Lot Essay
Avec son dessin novateur, ce remarquable guéridon est un précieux témoignage de l'histoire des arts décoratifs russes au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Il s'agit d'un présent impérial, offert en 1803 par le tsar Alexandre Ier au roi et à la reine de Prusse pour le palais royal de Unter den Linden à Berlin. A ce titre, il se devait d'illustrer le talent et la créativité des meilleurs artistes et des artisans les plus remarquables. Il se devait en outre d'illustrer la spécificité du mobilier et des arts décoratifs russes.
Grâce aux recherches de Burkhardt Gröes (publiées en 1992 dans Apollo -cf. Bibliographie-), l'histoire de ce meuble est particulièrement bien documentée. On sait notamment qu'il a été dessiné par Andrei Voronikhin (1759-1814) et que le travail de la malachite a très probablement été fait par la manufacture impériale de Peterhof.
LE DESSIN
Le dessin de ce fabuleux guéridon est l'oeuvre d'un homme au destin hors du commun, Andrei Voronikhin (1759-1814), qui commence sa vie comme simple serf au service du comte Stroganov. Il est vite remarqué du fait de son talent (ou, comme l'insinue la légende, du fait de sa possible filiation avec le comte) et est rapidement à même d'accéder à la liberté.
Sillonnant l'Europe aux côtés d'Alexandrovitch Stroganov, il parcourt la Russie, l'Allemagne, la Suisse et la France, où il séjourne à Paris entre 1789 et 1790. Il profite de ces voyages pour étudier l'architecture, la mécanique, les sciences naturelles et les mathématiques et pour s'imprégner, notamment, de l'architecture française. Malgré sa liberté acquise, il reste très proche de la famille Stroganov, tissant des liens comparables à ceux unissant un mécène à son artiste, et continue ainsi à travailler pour Alexandrovitch Stroganov, accédant au titre d'architecte personnel du comte. Il réaménagera ainsi l'intérieur du Palais Stroganov, la maison de campagne familiale ainsi que le château de Gorodiné. Grâce à son talent éclectique et à l'influence de la famille Stroganov -une des familles les plus tournées vers l'art à l'époque- il entre à l'Académie des Beaux-Arts, où il enseignera à partir de 1802.
Il est, lorsqu'il dessine ce guéridon, au sommet de sa carrière. Trois ans auparavant, on lui a confié ce qui deviendra son oeuvre emblématique, la reconstruction de la cathédrale de Kazan, dont une des façades porte aujourd'hui son nom.
Le style de Voronikhin est caractérisé par la simplicité et la force de ses créations ; il est également connu pour ses innovations et son usage des techniques architecturales les plus avancées. Tout cela en fait l'un des artistes les plus représentatifs du style néoclassique russe.
Le dessin du présent meuble est celui d'un guéridon qui défie presque les lois de l'équilibre, tant Voronikhin a choisi de marquer le galbe des pieds. Le contraste entre le poids -conséquent- du plateau de malachite et la légèreté des pieds est des plus marquants.
C'est seulement en 1975 que les deux dessins de ce guéridon et de son pendant sont identifiés. Leurs reproductions sont disponibles auprès du département Mobilier. Celui représentant la vue latérale du miroir et d'un guéridon est daté du 19 janvier 1803 et porte le monogramme de l'architecte.
UN PRéSENT DIPLOMATIQUE
Le présent guéridon fait partie d'un ensemble de meubles comprenant un miroir et deux guéridons ainsi que deux vases et deux lampes. Le pendant du présent guéridon est celui qui avait été publié dans Apollo en 1992 ; il a ensuite figuré dans la vente Sotheby's Londres, 14 juin 2000, lot 77.
Le tsar Alexandre Ier fait la connaissance du couple royal prussien, Frédéric-Guillaume III et sa femme Louise, en juin 1802 à Memel (en actuelle Lituanie). L'objet de l'entrevue est double : sur le plan diplomatique et politique, l'arrivée de Napoléon Bonaparte bouleverse l'échiquier européen, alors en relatif équilibre. Celui-ci, arrivé fraîchement au pouvoir, développe de nouvelles ambitions vis-à-vis de l'Allemagne, se heurtant par-là aux intérêts de la Prusse. Il menace l'indépendance du pays ainsi que la paix signée quelques mois plus tôt avec le traité d'Amiens.
L'idée du Tsar Alexandre, qui se voit comme le garant de l'équilibre politique européen, est de réprimer les désirs d'ingérence de Bonaparte en s'associant avec Frédéric de Prusse, afin que les deux souverains endossent le rôle de médiateur.
La Prusse a un autre atout de taille : Louise, l'épouse de Frédéric, connue pour être une femme très cultivée, extrêmement influente et l'une des plus grandes beautés de son temps, véritable symbole du nationalisme prussien. Le charme de Louise opère, et la légende veut que le tsar en soit tombé amoureux. L'ambition commune des deux souverains fait le reste : la rencontre se déroule particulièrement bien et scelle une longue amitié entre les deux hommes.
De retour à Saint Petersbourg, le tsar demande à son vice-chancellier, le comte Victor Pavlovitch Kotschubej, de préparer des présents diplomatiques pour le couple prussien. Le guéridon dessiné par Andrei Voronikhin fait partie de ces présents et doit être installé dans la chambre de Louise à Stadtschloss, le palais royal baroque situé au coeur de Berlin, alors résidence des souverains de Prusse.
Voronikhin déploie toute son énergie pour la réalisation de ce projet, d'une part parce qu'il s'agit d'une commande impériale, d'autre part par ce que le Tsar était impatient de la voir terminée. Il reçoit un premier versement de 3 000 roubles en février 1803 ; un second versement du même montant est effectué un mois plus tard et un autre règlement de 2 000 roubles est fait au mois de juin. Les 20 et 25 août, le solde lui est versé. Le coût total de ce présent impérial s'élève à plus de 13 000 roubles. La livraison est effectuée le 12 octobre 1803.
Le Tsar est manifestement ravi du travail de Voronikhin. Il lui donne en effet une bague de grande valeur pour le remercier de différents dessins dont, très certainement, ceux de l'ensemble de mobilier dont fait partie ce guéridon.
L'élément central de cet ensemble de mobilier est un miroir en acajou avec une riche ornementation de lapis-lazuli et de bronze doré. Ce miroir était flanqué de deux guéridons, notre lot et son pendant.
Signe de l'importance de ce présent diplomatique, les deux guéridons et le miroir ne sont finalement pas placés dans la chambre de la Reine, comme cela était prévu, mais dans le bureau du Roi, en face de la porte principale de la pièce.
HEINRICH GAMBS
Le travail d'ébénisterie est attribué à Heinrich Gambs (1765-1831). Ce dernier, d'origine allemande, est réputé pour sa parfaite maîtrise de l'acajou -qu'il apprend de David Roentgen-. Il choisit de s'établir à Saint-Petersbourg dès la fin des années 1780. Il y ouvre une boutique sur l'artère la plus recherchée, Nevsky Prospekt. Il y rencontre un succès à la hauteur de son talent. Il collabore régulièrement avec Voronikhin, notamment pour les palais impériaux de Pavlovsk et de Tsarskoe Selo.
LA MALACHITE
Ce guéridon présente un harmonieux contraste entre la profondeur de la malachite, la remarquable ciselure des bronzes et la chaleur de l'acajou. Le travail de la malachite est certainement l'oeuvre de la manufacture impériale de Peterhof. Ses ateliers excellaient dans la métamorphose de cette roche brute en placages harmonieux.
C'est au XVIIème siècle qu'un gisement de malachite est découvert dans la région de l'Oural. Cette pierre est immédiatement appréciée pour sa couleur très particulière, un camaïeu de vert sillonné par des veines d'un vert plus foncé. La masse de matières contenue dans ce gisement est telle que Pierre le Grand (1682-1725) décide de créer dès 1721 la manufacture lapidaire de Peterhof.
LES BRONZES
Les bronzes pourraient être l'oeuvre des fondeurs et ciseleurs Pierre Agis et Karl Dreier dont on sait qu'ils ont travaillé régulièrement d'après des dessins de Voronikhin
Grâce aux recherches de Burkhardt Gröes (publiées en 1992 dans Apollo -cf. Bibliographie-), l'histoire de ce meuble est particulièrement bien documentée. On sait notamment qu'il a été dessiné par Andrei Voronikhin (1759-1814) et que le travail de la malachite a très probablement été fait par la manufacture impériale de Peterhof.
LE DESSIN
Le dessin de ce fabuleux guéridon est l'oeuvre d'un homme au destin hors du commun, Andrei Voronikhin (1759-1814), qui commence sa vie comme simple serf au service du comte Stroganov. Il est vite remarqué du fait de son talent (ou, comme l'insinue la légende, du fait de sa possible filiation avec le comte) et est rapidement à même d'accéder à la liberté.
Sillonnant l'Europe aux côtés d'Alexandrovitch Stroganov, il parcourt la Russie, l'Allemagne, la Suisse et la France, où il séjourne à Paris entre 1789 et 1790. Il profite de ces voyages pour étudier l'architecture, la mécanique, les sciences naturelles et les mathématiques et pour s'imprégner, notamment, de l'architecture française. Malgré sa liberté acquise, il reste très proche de la famille Stroganov, tissant des liens comparables à ceux unissant un mécène à son artiste, et continue ainsi à travailler pour Alexandrovitch Stroganov, accédant au titre d'architecte personnel du comte. Il réaménagera ainsi l'intérieur du Palais Stroganov, la maison de campagne familiale ainsi que le château de Gorodiné. Grâce à son talent éclectique et à l'influence de la famille Stroganov -une des familles les plus tournées vers l'art à l'époque- il entre à l'Académie des Beaux-Arts, où il enseignera à partir de 1802.
Il est, lorsqu'il dessine ce guéridon, au sommet de sa carrière. Trois ans auparavant, on lui a confié ce qui deviendra son oeuvre emblématique, la reconstruction de la cathédrale de Kazan, dont une des façades porte aujourd'hui son nom.
Le style de Voronikhin est caractérisé par la simplicité et la force de ses créations ; il est également connu pour ses innovations et son usage des techniques architecturales les plus avancées. Tout cela en fait l'un des artistes les plus représentatifs du style néoclassique russe.
Le dessin du présent meuble est celui d'un guéridon qui défie presque les lois de l'équilibre, tant Voronikhin a choisi de marquer le galbe des pieds. Le contraste entre le poids -conséquent- du plateau de malachite et la légèreté des pieds est des plus marquants.
C'est seulement en 1975 que les deux dessins de ce guéridon et de son pendant sont identifiés. Leurs reproductions sont disponibles auprès du département Mobilier. Celui représentant la vue latérale du miroir et d'un guéridon est daté du 19 janvier 1803 et porte le monogramme de l'architecte.
UN PRéSENT DIPLOMATIQUE
Le présent guéridon fait partie d'un ensemble de meubles comprenant un miroir et deux guéridons ainsi que deux vases et deux lampes. Le pendant du présent guéridon est celui qui avait été publié dans Apollo en 1992 ; il a ensuite figuré dans la vente Sotheby's Londres, 14 juin 2000, lot 77.
Le tsar Alexandre Ier fait la connaissance du couple royal prussien, Frédéric-Guillaume III et sa femme Louise, en juin 1802 à Memel (en actuelle Lituanie). L'objet de l'entrevue est double : sur le plan diplomatique et politique, l'arrivée de Napoléon Bonaparte bouleverse l'échiquier européen, alors en relatif équilibre. Celui-ci, arrivé fraîchement au pouvoir, développe de nouvelles ambitions vis-à-vis de l'Allemagne, se heurtant par-là aux intérêts de la Prusse. Il menace l'indépendance du pays ainsi que la paix signée quelques mois plus tôt avec le traité d'Amiens.
L'idée du Tsar Alexandre, qui se voit comme le garant de l'équilibre politique européen, est de réprimer les désirs d'ingérence de Bonaparte en s'associant avec Frédéric de Prusse, afin que les deux souverains endossent le rôle de médiateur.
La Prusse a un autre atout de taille : Louise, l'épouse de Frédéric, connue pour être une femme très cultivée, extrêmement influente et l'une des plus grandes beautés de son temps, véritable symbole du nationalisme prussien. Le charme de Louise opère, et la légende veut que le tsar en soit tombé amoureux. L'ambition commune des deux souverains fait le reste : la rencontre se déroule particulièrement bien et scelle une longue amitié entre les deux hommes.
De retour à Saint Petersbourg, le tsar demande à son vice-chancellier, le comte Victor Pavlovitch Kotschubej, de préparer des présents diplomatiques pour le couple prussien. Le guéridon dessiné par Andrei Voronikhin fait partie de ces présents et doit être installé dans la chambre de Louise à Stadtschloss, le palais royal baroque situé au coeur de Berlin, alors résidence des souverains de Prusse.
Voronikhin déploie toute son énergie pour la réalisation de ce projet, d'une part parce qu'il s'agit d'une commande impériale, d'autre part par ce que le Tsar était impatient de la voir terminée. Il reçoit un premier versement de 3 000 roubles en février 1803 ; un second versement du même montant est effectué un mois plus tard et un autre règlement de 2 000 roubles est fait au mois de juin. Les 20 et 25 août, le solde lui est versé. Le coût total de ce présent impérial s'élève à plus de 13 000 roubles. La livraison est effectuée le 12 octobre 1803.
Le Tsar est manifestement ravi du travail de Voronikhin. Il lui donne en effet une bague de grande valeur pour le remercier de différents dessins dont, très certainement, ceux de l'ensemble de mobilier dont fait partie ce guéridon.
L'élément central de cet ensemble de mobilier est un miroir en acajou avec une riche ornementation de lapis-lazuli et de bronze doré. Ce miroir était flanqué de deux guéridons, notre lot et son pendant.
Signe de l'importance de ce présent diplomatique, les deux guéridons et le miroir ne sont finalement pas placés dans la chambre de la Reine, comme cela était prévu, mais dans le bureau du Roi, en face de la porte principale de la pièce.
HEINRICH GAMBS
Le travail d'ébénisterie est attribué à Heinrich Gambs (1765-1831). Ce dernier, d'origine allemande, est réputé pour sa parfaite maîtrise de l'acajou -qu'il apprend de David Roentgen-. Il choisit de s'établir à Saint-Petersbourg dès la fin des années 1780. Il y ouvre une boutique sur l'artère la plus recherchée, Nevsky Prospekt. Il y rencontre un succès à la hauteur de son talent. Il collabore régulièrement avec Voronikhin, notamment pour les palais impériaux de Pavlovsk et de Tsarskoe Selo.
LA MALACHITE
Ce guéridon présente un harmonieux contraste entre la profondeur de la malachite, la remarquable ciselure des bronzes et la chaleur de l'acajou. Le travail de la malachite est certainement l'oeuvre de la manufacture impériale de Peterhof. Ses ateliers excellaient dans la métamorphose de cette roche brute en placages harmonieux.
C'est au XVIIème siècle qu'un gisement de malachite est découvert dans la région de l'Oural. Cette pierre est immédiatement appréciée pour sa couleur très particulière, un camaïeu de vert sillonné par des veines d'un vert plus foncé. La masse de matières contenue dans ce gisement est telle que Pierre le Grand (1682-1725) décide de créer dès 1721 la manufacture lapidaire de Peterhof.
LES BRONZES
Les bronzes pourraient être l'oeuvre des fondeurs et ciseleurs Pierre Agis et Karl Dreier dont on sait qu'ils ont travaillé régulièrement d'après des dessins de Voronikhin