拍品专文
Du Nord au Sud: deux pièces maîtresses "Kota" de la collection Hotz
Le Gabon et une partie du Congo offrent à notre admiration, parmi bien des trésors, des figures de reliquaires qui brillent à la fois par leur originalité abstraite et par une carapace de métal quasiment unique dans l'Art africain.
Hasard de la collection, mais sans doute aussi souci de choisir des styles contrastés, les deux pièces maîtresses kota [1] qui vous sont présentées dans ce catalogue proviennent des deux extrémités de l'aire de production: l'une du nord est du Gabon et l'autre du Congo (au sud est du Gabon).
Du nord...
Lorsque les premiers explorateurs s'aventurèrent au-delà des cô tes à la découverte du Gabon intérieur, ils vécurent tous peu ou prou la même histoire:
Accueillis de façon relativement hospitalière dans un village, lorsqu'ils faisaient mine de continuer leur exploration, les notables leurs faisaient savoir que continuer pourrait être dangereux. Que là-bas, de l'autre côté de la colline, ou après ce tournant de la rivière, l'explorateur franchirait les limites du territoire pour arriver chez les voisins, tribu décrite comme bien moins accueillante, voire hostile et de toute façon bien connue pour être cannibale.
L'explorateur insistait alors et les notables ne refusaient pas leur aide, loin de là, mais trouvaient l'un ou l'autre prétexte pour reporter plus tard le départ. Le chef était parti dans un village voisin voir un cousin malade, une grande chasse avait été convenue de longue date,...
En fin de compte, l'explorateur en arrivait parfois à devoir contraindre les villageois de le laisser partir [2].
La compagnie de l'homme blanc était-elle si agrable qu'on ne voulait pas s'en départir ?
Depuis belle lurette déjà, les tribus côtières étaient en contact avec les bateaux des blancs et achetaient ou échangeaient auprès de ceux-ci des marchandises. C'était une position lucrative car ces marchandises "exotiques" étaient également désirées par les tribus de l'intérieur qui n'avaient pas la chance d'être en contact direct et devaient donc payer le prix fort. Ainsi, de proche en proche, les marchandises pénétraient le pays, passant de village en village qui chacuns prélevaient un profit.
La venue d'un explorateur dans un village était donc une bonne nouvelle: l'espoir d'à son tour être en prise directe avec un flot de marchandises au moindre prix, mais sa volonté de continuer risquait de compromettre gravement la possibilité d'obtenir de juteux bénéfice en les revendant aux tribus voisines. Raison pour laquelle il valait mieux tenter de le dissuader de continuer plus loin sans pour autant lui enlever le goût de revenir.
On peut imaginer qu'un plat de laiton, pour arriver en territoire shamaye [3] (300-400km l'intérieur des côtes), avant les explorations du territoire, avait fait l'objet de si nombreuses transactions qu'il coutait une somme astronomique. Autant sans doute que s'il avait été fait d'or pur.
Quant à fabriquer sois-même de la tôle de laiton [4], on imagine que sans laminoir c'était un processus délicat et donc probablement coûteux lui aussi et ne permettant pas de produire de grandes surfaces. Qui plus est, le métal d'origine européenne, de par son origine et son coût élevé, devait jouir d'un certain prestige. De la même manière, on voit souvent l'utilisation de boutons ou de vis de fusil pour représenter les yeux, ou de douilles de balles pour rendre les pendants, là où on aurait pu beaucoup plus facilement utiliser des matériaux locaux.
L'objet présenté ici montre tous les signes d'une très grande ancienneté. Faute d'une datation au carbone 14 (malheureusement trop rarement effectuée), on écrira prudemment "XIXe siècle" là où l'objet est vraisemblablement plus ancien. Il est en tout cas indiscutablement antérieur aux premières explorations du pays Shamaye.
Pour des raisons qu'il serait trop long de détailler ici, il est manifeste que les peuples dits kota prenaient grand soin d'individualiser leurs gardiens de reliquaires. Si on s'intéresse à l'oeuvre d'un sculpteur, on constate que, au-delà du schéma imposé par la tradition (et dont les détails sont signifiants, ce qui les rendent quasiment incontournables), il ajoutera sur tel gardien un clou, sur tel autre un collier, etc. pour leur assurer à chacun un signe distinctif.
Cet objet montre avec quelle inventivité les problèmes cultuels d'individualisation et les problèmes matériels posés par la préciosité du métal on su trouver une solution commune chez les shamaye.
En effet, si on regarde l'objet, on constate que la coiffe (appelons-là ainsi) est constituée de petits bouts de métal attachés ensemble et non d'un plaquage d'un seul tenant.
Que ce soit du métal de production locale ou européenne, l'utilisation de petits bouts permet de réduire au maximum la surface de métal nécessaire car il élimine les déchets et la nécessit ée de grandes surfaces.
On devine aisément les formes originale des pièces utilisées, on se prend même à découvrir de petits "trucages" entre la face et la coiffe, là où on ne voit pas bien le métal, où se trouvent des vides astucieux qui permettent de rogner au maximum la consommation du précieux matériel.
Précieux, c'est le mot: voyez avec quelle précision s'ajustent ces pièces de métal. Observez les lamelles du visage, découpées de façon légèrement irrégulières (faute peut être d'outils appropriés) et formant pourtant une unité remarquable. Voyez la subtilité de la couverture des ailes du nez où le pli, nécessaire à l'agrafage, devient bijou.
Mais il y a plus: l'assemblage de ces petites pièces, le choix de l'emplacement des attaches n'est pas uniquement soumis à l'économie ou l'esthétique: il crée la personnalité unique du gardien. Ils lui insufflent réellement son individualité au sens cultuel, et si l'on regarde d'autres objets du même type, on s'apercevra combien ce choix est bien loin de n'être régi "que" par des contraintes techniques.
A fin d'illustrer ces propos, je placerai côte à côte l'objet qui nous intéresse et quatre autres du même type: celui des collections du Musée Ethnographique de Genève (numéro d'inventaire ETHAF 013520, numéro d'identification Yale 0058784, issu de la donation Amstutz en 1931), celui ayant appartenu à la collection Arman (numé ro d'identification Yale 0020410, probablement acquit auprès de Merton D. Simpson), l'objet de ce catalogue, collecté in situ par le lieutenant Fernand Mallet au début des années 1920 (numéro d'identification Yale 0013945), celui de la fondation Renée & Chaim Gross, (numéro d'identification Yale 0025150, acquit en 1951 à la galerie " la Reine Margot") et enfin celui des collections du Smithsonian National Museum of African Art (numéro d'inventaire 83-17-1, donation de M. & Mme. George Lois en 1983, numéro d'identification Yale 0054481) [9].
Le travail et les découpes du métal nous intéressant au premier chef, je ne reproduirai ici que la tête, le cou et le début des épaules, la hauteur de la tête indiquant la différence d'é chelle entre ces sculptures.
Il s'agit d'un type d'objet relativement rare, repré sentant de l'ordre de 1,3 du corpus des figures de reliquaire dites kota au sens large, soit moins d'une trentaine parmi les 2080 recensé s dans les archives de l'Université de Yale.
[1] Par habitude, les figures de reliquaire couvertes de métal de l'est gabonais et d'une partie de la République du Congo sont qualifiées de kota. Par extension le sont aussi les peuples qui les produisent (obamba, mbeti, wumbu, ndassa, hongwe, shamaye, ...). Paradoxalement, d'après les recherches menées par Louis Perrois, les kota (au sens strict) eux-mêmes, ethnie du nord de la zone "kota" ne produiraient pas de gardiens de reliquaires (Perrois (Louis): "L'art Kota-Mahongwe", in "Arts d'Afrique Noire" nr 20, (Arnouville, France), 1976).
[2] Voir, par exemple, Compiègne (Marquis de): "L'Afrique Equatoriale".
[3] Ce type d'objet est fréquemment attribué aux Shamaye, plus occasionnellement, mais peut-être à juste titre, aux Ondoumbo (voir Perrois (Louis): "Arts du Gabon, Les arts plastiques du bassin de l'Ogooué", éd. Arts d'Afrique Noire (Arnouville, France), 1979)
[4] Collectif: "The Way of the Ancestors", Fondation Dapper (Paris, France); des tests métallographiques effectués par la fondation Dapper montrent que le métal était occasionnellement de fabrication locale.
[9] Corpus et informations des dessins en illustration sélectionnés parmi les objets recensés dans la Yale Guy van Rijn Archive of African Art.
Frédéric Cloth
Le Gabon et une partie du Congo offrent à notre admiration, parmi bien des trésors, des figures de reliquaires qui brillent à la fois par leur originalité abstraite et par une carapace de métal quasiment unique dans l'Art africain.
Hasard de la collection, mais sans doute aussi souci de choisir des styles contrastés, les deux pièces maîtresses kota [1] qui vous sont présentées dans ce catalogue proviennent des deux extrémités de l'aire de production: l'une du nord est du Gabon et l'autre du Congo (au sud est du Gabon).
Du nord...
Lorsque les premiers explorateurs s'aventurèrent au-delà des cô tes à la découverte du Gabon intérieur, ils vécurent tous peu ou prou la même histoire:
Accueillis de façon relativement hospitalière dans un village, lorsqu'ils faisaient mine de continuer leur exploration, les notables leurs faisaient savoir que continuer pourrait être dangereux. Que là-bas, de l'autre côté de la colline, ou après ce tournant de la rivière, l'explorateur franchirait les limites du territoire pour arriver chez les voisins, tribu décrite comme bien moins accueillante, voire hostile et de toute façon bien connue pour être cannibale.
L'explorateur insistait alors et les notables ne refusaient pas leur aide, loin de là, mais trouvaient l'un ou l'autre prétexte pour reporter plus tard le départ. Le chef était parti dans un village voisin voir un cousin malade, une grande chasse avait été convenue de longue date,...
En fin de compte, l'explorateur en arrivait parfois à devoir contraindre les villageois de le laisser partir [2].
La compagnie de l'homme blanc était-elle si agrable qu'on ne voulait pas s'en départir ?
Depuis belle lurette déjà, les tribus côtières étaient en contact avec les bateaux des blancs et achetaient ou échangeaient auprès de ceux-ci des marchandises. C'était une position lucrative car ces marchandises "exotiques" étaient également désirées par les tribus de l'intérieur qui n'avaient pas la chance d'être en contact direct et devaient donc payer le prix fort. Ainsi, de proche en proche, les marchandises pénétraient le pays, passant de village en village qui chacuns prélevaient un profit.
La venue d'un explorateur dans un village était donc une bonne nouvelle: l'espoir d'à son tour être en prise directe avec un flot de marchandises au moindre prix, mais sa volonté de continuer risquait de compromettre gravement la possibilité d'obtenir de juteux bénéfice en les revendant aux tribus voisines. Raison pour laquelle il valait mieux tenter de le dissuader de continuer plus loin sans pour autant lui enlever le goût de revenir.
On peut imaginer qu'un plat de laiton, pour arriver en territoire shamaye [3] (300-400km l'intérieur des côtes), avant les explorations du territoire, avait fait l'objet de si nombreuses transactions qu'il coutait une somme astronomique. Autant sans doute que s'il avait été fait d'or pur.
Quant à fabriquer sois-même de la tôle de laiton [4], on imagine que sans laminoir c'était un processus délicat et donc probablement coûteux lui aussi et ne permettant pas de produire de grandes surfaces. Qui plus est, le métal d'origine européenne, de par son origine et son coût élevé, devait jouir d'un certain prestige. De la même manière, on voit souvent l'utilisation de boutons ou de vis de fusil pour représenter les yeux, ou de douilles de balles pour rendre les pendants, là où on aurait pu beaucoup plus facilement utiliser des matériaux locaux.
L'objet présenté ici montre tous les signes d'une très grande ancienneté. Faute d'une datation au carbone 14 (malheureusement trop rarement effectuée), on écrira prudemment "XIXe siècle" là où l'objet est vraisemblablement plus ancien. Il est en tout cas indiscutablement antérieur aux premières explorations du pays Shamaye.
Pour des raisons qu'il serait trop long de détailler ici, il est manifeste que les peuples dits kota prenaient grand soin d'individualiser leurs gardiens de reliquaires. Si on s'intéresse à l'oeuvre d'un sculpteur, on constate que, au-delà du schéma imposé par la tradition (et dont les détails sont signifiants, ce qui les rendent quasiment incontournables), il ajoutera sur tel gardien un clou, sur tel autre un collier, etc. pour leur assurer à chacun un signe distinctif.
Cet objet montre avec quelle inventivité les problèmes cultuels d'individualisation et les problèmes matériels posés par la préciosité du métal on su trouver une solution commune chez les shamaye.
En effet, si on regarde l'objet, on constate que la coiffe (appelons-là ainsi) est constituée de petits bouts de métal attachés ensemble et non d'un plaquage d'un seul tenant.
Que ce soit du métal de production locale ou européenne, l'utilisation de petits bouts permet de réduire au maximum la surface de métal nécessaire car il élimine les déchets et la nécessit ée de grandes surfaces.
On devine aisément les formes originale des pièces utilisées, on se prend même à découvrir de petits "trucages" entre la face et la coiffe, là où on ne voit pas bien le métal, où se trouvent des vides astucieux qui permettent de rogner au maximum la consommation du précieux matériel.
Précieux, c'est le mot: voyez avec quelle précision s'ajustent ces pièces de métal. Observez les lamelles du visage, découpées de façon légèrement irrégulières (faute peut être d'outils appropriés) et formant pourtant une unité remarquable. Voyez la subtilité de la couverture des ailes du nez où le pli, nécessaire à l'agrafage, devient bijou.
Mais il y a plus: l'assemblage de ces petites pièces, le choix de l'emplacement des attaches n'est pas uniquement soumis à l'économie ou l'esthétique: il crée la personnalité unique du gardien. Ils lui insufflent réellement son individualité au sens cultuel, et si l'on regarde d'autres objets du même type, on s'apercevra combien ce choix est bien loin de n'être régi "que" par des contraintes techniques.
A fin d'illustrer ces propos, je placerai côte à côte l'objet qui nous intéresse et quatre autres du même type: celui des collections du Musée Ethnographique de Genève (numéro d'inventaire ETHAF 013520, numéro d'identification Yale 0058784, issu de la donation Amstutz en 1931), celui ayant appartenu à la collection Arman (numé ro d'identification Yale 0020410, probablement acquit auprès de Merton D. Simpson), l'objet de ce catalogue, collecté in situ par le lieutenant Fernand Mallet au début des années 1920 (numéro d'identification Yale 0013945), celui de la fondation Renée & Chaim Gross, (numéro d'identification Yale 0025150, acquit en 1951 à la galerie " la Reine Margot") et enfin celui des collections du Smithsonian National Museum of African Art (numéro d'inventaire 83-17-1, donation de M. & Mme. George Lois en 1983, numéro d'identification Yale 0054481) [9].
Le travail et les découpes du métal nous intéressant au premier chef, je ne reproduirai ici que la tête, le cou et le début des épaules, la hauteur de la tête indiquant la différence d'é chelle entre ces sculptures.
Il s'agit d'un type d'objet relativement rare, repré sentant de l'ordre de 1,3 du corpus des figures de reliquaire dites kota au sens large, soit moins d'une trentaine parmi les 2080 recensé s dans les archives de l'Université de Yale.
[1] Par habitude, les figures de reliquaire couvertes de métal de l'est gabonais et d'une partie de la République du Congo sont qualifiées de kota. Par extension le sont aussi les peuples qui les produisent (obamba, mbeti, wumbu, ndassa, hongwe, shamaye, ...). Paradoxalement, d'après les recherches menées par Louis Perrois, les kota (au sens strict) eux-mêmes, ethnie du nord de la zone "kota" ne produiraient pas de gardiens de reliquaires (Perrois (Louis): "L'art Kota-Mahongwe", in "Arts d'Afrique Noire" nr 20, (Arnouville, France), 1976).
[2] Voir, par exemple, Compiègne (Marquis de): "L'Afrique Equatoriale".
[3] Ce type d'objet est fréquemment attribué aux Shamaye, plus occasionnellement, mais peut-être à juste titre, aux Ondoumbo (voir Perrois (Louis): "Arts du Gabon, Les arts plastiques du bassin de l'Ogooué", éd. Arts d'Afrique Noire (Arnouville, France), 1979)
[4] Collectif: "The Way of the Ancestors", Fondation Dapper (Paris, France); des tests métallographiques effectués par la fondation Dapper montrent que le métal était occasionnellement de fabrication locale.
[9] Corpus et informations des dessins en illustration sélectionnés parmi les objets recensés dans la Yale Guy van Rijn Archive of African Art.
Frédéric Cloth