cité dans D. Hautois et M. Jakobi, Correspondance(s) : lettres, dessins et autres cocasseries, 1947-1975, Clermont-Ferrand, 2004, p. 117).
‘‘What is picturesque disturbs me. It is where the picturesque is absent that I am in a state of constant amazement’’. - Jean Dubuffet
In Jean Dubuffet’s L’Emmitouflé (1957), an arresting monochrome portrait emerges from fragmented sheets of richly printed paper. Black ink pools, branches and ripples across the surface, suggesting the crevices of a rock face or the tributaries of a stream. The title—referring to a bundled-up or swaddled figure—reflects the subject’s characterful pose. The work forms part of Dubuffet’s series of assemblages d’empreintes, made from offcuts and discarded elements of his own prints, and executed during his prolonged stay in Paris during the winter of 1956-1957. Working from his studio in the city, Dubuffet felt these works to have ‘more freedom and boldness’ than those of the preceding years, during which he and his wife had been based in Vence in the South of France (J. Dubuffet, quoted in M. Loreau (ed.), Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Tableaux d’assemblages, fascicule XXI, Lausanne, 1969, p. 121).
L’emmitouflé embodies Dubuffet’s abiding interest in the poetic possibilities of matter, a concern at the forefront of his practice throughout the 1950s. Spurred by the aesthetic of fragmentation which characterised post-war Paris, his artistic output during the previous decade had been informed by the façades of the city’s dilapidated tenement buildings, and its crumbling pavements and walls. Dubuffet created visceral portraits from hautes pâtes or ‘thick pastes’ of coarse raw materials: asphalt, tar and white lead mixed with cement, plaster, glue, sand, coal dust and particles of glass. In the more abstract Texturologies of the 1950s he looked to the wild, derelict gardens and country roads of Vence, forging layered ‘all-over’ works using droplets of paint, lacquers and oils that seem to oscillate between the micro and the macro. During this same period, Dubuffet used butterfly wings and dried plant material for collaged works evocative of figurative forms and teeming terrestrial surfaces.
These works, in which subject is shaped and even defined by matter, would become pivotal in Dubuffet’s practice, leading to his wider assemblage technique. He began to use marbled, mottled fragments cut from his own discarded paintings and prints, resulting in compositions that often-recalled stained glass or mosaics. Dubuffet defined his own use of collage in opposition to that of the Dadaists, Picasso and Braque. Works such as L’Emmitouflé were intended to be ‘attentive to the specific character of the imprints from which they come,’ and as such combine an automatist reliance on chance with a considered and symbiotic approach to material (J. Dubuffet, ibid., p. 121). This was to be a deeply fertile working method for Dubuffet, as the writer Alexandre Vialatte—to whom the present work is dedicated—witnessed when he visited the artist in Vence in 1956. ‘Dubuffet is there, in a flowery hat and green polka-dot socks,’ wrote Vialatte. ‘He no longer paints with butter, cement, bitumen, but with shoemaker’s glue’ (A. Vialatte, quoted in D. Hautois and M. Jakobi (eds.), Correspondance(s): lettres, dessins et autres cocasseries, 1947-1975, Clermont-Ferrand, 2004, p. 117).
Dans L’Emmitouflé (1957) de Jean Dubuffet, un portrait monochrome saisissant émerge de fragments de feuilles de papier richement imprimées. L’encre noire s’accumule, se ramifie et ondule sur la surface, suggérant les crevasses d’une paroi rocheuse ou les affluents d’un ruisseau. Le titre, qui fait référence à une figure emmaillotée, qualifie la pose caractéristique du sujet. L’œuvre fait partie de la série des assemblages d’empreintes de Dubuffet, réalisés à partir d’éléments rejetés de ses propres gravures, et exécutés lors de son séjour prolongé à Paris pendant l’hiver 1956-1957. Travaillant dans son atelier en ville, Dubuffet trouve que ces œuvres possèdent « plus de liberté et d’audace » que celles des années précédentes, pendant lesquelles lui et sa femme étaient installés à Vence dans le sud de la France (J. Dubuffet, cité dans M. Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Tableaux d’assemblages, fascicule XXI, Lausanne 1969, p. 121).
L’Emmitouflé révèle l’intérêt constant de Dubuffet pour les possibilités poétiques de la matière, une préoccupation qui fut au premier plan de sa pratique tout au long des années 1950. Stimulée par l’esthétique de la fragmentation qui caractérise le Paris de l’après-guerre, sa production artistique de la décennie précédente s’était nourrie des façades des immeubles délabrés de la ville, de ses trottoirs et de ses murs qui s’effritaient. Désormais, Dubuffet crée des portraits organiques à partir de « pâtes épaisses » issues de matières premières grossières : de l’asphalte, du goudron et du plomb blanc mélangés à du ciment, du plâtre, de la colle, du sable, de la poussière de charbon et des particules de verre. Dans les Texturologies plus abstraites des années 1950, le plasticien se tourne vers les jardins abandonnés et les routes de campagne de Vence, forgeant des œuvres superposées « all over » à l’aide de gouttelettes de peinture, de laques et d’huiles qui semblent osciller entre le micro et le macro. À la même époque, Dubuffet utilise des ailes de papillon et des plantes séchées pour réaliser des collages qui évoquent des formes figuratives et des surfaces terrestres foisonnantes.
Ces œuvres, dans lesquelles le sujet est façonné et même défini par la matière, deviendront le pivot de la pratique de l’artiste, le conduisant à peaufiner une technique d’assemblage plus complexe. Il commence à utiliser des fragments marbrés et tachetés, découpés dans ses propres peintures et gravures mises au rebut, produisant ainsi des compositions qui rappellent les vitraux ou les mosaïques. Dubuffet définit sa propre utilisation du collage en opposition à celle des dadaïstes, de Picasso et de Braque. Des œuvres comme L’Emmitouflé se veulent « attentives au caractère spécifique des empreintes dont elles sont issues » et combinent ainsi une confiance aveugle dans le hasard avec une approche quasi symbiotique du matériau (J. Dubuffet, ibid., p. 121). Cette méthode de travail sera profondément féconde pour Dubuffet, comme en témoigne l’écrivain Alexandre Vialatte, à qui est dédié le présent ouvrage, lorsqu’il rend visite à l’artiste à Vence en 1956 : « Dubuffet est là, dans l’ombre, dans la lumière. [Il] est là, avec un chapeau à fleurs et des chaussettes à pois verts », écrit Vialatte. « Il ne peint plus avec du beurre, du ciment, du bitume, mais avec de la colle de cordonnier. » (A. Vialatte, cité dans D. Hautois et M. Jakobi, Correspondance(s) : lettres, dessins et autres cocasseries, 1947-1975, Clermont-Ferrand, 2004, p. 117).
‘‘What is picturesque disturbs me. It is where the picturesque is absent that I am in a state of constant amazement’’. - Jean Dubuffet
In Jean Dubuffet’s L’Emmitouflé (1957), an arresting monochrome portrait emerges from fragmented sheets of richly printed paper. Black ink pools, branches and ripples across the surface, suggesting the crevices of a rock face or the tributaries of a stream. The title—referring to a bundled-up or swaddled figure—reflects the subject’s characterful pose. The work forms part of Dubuffet’s series of assemblages d’empreintes, made from offcuts and discarded elements of his own prints, and executed during his prolonged stay in Paris during the winter of 1956-1957. Working from his studio in the city, Dubuffet felt these works to have ‘more freedom and boldness’ than those of the preceding years, during which he and his wife had been based in Vence in the South of France (J. Dubuffet, quoted in M. Loreau (ed.), Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Tableaux d’assemblages, fascicule XXI, Lausanne, 1969, p. 121).
L’emmitouflé embodies Dubuffet’s abiding interest in the poetic possibilities of matter, a concern at the forefront of his practice throughout the 1950s. Spurred by the aesthetic of fragmentation which characterised post-war Paris, his artistic output during the previous decade had been informed by the façades of the city’s dilapidated tenement buildings, and its crumbling pavements and walls. Dubuffet created visceral portraits from hautes pâtes or ‘thick pastes’ of coarse raw materials: asphalt, tar and white lead mixed with cement, plaster, glue, sand, coal dust and particles of glass. In the more abstract Texturologies of the 1950s he looked to the wild, derelict gardens and country roads of Vence, forging layered ‘all-over’ works using droplets of paint, lacquers and oils that seem to oscillate between the micro and the macro. During this same period, Dubuffet used butterfly wings and dried plant material for collaged works evocative of figurative forms and teeming terrestrial surfaces.
These works, in which subject is shaped and even defined by matter, would become pivotal in Dubuffet’s practice, leading to his wider assemblage technique. He began to use marbled, mottled fragments cut from his own discarded paintings and prints, resulting in compositions that often-recalled stained glass or mosaics. Dubuffet defined his own use of collage in opposition to that of the Dadaists, Picasso and Braque. Works such as L’Emmitouflé were intended to be ‘attentive to the specific character of the imprints from which they come,’ and as such combine an automatist reliance on chance with a considered and symbiotic approach to material (J. Dubuffet, ibid., p. 121). This was to be a deeply fertile working method for Dubuffet, as the writer Alexandre Vialatte—to whom the present work is dedicated—witnessed when he visited the artist in Vence in 1956. ‘Dubuffet is there, in a flowery hat and green polka-dot socks,’ wrote Vialatte. ‘He no longer paints with butter, cement, bitumen, but with shoemaker’s glue’ (A. Vialatte, quoted in D. Hautois and M. Jakobi (eds.), Correspondance(s): lettres, dessins et autres cocasseries, 1947-1975, Clermont-Ferrand, 2004, p. 117).