Lot Essay
Elisabeth-Louise Vigée Le Brun (1755-1842), Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) et Anne Vallayer-Coster étaient les femmes peintres les plus admirées et les plus accomplies en France dans les dernières années de l'Ancien Régime. Considérées par les critiques et le public comme un triumvirat artistique, elles sont devenues des célébrités dont les œuvres étaient commandées et collectionnées par les mécènes les plus puissants, soutenues aux plus hauts niveaux de l'administration de la cour royale et exposées régulièrement lors des prestigieux Salons annuels. Vigée Le Brun et Labille-Guiard sont considérées comme des portraitistes exceptionnelles – parmi les meilleurs de l'époque – et Vallayer-Coster, de l'avis général, comme la meilleure peintre de natures mortes en France depuis Chardin. La critique d'art les promeut et les adoube – surtout au début de leur carrière – couvrant d'éloges les œuvres qu'elles présentent au Salon, mais jamais sans sous-entendus misogynes révélant leur surprise face à ces femmes qui font preuve d'un génie qu'elle croit réservé aux seuls artistes masculins.
Des trois, Anne Vallayer-Coster est l'aînée, née à Paris en 1744, deuxième des quatre filles d'un orfèvre travaillant pour la manufacture de tapisseries des Gobelins et d'une mère suffisamment versée dans les rouages du métier pour diriger l'atelier familial après la mort de son mari. On sait peu de choses sur sa formation artistique, mais on suppose qu'elle a reçu de son père les rudiments d'une formation, avant d'étudier le dessin avec Madeleine Basseport – spécialiste en botanique – et le célèbre peintre de marines Joseph Vernet, un ami de la famille. À l'âge de 26 ans, elle se présente à l'Académie royale de Peinture et de Sculpture, l'institution la plus auguste du monde artistique français, et ce, sans aucun parrainage connu. En présence d’un Chardin âgé, elle est acceptée et devient membre à part entière sur la présentation des Attributs de la peinture, de la sculpture et de l'architecture (1769) et des Attributs de la musique (1770 ; tous deux au Louvre, Paris, nos. inv. 8259 et 8260), des sujets vastes et ambitieux que Chardin avait déjà entrepris auparavant. Lors de sa création au XVIIe siècle, l'Académie était ouverte aux artistes doués, quel que soit leur sexe ; cependant, en 1706, cette politique a été renversée et les femmes ont été exclues de l'Académie. De plus, les femmes ne pouvaient pas assister aux cours – le dessin d'après nature était interdit – ni participer à l'administration. Malgré ces restrictions, quelques exceptions sont faites, notamment pour Rosalba Carriera, la célèbre pastelliste vénitienne, qui est honorée de la qualité de membre lors de sa tournée triomphale à Paris en 1720. Lorsque Vallayer-Coster est élue avec enthousiasme à l'Académie en 1770, elle devient la quatrième académicienne en exercice dans une institution dont les statuts l'interdisent expressément. Pour remédier à cette incohérence évidente, les statuts ont été modifiés afin de limiter à quatre le nombre de femmes membres par la suite. Ce n'est qu'en 1783 (après le décès de deux membres féminins) que Vigée Le Brun et Labille-Guiard seront admises comme académiciennes, et seront les dernières à être élues pendant de nombreuses années.
Dans le monde de l'art très réglementé de Paris, un artiste ne pouvait pas exposer ses œuvres, et encore moins les vendre, s'il n'était pas affilié à une guilde, et ne pouvait pas fonctionner en tant qu'artiste indépendant sans la protection d'une institution. C'est pourquoi, comme l'a fait remarquer Colin Bailey : "L'acceptation à l'Académie Royale (...) ne conférait pas seulement du prestige (...) mais, plus important encore, donnait parfois accès au Salon biennal, qui – en l'absence de marchands spécialisés dans la commercialisation de la peinture moderne – fonctionnait comme un lieu privilégié pour l'exposition et, plus discrètement, pour la vente de ses œuvres" (C. B. Bailey, 'A Still-Life Painter and Her Patrons: Collecting Vallayer-Coster, 1770-1789', in Anne Vallayer-Coster. Painter to the Court of Marie-Antoinette, [cat. exp.], Washington, National Gallery of Art ; Dallas, Dallas Museum of Art ; New York, The Frick Collection, 2002-2003, p. 60). Au Salon de 1771 – le premier auquel Vallayer-Coster a pu participer – elle a exposé "neuf ou dix" tableaux, y compris ses deux morceaux de réception, et ses tableaux ont été accueillis avec enthousiasme. Denis Diderot (qui fut le plus grand défenseur de Chardin) écrivit : "Mlle Vallayer nous étonne autant qu'elle nous enchante. (...) nul de l’école française n’a atteint la force du coloris de Mlle Vallayer ni son fini (...).Elle conserve partout la fraîcheur des tons et la belle harmonie. Quel succès à cet âge !" (D. Diderot, Œuvres complètes, Paris, 1876, XI, p. 511). Elle expose ses natures mortes à chaque Salon suivant, tout au long des années 1770 et 1780, avec la même constance.
Après avoir connu le succès avec des tableaux qui suscitaient clairement la comparaison avec Chardin – des natures mortes de cuisine, des représentations de gibier mort, des trophées militaires, de petits et élégants services de table, des bas-reliefs en trompe-l'œil de putti jouant à des jeux – elle expose ses premières natures mortes florales en 1775. Ce n'était pas un domaine dans lequel Chardin s’était vraiment impliqué – on ne connaît qu'une seule peinture de fleurs de l'artiste – et cela lui permit de rompre totalement avec la palette sobre et terreuse de Chardin et d'introduire des couleurs beaucoup plus vives et variées dans ses compositions. Dans ce nouveau genre, elle peut explorer la tradition nordique de Rachel Ruysch et de Jan Van Huysum, et rivaliser avec son contemporain néerlandais de plus en plus vénéré, Gérard van Spaendonck (1746-1822), qui s'est installé à Paris en 1774 et a connu un succès populaire immédiat avec ses peintures de fleurs méticuleuses et très raffinées. Ses natures mortes florales lui ont valu la reconnaissance immédiate des critiques et des grands collectionneurs et sont devenues le sujet principal – mais jamais exclusif – de sa production.
Le présent tableau est une redécouverte remarquable et inattendue. Exposé pour la dernière fois au public en 1783 et inconnu des spécialistes, sauf par le biais de son importante documentation du XVIIIe siècle, ce tableau a été considéré comme l'un des chefs-d'œuvre emblématiques de l'artiste lorsqu'il a été présenté au Salon de Paris en 1783 et, plus tard, lorsqu'il a été inclus dans la vente de la succession de l'artiste en juin 1824. Signée et datée en bas à droite, "M. Ver. Coster. 1783", la toile est conservée dans un état presque parfait : non rentoilée, sur son châssis d'origine et dans le magnifique cadre Louis XVI dans lequel l'artiste l'aurait exposée pour la première fois. Le tableau conserve toute la fraîcheur spectaculaire de ses couleurs, un coup de pinceau virtuose, un mimétisme impressionnant des différentes textures et matières, et enfin une composition extrêmement ambitieuse qui a tant ébloui ses contemporains. De grande taille et opulente dans ses moindres détails, la peinture représente une table en acajou sculptée et dorée avec un plateau en marbre gris pâle, sur lequel est posé un vase contenant un bouquet extravagant débordant de fleurs de presque toutes les variétés ; à gauche du vase se trouve une grappe de raisin blanc ; à droite, un ananas et trois pêches. Le vase est en albâtre pâle, de forme classique à l'antique, orné de montures françaises en bronze doré représentant un enfant satyre tenant une gerbe de fruits et de fleurs. Le bouquet, composé de fleurs méticuleusement étudiées et délicatement rendues, comprend des roses, des iris, des lilas, des œillets, des roses trémières, des dahlias, des jacinthes et des hortensias, entre autres, et forme un arc-en-ciel de couleurs brillantes qui sont mises en valeur par le riche marbrage brun sombre du mur qui se trouve derrière elles. Le tableau est un cours magistral de la technique de la peintre, une démonstration virtuose de son talent inégalé pour reproduire avec vraisemblance tant du poli froid et dur du marbre et de l'albâtre, que de la surface scintillante de la fonte de bronze, la fermeté humide des raisins, l’écorce et les feuilles hérissées d'un ananas, la peau douce et duveteuse des pêches et la délicate périssabilité des pétales de fleurs.
Vallayer-Coster est au sommet de sa carrière lorsqu'elle peint cette nature morte en 1783, l'année même où Alexandre Roslin expose au même Salon, son portrait plein de vie, palette et pinceau à la main. Quelques années auparavant, Vallayer avait été recommandée auprès de la reine Marie-Antoinette, et les commandes royales n'ont pas tardé à suivre. En 1779, elle peint le portrait de Madame Sophie, puis les portraits des autres filles de Louis XV (surnommées "Mesdames"). En 1780, elle exécute un portrait au pastel de Marie-Antoinette elle-même, qui n'a été redécouvert que récemment. Ses essais de portraits, contrairement à ses peintures de fleurs, ont souvent été critiqués pour leur incapacité à capturer une ressemblance convaincante, surtout lorsqu'ils sont comparés – comme ils l'étaient invariablement – aux brillants portraits de Vigée Le Brun et de Labille-Guiard ; en parlant du portrait de Vallayer-Coster de Madame Sophie, d'apparence ordinaire, Diderot a fait remarquer de manière acerbe que "La tête ne ressemble pas, et tant mieux" (D. Diderot, Œuvres complètes, Paris, 1876, XII, p. 47). Néanmoins, l'artiste conserve les faveurs de la reine et les commandes de portraits de la cour se poursuivent. En 1780, Vallayer obtient un atelier et un logement au Louvre grâce à l'intervention directe de la reine. Lorsqu'en 1781, l'artiste épouse Jean-Pierre Silvestre Coster, riche avocat issu d'une illustre famille lorraine et membre du Parlement, Marie-Antoinette est présente et signe le contrat de mariage en tant que témoin (il est à noter que Vallayer a contribué à la dot à hauteur de 34 000 livres, une somme très importante acquise grâce à la vente de ses tableaux). Les commanditaires de ses natures mortes comptaient parmi les collectionneurs les plus illustres et les plus avisés de la France de l'Ancien Régime, notamment le prince de Conti, l'abbé Terray, Jean-Baptiste-François de Montullé, le comte de Merle, le marquis de Véri et Jean Giradot de Marigny. L'opulence et la richesse du présent tableau et de tout ce qu'il contient étaient destinées à attirer ces riches collectionneurs aristocratiques, qui y verraient une décoration plus appropriée pour leurs somptueux hôtels particuliers que les modestes natures mortes de la vie bourgeoise par Chardin ou d'autres peintres contemporains.
Lorsque le présent tableau a été exposé en 1783, il a été décrit par un critique comme "le pinceau d'un Maître dans la main d'une des Graces (...) Arrangeons-nous ; faisons des bouquets des fleurs de Madame Vallayer, mangeons, mangeons ses fruits (...)" (Changez-moi cette tête, ou Lustucru au Sallon. Dialogue entre le Duc de Marlborough, un Marquis François & Lustucru, Paris, 1783, p. 20). Cité dans une douzaine de critiques importantes du Salon, il a été universellement loué pour sa fraîcheur, ses couleurs vigoureuses et l'harmonie de sa composition. Plusieurs critiques comparent l'œuvre aux meilleures peintures de fleurs de son rival à la mode, Van Spaendonck, et la jugent supérieure. Le critique anonyme de L'Impartialité au Sallon observe : "Cette Artiste est née coloriste, ce talent se décèle jusque dans les moindres productions, & brille singulièrement dans celui-ci. Si elle cède à M. Van-Spaendonck pour le fini précieux, elle semble le surpasser dans l'harmonie générale & dans l'art de groupper ces fleurs & d'en assortir les nuances. Tandis que Madame Vallayer-Coster les entasse avec profusion, M. Van-Spaendonck les isole peut-être un peu trop" (L'impartialité au Sallon, dédiée à Messieurs les critiques présens et a [sic] venir, Paris, 1783, p. 30). L'auteur de la Loterie Pittoresque, Pour le Salon de 1783 écrit que le tableau est une œuvre "d'une grande beauté et d'une vigueur étonnante. Cette vigueur, qui se manifeste dans le clair-obscur, n'ôte rien à la délicatesse, à la fraîcheur et à la grâce des objets. (…) Madame Valler [sic] est si accoutumée aux plus justes éloges, que je ne crois pas devoir m'étendre davantage sur le sien. Je me rappelle ce qu'a dit quelqu'un assez heureusement de ses fleurs, qu'on seroit tenté de les prendre pour l'en couroner [sic], & je souscris volontiers à ce mot" (Loterie Pittoresque, Pour le Salon de 1783, Amsterdam, 1783, p. 19).
Vallayer-Coster meurt à Paris en 1818, à l'âge de 73 ans, et après le décès de son mari six ans plus tard, leur importante collection est vendue aux enchères les 21 et 22 juin 1824 ; la présente peinture est incluse dans la vente, comme premier lot phare de l'événement. Charles Paillet, le marchand et expert de la vente, s'est efforcé d'expliquer pourquoi l'artiste et son mari ont conservé le tableau tout au long de leur vie : "elle [Vallayer-Coster] a constamment résisté aux instances réitérées des personnages illustres et des amateurs distingués qui désiraient posséder ce tableau, dont elle n'a jamais voulu se dessaisir [sic], le regardant comme le meilleur de ses ouvrages".
Le tableau a sans aucun doute été conservé sa vie durant dans son atelier afin de montrer ses compétences à leur plus haut niveau et d'impressionner les acheteurs potentiels de ses talents inégalés.
Nous tenons à remercier Alan Wintermute, historien d'art, d'avoir rédigé la notice ci-dessus.
Des trois, Anne Vallayer-Coster est l'aînée, née à Paris en 1744, deuxième des quatre filles d'un orfèvre travaillant pour la manufacture de tapisseries des Gobelins et d'une mère suffisamment versée dans les rouages du métier pour diriger l'atelier familial après la mort de son mari. On sait peu de choses sur sa formation artistique, mais on suppose qu'elle a reçu de son père les rudiments d'une formation, avant d'étudier le dessin avec Madeleine Basseport – spécialiste en botanique – et le célèbre peintre de marines Joseph Vernet, un ami de la famille. À l'âge de 26 ans, elle se présente à l'Académie royale de Peinture et de Sculpture, l'institution la plus auguste du monde artistique français, et ce, sans aucun parrainage connu. En présence d’un Chardin âgé, elle est acceptée et devient membre à part entière sur la présentation des Attributs de la peinture, de la sculpture et de l'architecture (1769) et des Attributs de la musique (1770 ; tous deux au Louvre, Paris, nos. inv. 8259 et 8260), des sujets vastes et ambitieux que Chardin avait déjà entrepris auparavant. Lors de sa création au XVIIe siècle, l'Académie était ouverte aux artistes doués, quel que soit leur sexe ; cependant, en 1706, cette politique a été renversée et les femmes ont été exclues de l'Académie. De plus, les femmes ne pouvaient pas assister aux cours – le dessin d'après nature était interdit – ni participer à l'administration. Malgré ces restrictions, quelques exceptions sont faites, notamment pour Rosalba Carriera, la célèbre pastelliste vénitienne, qui est honorée de la qualité de membre lors de sa tournée triomphale à Paris en 1720. Lorsque Vallayer-Coster est élue avec enthousiasme à l'Académie en 1770, elle devient la quatrième académicienne en exercice dans une institution dont les statuts l'interdisent expressément. Pour remédier à cette incohérence évidente, les statuts ont été modifiés afin de limiter à quatre le nombre de femmes membres par la suite. Ce n'est qu'en 1783 (après le décès de deux membres féminins) que Vigée Le Brun et Labille-Guiard seront admises comme académiciennes, et seront les dernières à être élues pendant de nombreuses années.
Dans le monde de l'art très réglementé de Paris, un artiste ne pouvait pas exposer ses œuvres, et encore moins les vendre, s'il n'était pas affilié à une guilde, et ne pouvait pas fonctionner en tant qu'artiste indépendant sans la protection d'une institution. C'est pourquoi, comme l'a fait remarquer Colin Bailey : "L'acceptation à l'Académie Royale (...) ne conférait pas seulement du prestige (...) mais, plus important encore, donnait parfois accès au Salon biennal, qui – en l'absence de marchands spécialisés dans la commercialisation de la peinture moderne – fonctionnait comme un lieu privilégié pour l'exposition et, plus discrètement, pour la vente de ses œuvres" (C. B. Bailey, 'A Still-Life Painter and Her Patrons: Collecting Vallayer-Coster, 1770-1789', in Anne Vallayer-Coster. Painter to the Court of Marie-Antoinette, [cat. exp.], Washington, National Gallery of Art ; Dallas, Dallas Museum of Art ; New York, The Frick Collection, 2002-2003, p. 60). Au Salon de 1771 – le premier auquel Vallayer-Coster a pu participer – elle a exposé "neuf ou dix" tableaux, y compris ses deux morceaux de réception, et ses tableaux ont été accueillis avec enthousiasme. Denis Diderot (qui fut le plus grand défenseur de Chardin) écrivit : "Mlle Vallayer nous étonne autant qu'elle nous enchante. (...) nul de l’école française n’a atteint la force du coloris de Mlle Vallayer ni son fini (...).Elle conserve partout la fraîcheur des tons et la belle harmonie. Quel succès à cet âge !" (D. Diderot, Œuvres complètes, Paris, 1876, XI, p. 511). Elle expose ses natures mortes à chaque Salon suivant, tout au long des années 1770 et 1780, avec la même constance.
Après avoir connu le succès avec des tableaux qui suscitaient clairement la comparaison avec Chardin – des natures mortes de cuisine, des représentations de gibier mort, des trophées militaires, de petits et élégants services de table, des bas-reliefs en trompe-l'œil de putti jouant à des jeux – elle expose ses premières natures mortes florales en 1775. Ce n'était pas un domaine dans lequel Chardin s’était vraiment impliqué – on ne connaît qu'une seule peinture de fleurs de l'artiste – et cela lui permit de rompre totalement avec la palette sobre et terreuse de Chardin et d'introduire des couleurs beaucoup plus vives et variées dans ses compositions. Dans ce nouveau genre, elle peut explorer la tradition nordique de Rachel Ruysch et de Jan Van Huysum, et rivaliser avec son contemporain néerlandais de plus en plus vénéré, Gérard van Spaendonck (1746-1822), qui s'est installé à Paris en 1774 et a connu un succès populaire immédiat avec ses peintures de fleurs méticuleuses et très raffinées. Ses natures mortes florales lui ont valu la reconnaissance immédiate des critiques et des grands collectionneurs et sont devenues le sujet principal – mais jamais exclusif – de sa production.
Le présent tableau est une redécouverte remarquable et inattendue. Exposé pour la dernière fois au public en 1783 et inconnu des spécialistes, sauf par le biais de son importante documentation du XVIIIe siècle, ce tableau a été considéré comme l'un des chefs-d'œuvre emblématiques de l'artiste lorsqu'il a été présenté au Salon de Paris en 1783 et, plus tard, lorsqu'il a été inclus dans la vente de la succession de l'artiste en juin 1824. Signée et datée en bas à droite, "M. Ver. Coster. 1783", la toile est conservée dans un état presque parfait : non rentoilée, sur son châssis d'origine et dans le magnifique cadre Louis XVI dans lequel l'artiste l'aurait exposée pour la première fois. Le tableau conserve toute la fraîcheur spectaculaire de ses couleurs, un coup de pinceau virtuose, un mimétisme impressionnant des différentes textures et matières, et enfin une composition extrêmement ambitieuse qui a tant ébloui ses contemporains. De grande taille et opulente dans ses moindres détails, la peinture représente une table en acajou sculptée et dorée avec un plateau en marbre gris pâle, sur lequel est posé un vase contenant un bouquet extravagant débordant de fleurs de presque toutes les variétés ; à gauche du vase se trouve une grappe de raisin blanc ; à droite, un ananas et trois pêches. Le vase est en albâtre pâle, de forme classique à l'antique, orné de montures françaises en bronze doré représentant un enfant satyre tenant une gerbe de fruits et de fleurs. Le bouquet, composé de fleurs méticuleusement étudiées et délicatement rendues, comprend des roses, des iris, des lilas, des œillets, des roses trémières, des dahlias, des jacinthes et des hortensias, entre autres, et forme un arc-en-ciel de couleurs brillantes qui sont mises en valeur par le riche marbrage brun sombre du mur qui se trouve derrière elles. Le tableau est un cours magistral de la technique de la peintre, une démonstration virtuose de son talent inégalé pour reproduire avec vraisemblance tant du poli froid et dur du marbre et de l'albâtre, que de la surface scintillante de la fonte de bronze, la fermeté humide des raisins, l’écorce et les feuilles hérissées d'un ananas, la peau douce et duveteuse des pêches et la délicate périssabilité des pétales de fleurs.
Vallayer-Coster est au sommet de sa carrière lorsqu'elle peint cette nature morte en 1783, l'année même où Alexandre Roslin expose au même Salon, son portrait plein de vie, palette et pinceau à la main. Quelques années auparavant, Vallayer avait été recommandée auprès de la reine Marie-Antoinette, et les commandes royales n'ont pas tardé à suivre. En 1779, elle peint le portrait de Madame Sophie, puis les portraits des autres filles de Louis XV (surnommées "Mesdames"). En 1780, elle exécute un portrait au pastel de Marie-Antoinette elle-même, qui n'a été redécouvert que récemment. Ses essais de portraits, contrairement à ses peintures de fleurs, ont souvent été critiqués pour leur incapacité à capturer une ressemblance convaincante, surtout lorsqu'ils sont comparés – comme ils l'étaient invariablement – aux brillants portraits de Vigée Le Brun et de Labille-Guiard ; en parlant du portrait de Vallayer-Coster de Madame Sophie, d'apparence ordinaire, Diderot a fait remarquer de manière acerbe que "La tête ne ressemble pas, et tant mieux" (D. Diderot, Œuvres complètes, Paris, 1876, XII, p. 47). Néanmoins, l'artiste conserve les faveurs de la reine et les commandes de portraits de la cour se poursuivent. En 1780, Vallayer obtient un atelier et un logement au Louvre grâce à l'intervention directe de la reine. Lorsqu'en 1781, l'artiste épouse Jean-Pierre Silvestre Coster, riche avocat issu d'une illustre famille lorraine et membre du Parlement, Marie-Antoinette est présente et signe le contrat de mariage en tant que témoin (il est à noter que Vallayer a contribué à la dot à hauteur de 34 000 livres, une somme très importante acquise grâce à la vente de ses tableaux). Les commanditaires de ses natures mortes comptaient parmi les collectionneurs les plus illustres et les plus avisés de la France de l'Ancien Régime, notamment le prince de Conti, l'abbé Terray, Jean-Baptiste-François de Montullé, le comte de Merle, le marquis de Véri et Jean Giradot de Marigny. L'opulence et la richesse du présent tableau et de tout ce qu'il contient étaient destinées à attirer ces riches collectionneurs aristocratiques, qui y verraient une décoration plus appropriée pour leurs somptueux hôtels particuliers que les modestes natures mortes de la vie bourgeoise par Chardin ou d'autres peintres contemporains.
Lorsque le présent tableau a été exposé en 1783, il a été décrit par un critique comme "le pinceau d'un Maître dans la main d'une des Graces (...) Arrangeons-nous ; faisons des bouquets des fleurs de Madame Vallayer, mangeons, mangeons ses fruits (...)" (Changez-moi cette tête, ou Lustucru au Sallon. Dialogue entre le Duc de Marlborough, un Marquis François & Lustucru, Paris, 1783, p. 20). Cité dans une douzaine de critiques importantes du Salon, il a été universellement loué pour sa fraîcheur, ses couleurs vigoureuses et l'harmonie de sa composition. Plusieurs critiques comparent l'œuvre aux meilleures peintures de fleurs de son rival à la mode, Van Spaendonck, et la jugent supérieure. Le critique anonyme de L'Impartialité au Sallon observe : "Cette Artiste est née coloriste, ce talent se décèle jusque dans les moindres productions, & brille singulièrement dans celui-ci. Si elle cède à M. Van-Spaendonck pour le fini précieux, elle semble le surpasser dans l'harmonie générale & dans l'art de groupper ces fleurs & d'en assortir les nuances. Tandis que Madame Vallayer-Coster les entasse avec profusion, M. Van-Spaendonck les isole peut-être un peu trop" (L'impartialité au Sallon, dédiée à Messieurs les critiques présens et a [sic] venir, Paris, 1783, p. 30). L'auteur de la Loterie Pittoresque, Pour le Salon de 1783 écrit que le tableau est une œuvre "d'une grande beauté et d'une vigueur étonnante. Cette vigueur, qui se manifeste dans le clair-obscur, n'ôte rien à la délicatesse, à la fraîcheur et à la grâce des objets. (…) Madame Valler [sic] est si accoutumée aux plus justes éloges, que je ne crois pas devoir m'étendre davantage sur le sien. Je me rappelle ce qu'a dit quelqu'un assez heureusement de ses fleurs, qu'on seroit tenté de les prendre pour l'en couroner [sic], & je souscris volontiers à ce mot" (Loterie Pittoresque, Pour le Salon de 1783, Amsterdam, 1783, p. 19).
Vallayer-Coster meurt à Paris en 1818, à l'âge de 73 ans, et après le décès de son mari six ans plus tard, leur importante collection est vendue aux enchères les 21 et 22 juin 1824 ; la présente peinture est incluse dans la vente, comme premier lot phare de l'événement. Charles Paillet, le marchand et expert de la vente, s'est efforcé d'expliquer pourquoi l'artiste et son mari ont conservé le tableau tout au long de leur vie : "elle [Vallayer-Coster] a constamment résisté aux instances réitérées des personnages illustres et des amateurs distingués qui désiraient posséder ce tableau, dont elle n'a jamais voulu se dessaisir [sic], le regardant comme le meilleur de ses ouvrages".
Le tableau a sans aucun doute été conservé sa vie durant dans son atelier afin de montrer ses compétences à leur plus haut niveau et d'impressionner les acheteurs potentiels de ses talents inégalés.
Nous tenons à remercier Alan Wintermute, historien d'art, d'avoir rédigé la notice ci-dessus.