Lot Essay
Chef-d’œuvre du grand André-Charles Boulle magnifiquement adapté par le plus talentueux des ébénistes néoclassiques du Boulle Revival, le présent meuble à hauteur d’appui illustre à merveille le marché du luxe parisien du XVIIIe siècle.
Alors que certains ébénistes copient à l’identique les modèles du début du siècle d’André-Charles Boulle, Etienne Levasseur est certainement le plus créatif, tout en réutilisant ou non des éléments de marqueterie ou de meuble réalisés par André-Charles Boulle.
Ce rare cabinet est ainsi une parfaite illustration du génie du duo Levasseur-Julliot et de la capacité de l’ébéniste à se réapproprier les œuvres de son illustre prédécesseur André-Charles Boulle.
Le Cabinet de l’Abondance dans l’œuvre d’André-Charles Boulle (1642-1732), ébéniste, ciseleur, doreur et sculpteur du roi de 1672 à 1732
On ne présente plus André-Charles Boulle. Cité par Colbert comme « le plus habile de Paris dans son métier », il réalise aussi bien l’ébénisterie que les bronzes au sein de son atelier grâce à son privilège royal octroyé en 1672 et ce jusqu’à la fin de sa vie. Sa clientèle est de fait prestigieuse : il livre pour le service des Bâtiments du Roi, à la Reine, au Grand Dauphin, à la duchesse de Bourgogne puis au Roi à partir de 1700. Son atelier place du Louvre repris par ses fils en 1715 continue à livrer quelques pièces à la Couronne avant le malheureux incendie de l’été 1720 engloutissant alors le stock.
Le cabinet sur piètement a une place particulière au sein de l’œuvre d’A.-C. Boulle qui voit son goût perdurer au début du XVIIIe siècle, malgré le succès d’un nouveau type de meuble, l’armoire.
Cet engouement se comprend à la lecture de l’acte de délaissement de Boulle en faveur de ses fils où il est inventorié encore en 1715 « quatre bois blancs de cabinet du dessin fait pour l’abbé d’Antécourt » estimés à 400 livres.
A cette époque, ce type de cabinet est disposé sur un socle haut également marqueté comme l’illustre le dessin d’un projet de cabinet à la sanguine conservé au musée des Arts Décoratifs, Paris (inv. 723 C2) ou sur les deux cabinets du Louvre cités plus bas (inv. 0A 5451-52 et inv. OA 5468-69) conservés dans leur intégralité.
Le présent cabinet peut être considéré comme l’aboutissement d’une longue réflexion de forme et de décor menée par Boulle nous menant à distinguer quatre corpus.
Le premier corpus se définit par le cabinet de la Wallace collection, Londres (inv. F 16) qui présente déjà deux caractéristiques de notre cabinet : un trophée militaire (premier modèle) que Boulle déclinera par la suite, ainsi qu’un médaillon de Louis XIV sur fond de marqueterie. Tous deux se situent déjà au-dessus du vantail central. Ici s’arrêtent les similitudes, puisqu’archaïque, le cabinet présente des tiroirs en façade et non sur les côtés (1).
Ces deux caractéristiques se retrouvent sur le cabinet du Paul Getty Museum (inv. 77.D.A.1) (2) et sur celui du duc de Buccleuch et de Queensberry, Drumlanrig Castle (3). Notons que le trophée militaire est d’un deuxième modèle.
Le deuxième corpus est constitué de trois cabinets : celui du musée national du château de Versailles et des Trianons (inv. V 4653 – Vmn 932) – transformé plus tard en bas d’armoire pour le baron de Breteuil (4), celui du Cleveland Museum of Art (inv. 1949-539) (5) et le second cabinet du duc de Buccleuch et de Queensberry, Drumlanrig Castle (6).
Ce deuxième jalon a pour particularité de présenter deux nouveaux éléments que l’on retrouve également à l’identique sur notre cabinet : l’encadrement à deux pattes léonines à feuilles d’acanthe centré d’un masque d’Apollon ainsi que le décor marqueté du revers du vantail. Par ailleurs, on retrouve un troisième modèle de trophée militaire également identique à celui présent sur notre cabinet, toujours associé au profil de Louis XIV.
L’abandon des tiroirs en façade au profit de tiroirs latéraux constitue le troisième corpus représenté par la paire de cabinets du musée du Louvre, Paris (inv. 0A 5451 et 0A 5452) des anciennes collections de Jean de Julienne, Paul-Louis Randon de Boisset et du baron de Breteuil. Toutes les caractéristiques précédemment citées sont présentes, à l’exception du trophée militaire.
Le dernier corpus est composé de la paire de cabinets de l’ancienne collection du duc d’Harcourt également conservée au musée du Louvre (inv. OA 5468 et OA 5469) (7) présentant la quasi-totalité des caractéristiques des trois premiers groupes : le trophée militaire (troisième modèle) dorénavant appliqué sur fond de bronze doré, l’encadrement à pattes léonines feuillagées, le masque d’Apollon, le dessin marqueté du revers du vantail, les tiroirs latéraux et leurs entrées de serrure.
La stricte similitude entre ces cabinets et le nôtre se poursuit par le dessin des rinceaux en façade, l’emploi des encadrements de différents types : sablé, à rais-de-cœur et à plate-bande.
Appartiennent également à ce quatrième corpus les cabinets dits des ducs de Feltre (collection privée) (8).
Les cabinets en marqueterie de métal précédemment cités présentent en façade soit un décor d’arabesques soit un bas-relief de Louis XIV pour les cabinets des ducs de Feltre ou d’Harcourt. L’allégorie de l’Abondance a finalement été peu usitée par Boulle. On la retrouve sur la bibliothèque en bas d’armoire en marqueterie en première partie du duc de Bourbon livrée en 1720 pour la galerie des Batailles du château de Chantilly (9), aujourd’hui conservée au musée du Louvre, Paris (inv. OA 5466). Elle est le pendant d’une autre bibliothèque arborant quant à elle l’allégorie de la Royauté Triomphante traitée symétriquement à celle de l’Abondance.
Boulle s’est inspiré des Fastes d’Ovide dans la représentation de l’allégorie : « La naïade Amalthée, noble fille de l’Ida crétois, cacha, dit-on, Jupiter au fond des forêts. Elle possédait une chèvre, mère de deux chevreaux, et remarquée pour sa beauté entre tous les troupeaux de la Crète ; une chèvre dont les cornes élevées se recourbaient sur son dos, et dont la mamelle était digne de nourrir le grand Jupiter. Elle en donnait le lait au dieu ; mais un jour une des cornes de la chèvre se brisa contre un arbre, et lui fit perdre ainsi la moitié de sa parure. Amalthée ramassa cette corne brisée, l’entoura d’herbes fraîches, la remplit de fruits, et la présenta ainsi aux lèvres de Jupiter. Quand le dieu régna dans les cieux, assis sur le trône de son père, quand Jupiter, par sa victoire, eut tout mis à ses pieds, il plaça au rang des astres et la nourrice et la corne féconde. Elle porte encore aujourd’hui le nom de la Pléiade qui l’avait autrefois possédée. »
Le Meuble à hauteur d’appui de l’Abondance : une synthèse entre le goût indémodable du mobilier Boulle et l’évolution du mobilier
La forme et la structure des présents cabinets sont le fruit d'une évolution en termes de décor intérieur. Comme l'a souligné Alexandre Pradère dans son incontournable étude (10), on passe de hautes armoires ou de grands cabinets à des meubles à hauteur d'appui ou à des bas d'armoire.
Sous Louis XIV, les armoires et les cabinets à piètement sont en vogue et leurs panneaux les plus riches et les plus ouvragés sont disposés à la hauteur des yeux. Au contraire, la décoration intérieure de la seconde moitié du XVIIIe siècle met l'accent sur les cimaises qui, tendues de tissu, sont laissées libres pour permettre l'accrochage de tableaux. Aussi, de nombreux cabinets Boulle, désormais de trop grande taille, sont remaniés. Les bases sont séparées du cabinet proprement dit, et souvent transformées en consoles. La partie cabinet est plus ou moins modifiée et forme meuble à hauteur d'appui.
En résumé, comme Alexandre Pradère l’a étudié, ces nouvelles formes reflètent la vogue du cabinet dans le goût « antique » de Boulle, bien qu’il s’agisse d’une interprétation plus moderne adaptée aux intérieurs Louis XVI les plus en vogue qui atteint son apogée dans les années 1770 (11).
Pas un seul catalogue de vente majeure ne consacre une section aux « meubles précieux de Boule le père » ou à ceux du « genre de Boule ». Les prix obtenus sont alors particulièrement importants. Ce succès illustre sans équivoque l’attrait renouvelé pour le mobilier Boulle à la fin de l’Ancien Régime, notamment des financiers et autres dignitaires, clientèle traditionnelle du classicisme louis-quatorzien, à l’instar de Blondel de Gagny, Radix de Sainte-Foix ou encore de Grimod de la Reynière.
Un passage d’une lettre du marquis de Marigny adressée à son ébéniste Pierre Garnier concernant le choix du mobilier de sa bibliothèque est très révélateur de sa préférence pour l’ébène : « Vous conviendrez avec moi que les meubles en ébène et bronze sont beaucoup plus nobles que les meubles en acajou ».
L’association géniale d’un ébéniste et d’un marchand-mercier : Etienne Levasseur (1721-1798), reçu maître en 1767 et très probablement de Claude-François Julliot (1727-1794)
Originellement sur piètement d’André-Charles Boulle, notre cabinet est transformé vers 1780 en meuble à hauteur d’appui par Etienne Levasseur par l’adjonction d’une base avec des carrés à rosaces dans les angles sur des pieds à vis.
Malgré le caractère incontournable de Levasseur, son début de carrière demeure flou encore aujourd’hui. Une publicité dans le Bazar Parisien (1822) nous apprend par son petit-fils qu’Etienne Levasseur s’est formé auprès de l’un des fils d’André-Charles Boulle dans les années 1740. Il s’agirait alors soit d’André-Charles, plus connu sous le nom de « Boulle de Sève » (mort en 1745), soit de Charles-Joseph (mort en 1754). Reçu maître en 1767, il s’installe sous l’enseigne Au Cadran Bleu en tant qu’ouvrier privilégié rue du Faubourg-Saint-Antoine. En 1789 il livre pour le Garde-Meuble royal. Après son décès en 1798, l’atelier est repris par son fils puis son petit-fils.
Son œuvre se partage alors entre les meubles en acajou, en laque du Japon et les meubles en marqueterie Boulle.
A l’image de notre cabinet, citons une paire de secrétaires à abattant de Levasseur chacun construit à partir d’une commode de Boulle dont l’un appartenant aux collections royales anglaises conservé au château de Windsor et l’autre vente Sotheby’s, Londres, 6 juillet 2010, lot 7.
Levasseur est un des protagonistes majeurs de la production de meubles Boulle des années 1770-1780 aux côtés de ses éminents pairs que sont Adam Weisweiler, Philippe-Claude Montigny, Jean-Louis Faizelot Delorme et Joseph Baumhauer. Tous collaborent avec des marchands-merciers et principalement Julliot.
En effet, la place des marchands-merciers est prépondérante sur le marché du luxe au XVIIIe siècle. Ce sont des commerçants, des importateurs, de « grands propagandistes » selon la formule de Pierre Verlet qui inventent, transforment, adaptent les matériaux pour « plaire à leur clientèle en présentant à la mode française et selon le goût du jour » » (12).
Les marchands-merciers se spécialisent dans les laques, les céramiques, … ; les meubles Boulle sont la spécialité de Claude-François Julliot.
Le colonel Saint Paul décrit Julliot ainsi en 1770 dans son ouvrage Les bonnes adresses de Paris autour de 1770 « Julliot, au coin de la rue d’Orléans vis-à-vis la rue de l’Arbre Sec, rue St Honoré, a un grand magasin de meubles et surtout d’ouvrages de Boule ». Il achète dans les ventes des années 1770 des meubles Boulle aussi bien pour lui, que pour ses clients. En tant que spécialiste des meubles Boulle, il effectue alors les inventaires de grands collectionneurs comme celui de Gaillard de Gagny en 1759, de Julienne, de Beaujon en 1787 ou encore de ses pairs comme Lazare Duvaux. Il est également expert de la vente Randon de Boisset en 1776 qui obtient les plus beaux prix à l’époque pour du mobilier Boulle d’époque Louis XIV mais également revisité.
Un an plus tard il livre une commode en marqueterie Boulle réalisée par Levasseur au comte d’Artois pour le Temple (13), aujourd’hui conservée au musée du Louvre (dépôt du musée national du château de Versailles et des Trianons en 2011, inv. Vmb14367).
Toujours la même année, un inventaire de son stock est réalisé suite au décès de son épouse précédant la vente des 20 novembre et 11 décembre. C’est tout un répertoire de formes de mobilier « Boulle Revival » qui se révèle à travers cette vente : meubles anciens de Boulle, pièces plus récentes, meubles de Boulle transformés, copies, surmoulages, … Julliot décrit toutes les pièces sans malheureusement donner de véritables éléments de datation ou d’attribution.
Claude-François Julliot se retire du marché en 1780 et comme l’avait fait son père Claude-Antoine, laisse la place à son fils Philippe-François Julliot, dit Julliot fils (1755-1835).
Jean-Joseph de Bourguignon-Bussière, marquis de La Mure (1721-1789)
Né à Marseille, d’une famille d’ancienne noblesse de Provence, le marquis de la Mure embrasse une carrière militaire. Après avoir été page à la grande écurie du Roi en 1738, il est sous-lieutenant au régiment des Gardes Françaises et promu chevalier de l’ordre de Saint Louis en 1751 avant de devenir en 1756 capitaine de cavalerie au régiment d’Orléans. Il sert d’aide de camp au maréchal de Richelieu en 1756 lors du siège de Port Mahon et à son retour, il est nommé par Stanislas Leszcynski exempt de ses gardes du corps. En 1758, il épousa Charlotte-Philippine de Chastre de Cangé.
Il ne tarde pas à renoncer à sa carrière militaire, consacrant les décennies suivantes à l’enrichissement de sa collection. Notamment une collection de dessins des trois écoles, où dominaient l’école hollandaises et les dessins français par Boucher et Fragonard, tous encadrés.
La Mure était installé au début de la rue du faubourg Saint-Honoré, au rez-de-chaussée d’un hôtel faisant presque l’angle de la rue Boissy d’Anglas.
Luc Thiéry décrit en 1787 ainsi le Cabinet de dessins de M. le marquis de la Mure dans son Guide des amateurs et étrangers voyageurs à Paris ou Description raisonnée de cette Ville, de sa banlieue, & de tout ce qu’elles contiennent de remarquable (T. I 1787, pp. 95-96) :
« En avançant quelques pas dans ce faubourg, vous aurez à voir au-dessus de la rue des Champs-Elysées, au n°6, une précieuse collection des plus grands maîtres des trois écoles, appartenant à M. le Marquis de la Mure. Cette collection est placée dans un appartement à rez-de-chaussée, dont elle occupe quatre pièces ornées en outre de magnifiques meubles de Boule, d’armoires de vieux laque, une superbe pendule, d’anciennes porcelaines du Japon et de Chine, enrichies d’ornements de bronzes dorés d’or moulus, de superbes tables de marbres, brèche d’Alep, vert de mer, brocatelle & une magnifique en marbres de rapport, des vases de porphyre, serpentin, albâtre, jaune antique & d’agates, etc. Tous les dessins sont superbement encadrés : les noms de leurs auteurs étant placés sur les bordures (…) ».
Outre les dessins qui forment la première et majeure partie de son catalogue de vente en 1791, le marquis de la Mure s’intéresse, à l’instar de Randon de Boisset, aux marbres antiques, marbres précieux et pierres dures. Il a réuni une belle collection de vases et colonnes de porphyre ou de granit, dont certains achetés dans les plus grandes ventes de l’époque, celle de Bailli de Breteuil, de Blondel d’Azincourt et de Beaujon.
Plusieurs tables en marqueterie de pierres dures comportent des piètements en marqueterie Boulle, type de mobilier que la Mure collectionne. En plus du cabinet présenté ici, il possède une paire de petits bas d’armoire à un battant à mascarons, quatre gaines « à tapis », deux autres en carquois, deux guéridons-torchères et une table de Boulle. En outre, il collectionne de beaux meubles en laque de Carlin, dont un secrétaire et deux bas d’armoires aux cigognes (coll. privée) et une trentaine de pièces en porcelaine du Japon ou de Chine montées en bronze doré.
On retrouve le présent cabinet sous le lot 201 de la vente de sa collection dispersée à partir du 19 avril 1791, dont le catalogue est rédigé par Alexandre-Jean Paillet : « 201. Un bas d’armoire de marqueterie ; première partie, à riches dessins en cuire & étain, l’entablement à moulures à feuilles d’ornements, orné d’un médaillon de Louis XIV avec trophée, ouvrant sur la face à un battant, enrichi d’une figure en bas relief, encadrement à plates-bandes, supports à rinceaux & griffes de lion, les chans à moulures ; sur chaque côté sont quatre tiroirs à panneaux de marqueterie aussi garnis de cadres & entrées ; il est terminé par un socle en avant-corps à rosasses supporté par quatre gaines en limaçon avec dessus en marbre griotte d’Italie. Hauteur 37 pouces, largeur 35 pouces 6 lignes, profondeur 16 pouces [H. 101cm x L. 95,8 x P. 43,2]. Ce morceau est intéressant par sa forme ; la beauté de la marqueterie et la richesse des ornements produisent un ensemble parfait ».
Vincent Donjeux
Le meuble repassa deux ans plus tard dans la vente du marchand de tableaux Donjeux, le 23 avril 1793 : « 549. Un petit meuble à panneaux saillants de marqueterie de cuivre et étain, ouvrant à un battant, avec figure de l’Abondance en bas relief ; le haut couronné d’un médaillon et trophée de guerre, avec encadrement et pieds à rinceaux d’ornements et griffes de lion, le milieu occupé par un masque de femme à draperies ; le tout élevé sur quatre pieds à vis et roseaux ; les retours enrichis d’encadrements figurant 4 tiroirs, le tout couvert d’un marbre de griotte d’Italie. H. 37p., larg. 36p. [H. 101cm x L. 97]… 1020L, Videron [ou Vederon] »
Auparavant, ce cabinet correspond sans doute à celui « orné d’une figure en bas relief » passé dans la vente Randon de Boisset en 1777, lot 778, qui comportait un piètement de Boulle à gaines avec pilastre au centre (haut. totale 170,5 cm. x larg. 98/100 cm.) et qui repassa dans une vente de Lebrun le 19 janvier 1778, lot 198. On en déduit que l’intervention de Levasseur, qui ajouta une base avec des pieds en vis - sans doute à l’initiative de Julliot - date d’entre 1778 et 1791. La présence dans une vente antérieure, celle de Gaillard de Gagny le 1762 d’un cabinet sur piètement analogue, avec des dimensions légèrement différentes (haut. totale 178 x larg. 92 cm.) correspond peut-être encore à ce cabinet, à moins qu’il ne s’agisse plus probablement d’un cabinet analogue (mais orné de têtes de Zéphyr), qui devait terminer lui aussi dégarni de son piètement, dans la vente du stock de Julliot le 20 novembre 1777, lot 707, repassé dans la vente du baron de Saint Julien le 14 février 1785 lot 195, dans une vente anonyme le 18 décembre 1788 puis dans la vente Tricot d’Espagnac en 1793.
Références bibliographiques :
(1) P. Hughes, The Wallace Collection. Catalogue of Furniture II, Londres, 1996, pp. 553-562.
(2) C. Bremer-David, Decorative Arts. An illustrated Summary Catalogue of the Collections of the J. Paul Getty Museum, Malibu, 1993, pp. 14-15.
(3) J. N. Ronfort, "The Surviving Cabinets on Stands by André-Charles Boulle and the New Chronology of the Master's Oeuvre", in Cleveland Studies in the History of Art, vol. 8, 2003, fig. 4.
(4) P. Arizzoli-Clémentel, Le Mobilier de Versailles XVIIe et XVIIIe siècles, T.II, Dijon, 2002, pp. 30-31.
(5) J. N. Ronfort, ibid, fig. 11.
(6) J. N. Ronfort, ibid, fig. 7.
(7) D. Alcouffre, A Dion- Tenembaum, A. Lefébure, Le Mobilier du musée du Louvre, T. I, Dijon, 1993, pp.60-63.
(8) J. N. Ronfort, ibid, fig. 16 et 17.
(9) D. Alcouffre, ibid, pp. 98-100.
(10) )A. Pradère, "Boulle. Du Louis XIV sous Louis XVI", in L'Objet d'Art, no. 4, février 1988, pp. 28-43.
(11) A. Pradère, « Curieux des Indes, Compendium du catalogue de vente Wildenstein », Christie’s, Londres, 14-15 décembre 2005).
(12) P. Verlet, « Le commerce des objets d’art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle » in Annales. Economies, Sociétés, Civilisations. 13e année, 1958, pp. 17-18).
(13) P. Arizzoli-Clémentel, ibid, pp. 87-89.
Alors que certains ébénistes copient à l’identique les modèles du début du siècle d’André-Charles Boulle, Etienne Levasseur est certainement le plus créatif, tout en réutilisant ou non des éléments de marqueterie ou de meuble réalisés par André-Charles Boulle.
Ce rare cabinet est ainsi une parfaite illustration du génie du duo Levasseur-Julliot et de la capacité de l’ébéniste à se réapproprier les œuvres de son illustre prédécesseur André-Charles Boulle.
Le Cabinet de l’Abondance dans l’œuvre d’André-Charles Boulle (1642-1732), ébéniste, ciseleur, doreur et sculpteur du roi de 1672 à 1732
On ne présente plus André-Charles Boulle. Cité par Colbert comme « le plus habile de Paris dans son métier », il réalise aussi bien l’ébénisterie que les bronzes au sein de son atelier grâce à son privilège royal octroyé en 1672 et ce jusqu’à la fin de sa vie. Sa clientèle est de fait prestigieuse : il livre pour le service des Bâtiments du Roi, à la Reine, au Grand Dauphin, à la duchesse de Bourgogne puis au Roi à partir de 1700. Son atelier place du Louvre repris par ses fils en 1715 continue à livrer quelques pièces à la Couronne avant le malheureux incendie de l’été 1720 engloutissant alors le stock.
Le cabinet sur piètement a une place particulière au sein de l’œuvre d’A.-C. Boulle qui voit son goût perdurer au début du XVIIIe siècle, malgré le succès d’un nouveau type de meuble, l’armoire.
Cet engouement se comprend à la lecture de l’acte de délaissement de Boulle en faveur de ses fils où il est inventorié encore en 1715 « quatre bois blancs de cabinet du dessin fait pour l’abbé d’Antécourt » estimés à 400 livres.
A cette époque, ce type de cabinet est disposé sur un socle haut également marqueté comme l’illustre le dessin d’un projet de cabinet à la sanguine conservé au musée des Arts Décoratifs, Paris (inv. 723 C2) ou sur les deux cabinets du Louvre cités plus bas (inv. 0A 5451-52 et inv. OA 5468-69) conservés dans leur intégralité.
Le présent cabinet peut être considéré comme l’aboutissement d’une longue réflexion de forme et de décor menée par Boulle nous menant à distinguer quatre corpus.
Le premier corpus se définit par le cabinet de la Wallace collection, Londres (inv. F 16) qui présente déjà deux caractéristiques de notre cabinet : un trophée militaire (premier modèle) que Boulle déclinera par la suite, ainsi qu’un médaillon de Louis XIV sur fond de marqueterie. Tous deux se situent déjà au-dessus du vantail central. Ici s’arrêtent les similitudes, puisqu’archaïque, le cabinet présente des tiroirs en façade et non sur les côtés (1).
Ces deux caractéristiques se retrouvent sur le cabinet du Paul Getty Museum (inv. 77.D.A.1) (2) et sur celui du duc de Buccleuch et de Queensberry, Drumlanrig Castle (3). Notons que le trophée militaire est d’un deuxième modèle.
Le deuxième corpus est constitué de trois cabinets : celui du musée national du château de Versailles et des Trianons (inv. V 4653 – Vmn 932) – transformé plus tard en bas d’armoire pour le baron de Breteuil (4), celui du Cleveland Museum of Art (inv. 1949-539) (5) et le second cabinet du duc de Buccleuch et de Queensberry, Drumlanrig Castle (6).
Ce deuxième jalon a pour particularité de présenter deux nouveaux éléments que l’on retrouve également à l’identique sur notre cabinet : l’encadrement à deux pattes léonines à feuilles d’acanthe centré d’un masque d’Apollon ainsi que le décor marqueté du revers du vantail. Par ailleurs, on retrouve un troisième modèle de trophée militaire également identique à celui présent sur notre cabinet, toujours associé au profil de Louis XIV.
L’abandon des tiroirs en façade au profit de tiroirs latéraux constitue le troisième corpus représenté par la paire de cabinets du musée du Louvre, Paris (inv. 0A 5451 et 0A 5452) des anciennes collections de Jean de Julienne, Paul-Louis Randon de Boisset et du baron de Breteuil. Toutes les caractéristiques précédemment citées sont présentes, à l’exception du trophée militaire.
Le dernier corpus est composé de la paire de cabinets de l’ancienne collection du duc d’Harcourt également conservée au musée du Louvre (inv. OA 5468 et OA 5469) (7) présentant la quasi-totalité des caractéristiques des trois premiers groupes : le trophée militaire (troisième modèle) dorénavant appliqué sur fond de bronze doré, l’encadrement à pattes léonines feuillagées, le masque d’Apollon, le dessin marqueté du revers du vantail, les tiroirs latéraux et leurs entrées de serrure.
La stricte similitude entre ces cabinets et le nôtre se poursuit par le dessin des rinceaux en façade, l’emploi des encadrements de différents types : sablé, à rais-de-cœur et à plate-bande.
Appartiennent également à ce quatrième corpus les cabinets dits des ducs de Feltre (collection privée) (8).
Les cabinets en marqueterie de métal précédemment cités présentent en façade soit un décor d’arabesques soit un bas-relief de Louis XIV pour les cabinets des ducs de Feltre ou d’Harcourt. L’allégorie de l’Abondance a finalement été peu usitée par Boulle. On la retrouve sur la bibliothèque en bas d’armoire en marqueterie en première partie du duc de Bourbon livrée en 1720 pour la galerie des Batailles du château de Chantilly (9), aujourd’hui conservée au musée du Louvre, Paris (inv. OA 5466). Elle est le pendant d’une autre bibliothèque arborant quant à elle l’allégorie de la Royauté Triomphante traitée symétriquement à celle de l’Abondance.
Boulle s’est inspiré des Fastes d’Ovide dans la représentation de l’allégorie : « La naïade Amalthée, noble fille de l’Ida crétois, cacha, dit-on, Jupiter au fond des forêts. Elle possédait une chèvre, mère de deux chevreaux, et remarquée pour sa beauté entre tous les troupeaux de la Crète ; une chèvre dont les cornes élevées se recourbaient sur son dos, et dont la mamelle était digne de nourrir le grand Jupiter. Elle en donnait le lait au dieu ; mais un jour une des cornes de la chèvre se brisa contre un arbre, et lui fit perdre ainsi la moitié de sa parure. Amalthée ramassa cette corne brisée, l’entoura d’herbes fraîches, la remplit de fruits, et la présenta ainsi aux lèvres de Jupiter. Quand le dieu régna dans les cieux, assis sur le trône de son père, quand Jupiter, par sa victoire, eut tout mis à ses pieds, il plaça au rang des astres et la nourrice et la corne féconde. Elle porte encore aujourd’hui le nom de la Pléiade qui l’avait autrefois possédée. »
Le Meuble à hauteur d’appui de l’Abondance : une synthèse entre le goût indémodable du mobilier Boulle et l’évolution du mobilier
La forme et la structure des présents cabinets sont le fruit d'une évolution en termes de décor intérieur. Comme l'a souligné Alexandre Pradère dans son incontournable étude (10), on passe de hautes armoires ou de grands cabinets à des meubles à hauteur d'appui ou à des bas d'armoire.
Sous Louis XIV, les armoires et les cabinets à piètement sont en vogue et leurs panneaux les plus riches et les plus ouvragés sont disposés à la hauteur des yeux. Au contraire, la décoration intérieure de la seconde moitié du XVIIIe siècle met l'accent sur les cimaises qui, tendues de tissu, sont laissées libres pour permettre l'accrochage de tableaux. Aussi, de nombreux cabinets Boulle, désormais de trop grande taille, sont remaniés. Les bases sont séparées du cabinet proprement dit, et souvent transformées en consoles. La partie cabinet est plus ou moins modifiée et forme meuble à hauteur d'appui.
En résumé, comme Alexandre Pradère l’a étudié, ces nouvelles formes reflètent la vogue du cabinet dans le goût « antique » de Boulle, bien qu’il s’agisse d’une interprétation plus moderne adaptée aux intérieurs Louis XVI les plus en vogue qui atteint son apogée dans les années 1770 (11).
Pas un seul catalogue de vente majeure ne consacre une section aux « meubles précieux de Boule le père » ou à ceux du « genre de Boule ». Les prix obtenus sont alors particulièrement importants. Ce succès illustre sans équivoque l’attrait renouvelé pour le mobilier Boulle à la fin de l’Ancien Régime, notamment des financiers et autres dignitaires, clientèle traditionnelle du classicisme louis-quatorzien, à l’instar de Blondel de Gagny, Radix de Sainte-Foix ou encore de Grimod de la Reynière.
Un passage d’une lettre du marquis de Marigny adressée à son ébéniste Pierre Garnier concernant le choix du mobilier de sa bibliothèque est très révélateur de sa préférence pour l’ébène : « Vous conviendrez avec moi que les meubles en ébène et bronze sont beaucoup plus nobles que les meubles en acajou ».
L’association géniale d’un ébéniste et d’un marchand-mercier : Etienne Levasseur (1721-1798), reçu maître en 1767 et très probablement de Claude-François Julliot (1727-1794)
Originellement sur piètement d’André-Charles Boulle, notre cabinet est transformé vers 1780 en meuble à hauteur d’appui par Etienne Levasseur par l’adjonction d’une base avec des carrés à rosaces dans les angles sur des pieds à vis.
Malgré le caractère incontournable de Levasseur, son début de carrière demeure flou encore aujourd’hui. Une publicité dans le Bazar Parisien (1822) nous apprend par son petit-fils qu’Etienne Levasseur s’est formé auprès de l’un des fils d’André-Charles Boulle dans les années 1740. Il s’agirait alors soit d’André-Charles, plus connu sous le nom de « Boulle de Sève » (mort en 1745), soit de Charles-Joseph (mort en 1754). Reçu maître en 1767, il s’installe sous l’enseigne Au Cadran Bleu en tant qu’ouvrier privilégié rue du Faubourg-Saint-Antoine. En 1789 il livre pour le Garde-Meuble royal. Après son décès en 1798, l’atelier est repris par son fils puis son petit-fils.
Son œuvre se partage alors entre les meubles en acajou, en laque du Japon et les meubles en marqueterie Boulle.
A l’image de notre cabinet, citons une paire de secrétaires à abattant de Levasseur chacun construit à partir d’une commode de Boulle dont l’un appartenant aux collections royales anglaises conservé au château de Windsor et l’autre vente Sotheby’s, Londres, 6 juillet 2010, lot 7.
Levasseur est un des protagonistes majeurs de la production de meubles Boulle des années 1770-1780 aux côtés de ses éminents pairs que sont Adam Weisweiler, Philippe-Claude Montigny, Jean-Louis Faizelot Delorme et Joseph Baumhauer. Tous collaborent avec des marchands-merciers et principalement Julliot.
En effet, la place des marchands-merciers est prépondérante sur le marché du luxe au XVIIIe siècle. Ce sont des commerçants, des importateurs, de « grands propagandistes » selon la formule de Pierre Verlet qui inventent, transforment, adaptent les matériaux pour « plaire à leur clientèle en présentant à la mode française et selon le goût du jour » » (12).
Les marchands-merciers se spécialisent dans les laques, les céramiques, … ; les meubles Boulle sont la spécialité de Claude-François Julliot.
Le colonel Saint Paul décrit Julliot ainsi en 1770 dans son ouvrage Les bonnes adresses de Paris autour de 1770 « Julliot, au coin de la rue d’Orléans vis-à-vis la rue de l’Arbre Sec, rue St Honoré, a un grand magasin de meubles et surtout d’ouvrages de Boule ». Il achète dans les ventes des années 1770 des meubles Boulle aussi bien pour lui, que pour ses clients. En tant que spécialiste des meubles Boulle, il effectue alors les inventaires de grands collectionneurs comme celui de Gaillard de Gagny en 1759, de Julienne, de Beaujon en 1787 ou encore de ses pairs comme Lazare Duvaux. Il est également expert de la vente Randon de Boisset en 1776 qui obtient les plus beaux prix à l’époque pour du mobilier Boulle d’époque Louis XIV mais également revisité.
Un an plus tard il livre une commode en marqueterie Boulle réalisée par Levasseur au comte d’Artois pour le Temple (13), aujourd’hui conservée au musée du Louvre (dépôt du musée national du château de Versailles et des Trianons en 2011, inv. Vmb14367).
Toujours la même année, un inventaire de son stock est réalisé suite au décès de son épouse précédant la vente des 20 novembre et 11 décembre. C’est tout un répertoire de formes de mobilier « Boulle Revival » qui se révèle à travers cette vente : meubles anciens de Boulle, pièces plus récentes, meubles de Boulle transformés, copies, surmoulages, … Julliot décrit toutes les pièces sans malheureusement donner de véritables éléments de datation ou d’attribution.
Claude-François Julliot se retire du marché en 1780 et comme l’avait fait son père Claude-Antoine, laisse la place à son fils Philippe-François Julliot, dit Julliot fils (1755-1835).
Jean-Joseph de Bourguignon-Bussière, marquis de La Mure (1721-1789)
Né à Marseille, d’une famille d’ancienne noblesse de Provence, le marquis de la Mure embrasse une carrière militaire. Après avoir été page à la grande écurie du Roi en 1738, il est sous-lieutenant au régiment des Gardes Françaises et promu chevalier de l’ordre de Saint Louis en 1751 avant de devenir en 1756 capitaine de cavalerie au régiment d’Orléans. Il sert d’aide de camp au maréchal de Richelieu en 1756 lors du siège de Port Mahon et à son retour, il est nommé par Stanislas Leszcynski exempt de ses gardes du corps. En 1758, il épousa Charlotte-Philippine de Chastre de Cangé.
Il ne tarde pas à renoncer à sa carrière militaire, consacrant les décennies suivantes à l’enrichissement de sa collection. Notamment une collection de dessins des trois écoles, où dominaient l’école hollandaises et les dessins français par Boucher et Fragonard, tous encadrés.
La Mure était installé au début de la rue du faubourg Saint-Honoré, au rez-de-chaussée d’un hôtel faisant presque l’angle de la rue Boissy d’Anglas.
Luc Thiéry décrit en 1787 ainsi le Cabinet de dessins de M. le marquis de la Mure dans son Guide des amateurs et étrangers voyageurs à Paris ou Description raisonnée de cette Ville, de sa banlieue, & de tout ce qu’elles contiennent de remarquable (T. I 1787, pp. 95-96) :
« En avançant quelques pas dans ce faubourg, vous aurez à voir au-dessus de la rue des Champs-Elysées, au n°6, une précieuse collection des plus grands maîtres des trois écoles, appartenant à M. le Marquis de la Mure. Cette collection est placée dans un appartement à rez-de-chaussée, dont elle occupe quatre pièces ornées en outre de magnifiques meubles de Boule, d’armoires de vieux laque, une superbe pendule, d’anciennes porcelaines du Japon et de Chine, enrichies d’ornements de bronzes dorés d’or moulus, de superbes tables de marbres, brèche d’Alep, vert de mer, brocatelle & une magnifique en marbres de rapport, des vases de porphyre, serpentin, albâtre, jaune antique & d’agates, etc. Tous les dessins sont superbement encadrés : les noms de leurs auteurs étant placés sur les bordures (…) ».
Outre les dessins qui forment la première et majeure partie de son catalogue de vente en 1791, le marquis de la Mure s’intéresse, à l’instar de Randon de Boisset, aux marbres antiques, marbres précieux et pierres dures. Il a réuni une belle collection de vases et colonnes de porphyre ou de granit, dont certains achetés dans les plus grandes ventes de l’époque, celle de Bailli de Breteuil, de Blondel d’Azincourt et de Beaujon.
Plusieurs tables en marqueterie de pierres dures comportent des piètements en marqueterie Boulle, type de mobilier que la Mure collectionne. En plus du cabinet présenté ici, il possède une paire de petits bas d’armoire à un battant à mascarons, quatre gaines « à tapis », deux autres en carquois, deux guéridons-torchères et une table de Boulle. En outre, il collectionne de beaux meubles en laque de Carlin, dont un secrétaire et deux bas d’armoires aux cigognes (coll. privée) et une trentaine de pièces en porcelaine du Japon ou de Chine montées en bronze doré.
On retrouve le présent cabinet sous le lot 201 de la vente de sa collection dispersée à partir du 19 avril 1791, dont le catalogue est rédigé par Alexandre-Jean Paillet : « 201. Un bas d’armoire de marqueterie ; première partie, à riches dessins en cuire & étain, l’entablement à moulures à feuilles d’ornements, orné d’un médaillon de Louis XIV avec trophée, ouvrant sur la face à un battant, enrichi d’une figure en bas relief, encadrement à plates-bandes, supports à rinceaux & griffes de lion, les chans à moulures ; sur chaque côté sont quatre tiroirs à panneaux de marqueterie aussi garnis de cadres & entrées ; il est terminé par un socle en avant-corps à rosasses supporté par quatre gaines en limaçon avec dessus en marbre griotte d’Italie. Hauteur 37 pouces, largeur 35 pouces 6 lignes, profondeur 16 pouces [H. 101cm x L. 95,8 x P. 43,2]. Ce morceau est intéressant par sa forme ; la beauté de la marqueterie et la richesse des ornements produisent un ensemble parfait ».
Vincent Donjeux
Le meuble repassa deux ans plus tard dans la vente du marchand de tableaux Donjeux, le 23 avril 1793 : « 549. Un petit meuble à panneaux saillants de marqueterie de cuivre et étain, ouvrant à un battant, avec figure de l’Abondance en bas relief ; le haut couronné d’un médaillon et trophée de guerre, avec encadrement et pieds à rinceaux d’ornements et griffes de lion, le milieu occupé par un masque de femme à draperies ; le tout élevé sur quatre pieds à vis et roseaux ; les retours enrichis d’encadrements figurant 4 tiroirs, le tout couvert d’un marbre de griotte d’Italie. H. 37p., larg. 36p. [H. 101cm x L. 97]… 1020L, Videron [ou Vederon] »
Auparavant, ce cabinet correspond sans doute à celui « orné d’une figure en bas relief » passé dans la vente Randon de Boisset en 1777, lot 778, qui comportait un piètement de Boulle à gaines avec pilastre au centre (haut. totale 170,5 cm. x larg. 98/100 cm.) et qui repassa dans une vente de Lebrun le 19 janvier 1778, lot 198. On en déduit que l’intervention de Levasseur, qui ajouta une base avec des pieds en vis - sans doute à l’initiative de Julliot - date d’entre 1778 et 1791. La présence dans une vente antérieure, celle de Gaillard de Gagny le 1762 d’un cabinet sur piètement analogue, avec des dimensions légèrement différentes (haut. totale 178 x larg. 92 cm.) correspond peut-être encore à ce cabinet, à moins qu’il ne s’agisse plus probablement d’un cabinet analogue (mais orné de têtes de Zéphyr), qui devait terminer lui aussi dégarni de son piètement, dans la vente du stock de Julliot le 20 novembre 1777, lot 707, repassé dans la vente du baron de Saint Julien le 14 février 1785 lot 195, dans une vente anonyme le 18 décembre 1788 puis dans la vente Tricot d’Espagnac en 1793.
Références bibliographiques :
(1) P. Hughes, The Wallace Collection. Catalogue of Furniture II, Londres, 1996, pp. 553-562.
(2) C. Bremer-David, Decorative Arts. An illustrated Summary Catalogue of the Collections of the J. Paul Getty Museum, Malibu, 1993, pp. 14-15.
(3) J. N. Ronfort, "The Surviving Cabinets on Stands by André-Charles Boulle and the New Chronology of the Master's Oeuvre", in Cleveland Studies in the History of Art, vol. 8, 2003, fig. 4.
(4) P. Arizzoli-Clémentel, Le Mobilier de Versailles XVIIe et XVIIIe siècles, T.II, Dijon, 2002, pp. 30-31.
(5) J. N. Ronfort, ibid, fig. 11.
(6) J. N. Ronfort, ibid, fig. 7.
(7) D. Alcouffre, A Dion- Tenembaum, A. Lefébure, Le Mobilier du musée du Louvre, T. I, Dijon, 1993, pp.60-63.
(8) J. N. Ronfort, ibid, fig. 16 et 17.
(9) D. Alcouffre, ibid, pp. 98-100.
(10) )A. Pradère, "Boulle. Du Louis XIV sous Louis XVI", in L'Objet d'Art, no. 4, février 1988, pp. 28-43.
(11) A. Pradère, « Curieux des Indes, Compendium du catalogue de vente Wildenstein », Christie’s, Londres, 14-15 décembre 2005).
(12) P. Verlet, « Le commerce des objets d’art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle » in Annales. Economies, Sociétés, Civilisations. 13e année, 1958, pp. 17-18).
(13) P. Arizzoli-Clémentel, ibid, pp. 87-89.