Pipe Kongo
Kongo pipe
Collectionner aujourd'hui Constituée sur une courte période de dix ans, cette collection très actuelle nous démontre une fois de plus que si on collectionne avec son goût, que l'on éduque, on collectionne plus encore avec son temps avec lequel on vit et qui nous forme, voire nous formate à son tour, sans même parfois que l'on en soit conscient. Nul n'échappe à l'air du temps si prégnant que chacun pourrait croire en être l'initiateur. Dans ce domaine qui nous concerne ici, l'Art Premier, les modes ont influencé les collections à toutes les époques depuis cent ans, si l'on prend comme base de départ l'année 1914, lorsque Paul Guillaume sollicité par Marius de Zayas envoya une collection d'objets africains à Alfred Stieglitz à New York pour son exposition Statuary in Wood by African Savages à la Gallery 291. A compter de cette date on peut considérer qu'il existe des collectionneurs d'Art Premier stricto sensu reconnu comme un art au même titre que l'art contemporain de l'époque. Plusieurs facteurs font que constituer une collection à ces époques dépendait de sources qui n'existent plus aujourd'hui et expliquait en grande partie les choix des premiers acheteurs. La colonisation par l'Occident de la majorité des pays d'Afrique et d'Océanie a été la source principale de l'afflux d'objets sur ce jeune marché. Collectes missionnaires, achats, ont contribué à offrir un choix aléatoire reposant sur les territoires conquis et exploités. Vers 1950 commence le temps des "arrivages" qui font sortir d'Afrique les grands dogon, les serpents baga, les Lobi, pour ne citer qu'eux. Les rares terres inviolées conservant pour 50 ans environs leurs trésors jusqu'aux indépendances et leurs guerres intestines féroces qui engendrèrent à leur tour une hémorragie d'objets: la guerre du Biafra, les guerres au Congo belge, etc. Un collectionneur français dans les années 30 aurait surtout trouvé sur le marché de l'art africain en France des objets du Soudan français, du Cameroun, ou du Moyen Congo. Ce principe relatif se déclinant de la même manière pour un Anglais, un Allemand ou un Belge. Les Américains faisant exception comme non-colonisateurs, mais recevant toutes les offres européennes cumulées: leurs collections sont moins typées. Aujourd'hui les collectionneurs ne subissent plus de contraintes politiques et géographiques. Qui n'est pas abonné à la presse spécialisée, qui n'est pas connecté sur le net, quel ermite de l'art Premier pourrait se passer du contact avec un marché mondialisé, structuré comme un club avec ses rituels saisonniers solidement établis? Seul peut être un "archéo-collectionneur" qui n'existe probablement plus en 2014. Une simple visite, en ligne par exemple, dans les librairies spécialisées montre le choix immense des monographies sur tous les sujets les plus variés, de l'hameçon esquimau au dé à coudre ouzbek. S'agissant des grandes ethnies adoubées comme telles par le marché, il y a pléthore de publications qui toutes tendent à l'exhaustivité, suivant la voie des catalogues raisonnés rédigés pour les peintres et les sculpteurs. On étudie tout, le moindre détail, et ses variantes, est pesé, classifié - les sculpteurs anonymes deviennent les maîtres de ceci ou de cela, on ouvre des écoles, des ateliers, bientôt apparaîtra: de l'entourage de ... Les institutions sont à l'unisson, les musées ouvrent leurs réserves, adoptent des expositions thématiques, exposent des collections privées, voire organisent des évènements hagiographiques à la gloire de grands marchands. Des musées privés sont parfois précurseurs, la Fondation Dapper, devenue Musée Dapper, expose et met en valeur les objets africains comme aucun musée français ne le faisait à la même période. Jacques Kerchache imposera son regard d'esthète dans la muséographie au Louvre et pour une part au Musée du Quai Branly. Quand l'amateur d'art, mué en collectionneur au fil du temps, dans l'enfance héroïque du collectionnisme, où l'on achetait de chic un objet de la Côte de l'or, achetait un objet qui en fait provenait du Congo, il devait se sentir bien seul! Le collectionneur d'aujourd'hui: transfrontalier et internetoïdal, est face à une autre situation: de quelques choix naguères où l'instinct était maître, il se trouve confronté à des choix démultipliés offerts aimablement, parfois habilement sponsorisés. Quelle voie étroite suivre pour qui veut accéder au sommet d'une collection, celui des grands objets? L'homme jeune qui a constitué cette collection à partir de 2003 par l'achat d'un masque Dan, revendu depuis, ne partait pas de rien. Un membre de sa famille avait le goût des objets mais plus en amateur d'art qu'en véritable collectionneur, il avait cependant acquis dans les années 60 un objet africain chez Simone de Monbrison, une bonne adresse. Cet objet, plus d'autres d'Asie en particulier, ont profondément marqué notre collectionneur en devenir. Son itinéraire commence par des achats timides d'objets qu'il jugera vite trop doux, dont il se défait sans regret pour s'orienter rapidement vers "du dur", de l'expressif, aux patines épaisses, croûteuses ou suintantes. L'art du Cameroun et l'art du Congo occupant rapidement une place maîtresse dans la jeune collection. Le marché belge et le marché français, ainsi que les maisons de ventes et les salons s'ouvrent à lui comme un vaste champ de manoeuvre qu'il arpente dans un circuit rituel: circumambulation au "quartier", de la rue Guénégaud la rue des Beaux-arts via la rue de Seine, courses en Thalys vers le Sablon où un semblable circuit prend forme à l'instar de celui de Paris. Entre temps il arpente les musées: Branly, Tervuren, et Dapper pour lequel il a une prédilection, et se plonge dans les livres des nuits entières en extase devant son dernier achat qu'il compare aux icônes de l'art premier. Il cherche avant tout l'émotion, le coup de foudre qui lui procure un plaisir intense, immédiat. Il aime les objets et leur histoire, leurs pédigrées qui remontent le temps, vers Paul Guillaume, Charles Ratton, les grands anciens d'African Negro Art. Il aime aussi ceux qui savent raconter ces histoires, les galeristes dont il devient souvent proche. Ses fréquentations ont la tournure d'un gotha du marché des Arts sauvages: Monbrison, Claes, Ratton-Hourdé, Entwistle, Rivière, Casanovas, Leloup, Félix, Meyer, Ferrandin, Bovis, Vanuxem et bien d'autres encore. Il sait quel objet a été rapporté du Cameroun par Alain Dufour, quel autre par Guimiot et Kerchache, quel autre par Pierre Harter. Les provenances, il les déguste comme un bon vin ou un bon havane! Une collection se gère et se construit, peu à peu les piliers qui la soutiennent s'affirment par leur puissance. Ici, comment ne pas voir le mâle dominant qu'est la grande statue songyé, triomphante de l'exubérance de ses métaux exaltant la richesse de son possesseur et de ses pouvoirs. Entouré de nombreux nkisi chargés de reliquaires, il dirige et protège l'armée des esprits du bassin du fleuve Congo enfermés dans les miroirs et les charges magiques. Aux royaumes de la forêt kongo répondent les masques des royaumes du Cameroun, de Kom, Bangwa et autres lieux, figurants des socits secrtes hirarchises dont les traîtres sont punis de mort par le pouvoir royal omniprésent, au pouvoir des statues magiques du Congo ils opposent leurs regards qui ne baissent pas les yeux, sous la gangue de leurs patines croûteuses, filtre de leurs paupières la menace des initiés. Mais la collection de notre amateur éclairé ne se compose pas que de pièces de pouvoir, des objets précieux de toutes les régions d'Afrique et d'Océanie s'y trouvent aussi. Objets de forme comme le sublime fragment de maternité dogon dont les quelques traits découpés par le temps suffisent à restituer la majesté originelle disparue; régalia du Congo comme le sceptre luba et l'herminette luba collectée vers 1900 ou de l'Angola un élégant mortier à chanvre anthropomorphe. Du nord Congo, près de l'Oubangui, un tambour et une harpe Mangbetu, de l'ancienne collection Vérité, allient la grâce à la patine. Plus sereins, un masque bapunu du sud Gabon et un byeri fang du woleu-ntem au nord, ouvrent la collection sur le Nigeria où dominent une grande statue alusi ibo et un masque d'épaules wurkun. Du Sahel, outre le beau fragment précité, des statuettes Bamana et Dogon, témoignent une fois de plus du goût du collectionneur pour les patines. Enfin d'Océanie, un magnifique masque kanak apuema et un bouchon de flûte Biwat démontrent que la recherche de la beauté n'est pas limitée par les cartes. Cette collection d'un amateur d'art, ouverte à tous les courants, est le reflet du collectionnisme au temps présent, comprenant des pièces classiques offertes aux collectionneurs ds les années 20, et des objets des dernières collectes, d'après la période des indépendances, dans les années 60. Aux moyens classiques d'autrefois, notre jeune siècle offre au collectionneur contemporain les outils actuels: monographies, bases de données, internet, ventes publiques, galeries, salons et revues spécialisés, mettant à son service des possibilités infinies d'information et d'offres que les collectionneurs du siècle précédant n'avaient pas. Pierre Amrouche
Pipe Kongo Kongo pipe

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Details
Pipe Kongo
Kongo pipe
République Démocratique du Congo
Hauteur: 13 cm. (5 in.)
Provenance
Yann Ferrandin, Paris
Importante collection privée, acquise auprès de ce dernier
Further details
Ceci n'est pas une pipe. This jewel brings together all of the best characteristics of Congo art through the slightly curved gesture of the body, the surreal nature of the large hand clasped at the torso, the toque-like coiffure and expressive angularity in the face wrapped in a deep honey-brown and silky patina. Tobacco and smoking rituals were recorded as early as the 17th century in Congo (Vansina, A History of the Kuba Peoples, 1978, p.176). As this pipe and other related pipes with highly sophisticated iconography from this region such as the Luluwa pipe from the Malcolm Collection (Robbins and Nooter, African Art in American Collections, Survey 1989, 1989:325, #841) or the Teke pipe from the Berlin Ethnologisches Museum, no. III C 44918, the practice of smoking took on its own important subsets of art and ritual.


A Collector of today by Pierre Amrouche

Formed over a short period of ten years, since the new the millennium, this present-day collection shows us once again that a collection formed with taste and in an earnest process of continuous education, over time it takes unexpected directions and its own shape without the collectors even being aware. That element of discovery and surprise becomes inextricably linked to the spirit of the ensemble, but no one escapes the spirit of their time, so palpable, yet no one point of origin. In this area, the realm of art collecting in so-called 'Primitive' Art or l'Art Premier, simultaneous patterns over the last one hundred years have always influenced its direction. In 1914, for instance, Paul Guillaume in Paris was approached by Marius de Zayas to send a selection of African artifacts to Alfred Stieglitz in New York for his exhibition Statuary in Wood by African Savages at Gallery 291. Today, upon reflection, its necessary to recognize that 'Primitive Art' was recognized as art, as opposed to ethnography, and alongside the contemporary art of their times, even then. However, several factors determined the limitations of choices in those days amongst the first buyers in this field, not least of which depended upon available sources. Colonization by the West for the majority of countries in Africa and Oceania created the main influx of objects in this young market. Religious iconoclasm, free trade, missionary collections and out-right purchasing, provided a random selection based on the particular territories then encountered. In the 1950s, arrived a time of new discoveries to the established canon. This is when spectacular Dogon, Baga serpents and Lobi statuary, to name a few, were introduced to the world outside their original borders. By mid-twentieth century, only a few territories remained untouched, but by the late 1960's fights for independence and fierce civil wars that in turn prompted a flood of objects: the Biafran war, war in the Belgian Congo, etc.

A French art collector in the 1930s would have mostly found African objects from the French Sudan, Cameroon, and Middle Congo. This same principle applies for an English, German or Belgian collector, with concentrations from their respective territories. While Americans, in one aspect, are exempt from this principle as non-colonizers, they nevertheless were receiving the cumulative works available, and tended to be less focused in any particular region.

In our times, collectors do not suffer within the same political and geographical constraints. Who today does not subscribe to trade publicity? Who today is not connected to the internet? What hermit could hide from the global market, structured like a club, with its firmly established seasonal rituals? This sort of be "archaeo-collector" cannot exist in 2014. A simple visit online, for example, shows the huge choice of niche profiles on many varied subjects - the Eskimo fishhook, thimbles of the Uzbek. For the major ethnic groups celebrated by the market, there are a plethora of exhaustive publications in the vein of the catalog raisonn prepared for painters and sculptors, for instance. We study everything, every detail. Its variants are weighed and classified - anonymous sculptors become masters of this or that, schools are opened, workshops soon appear: the entourage ... . Institutions in unison, museums open their reserves, adopt thematic exhibitions, exhibit private collections and even organize hagiographical events to the glory of great dealers. Private museums are sometimes precursors, Dapper Foundation became Dapper Museum, and began to exhibit and showcase African objects as no French museum had done before. Jacques Kerchache imposed his aesthete eyes on behalf of l'Art Premier at the Louvre and, in part, to the Quai Branly Museum.

When the art lover of a century ago, in the heroic childhood of collecting, bought a chic object emanating from the Gold Coast or bought an object that actually came from the exotic Congo River Basin it must have felt very lonely! The collector today -'transfrontier' and 'internetoïdal' -faces another situation where either choice or instinct is the master. He is faced with choices, in a way, happily multiplied, but sometimes cleverly underwritten. What a harrowing track for those who want to build an important collection with major works of art?

The young man who created this collection beginning in 2003 when he bought a Dan mask, and resold since, starting from scratch. His father had a taste for objects, true amongst most amateurs, and one African object in particular was acquired in the 1960's from Simone de Monbrison, a good address. This object, and some Asian art, which he grew up knowing, profoundly influenced our collector in-the-making.

His itinerary began with timid purchases of items quickly deemed too soft, which he discarded without regrets in order to hone his eye, and found himself in the midst of expressive patinas, thick, crusty, decayed or oozing. The arts of Cameroon and Congo quickly occupied a key place in the young collection. The Belgian market and the French market, and auction houses, and fairs gave him a vast field in which to maneuver. He created a ritual: circumambulation of the "quartier" - rue Guénégaud, the rue des Beaux-arts via the Rue de Seine, a race to the Thalys landing in the Sablon, where a similar system took shape, as in Paris. Meanwhile, he surveyed the museums: Branly, Tervuren, Dapper and indulged his predilections and immersed himself in books. All night, entranced by his last purchase noting how they compare to the icons of the same brethren. He seeks, above all, emotion - that thunderbolt, immensely and immediately gratifying. He loves the objects and their history, pedigrees that go back in time, to Paul Guillaume, Charles Ratton, and the grand tradition of 'African Negro Art'. He also loves those who can tell those stories, and he became close to several galleries and collectors. His associates are the main cast of les arts sauvages personalities -Monbrison, Claes, Hourdé, Ratton, Entwistle, Dulon, Casanovas, de Grunne, Leloup, Felix, Meyer, Ferrandin, Bovis, Bacquart, Vanuxem and many others. He knows which objects were collected in Cameroon by Alain Dufour, the others by Guimiot and Kerchache, and the rest by Pierre Harter. Provenances he savored like a fine wine or a good Havana!

A collection develops and builds gradually those supporting pillars which sustain its power. One particularly impressive aspect of the collection is the range of power figures - one austere and rigid, another shiny from oily ointments disgorging from every pore; another triumphant in the exuberance of its metal charms proudly displaying the wealth of its owner and its power. Surrounded by many nkisi reliquaries, who protect and house spirits of the Congo River basin cloaked in magic mirrors and medicinal charges. The Kingdoms of the Kongo forest meet masks from the Kingdoms of Cameroon, Kom, Bangwa and other places practicing in hierarchical secret societies whose traitors are punished with death by the omnipresent royal power. The edicts of Congo power statuary mandates that their eyes cannot look down. In the matrix of their crusty patina, their eyes mitigate threats to the initiates. However, our connoisseur's collection is not composed solely of power objects. Precious objects from all parts of Africa and Oceania are there, too. Formally pleasing works such as the sublime fragment of a Dogon maternity whose minimal lines have been cut by time in a manner sufficient enough to restore the original grandeur; regalia of the Congo as the Luba scepter and Luba adze collected in 1900; and from Angola a tobacco mortar of anthropomorphic elegance; Northern Congo, near the Ubangi, a drum and a Mangbetu harp, from the former Vérité collection, which alchemy has given a golden patina. More serene, a Punu, southern Gabon, mask and a Fang Byeri from Woleu-ntem in the north, the collection opens to Nigeria where a large Igbo Alusi statue and vertical Wurkun mask dominate. From Sahel, besides the aforementioned beautiful fragment, exist Bamana and Dogon statuettes, demonstrating once more the taste of the collector to wide-ranging patinas and surfaces. Finally, from Oceania, a beautiful Kanak mask, apuema, and a Biwat flute stopper confirm that his search for beauty has not been limited by the cards dealt.

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Lot Essay

Ceci n'est pas une pipe. Ce bijou rassemble toutes les meilleures caractéristiques de l'art Congo à travers le mouvement légèrement incurvé du corps, la nature surréaliste de la grande main serrant le torse, la coiffure en toque et l'angularité expressive du visage enveloppé d'une profonde patine laquée brun miel. Le tabac et le rituel de fumer sont apparus au Congo dès le XVIIème siècle (Vansina, A History of the Kuba Peoples, 1978, p. 176). Cette pipe et d'autres exemplaires comparables de cette région avec une iconographie sophistiquée, à l'image de la pipe luluwa de la collection Malcom (Robbins and Nooter, African Art in American Collections, Survey 1989, 1989:325, #841), ou la pipe téké du Berlin Ethnologisches Museum, no. III C 44918, attestent que le tabagisme au Congo est devenu un acte artistique et rituel à part entière.

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