Lot Essay
Ce superbe Diptyque aux signes marron de deux mètres d'envergure donne à voir toute la richesse du langage plastique d'Antoni Tàpies : ce langage singulier de la matière et des textures, qui traverse l'ensemble de son œuvre. Composée d'encre, de gouache et de ruban adhésif noir, ici la surface brute et composite de la toile est empreinte de mystère. Souple et spontané, presque graphique, un gribouillage noir se déploie le long des deux panneaux, dans un déferlement informe de lignes, de lettres et de coulures qui semblent jaillir du plan pictural pour se dissoudre aussitôt. Sous cette masse obscure, deux croix – motif de prédilection de l'artiste – ont été disposées de façon parfaitement symétrique. Comme Jean Dubuffet, Tàpies figure parmi les représentants de l'art informel qui ont joué un rôle primordial au sein de la collection Renault. Inclus dans plusieurs projets de mécénat, Le Catalan (dont quelques œuvres ont longtemps habillé les bureaux de l'entreprise) a notamment participé en 1983 au grand cycle d'exposition orchestré par Claude-Louis Renard à l'abbaye de Sénanque. Conçu deux ans plus tôt, Diptyque aux signes marron témoigne de la touche toujours plus gestuelle, plus calligraphique, qui caractérise sa production des années 1970-1980, marquée par un intérêt grandissant pour l'esthétique et la pensée japonaises
Né à Barcelone en 1923, Tàpies est encore adolescent lorsqu'il est victime d'une crise cardiaque. C'est durant sa longue convalescence que naît sa fascination pour l'art : il se passionne surtout pour les surréalistes et les œuvres de Paul Klee et Joan Miró. En 1950, dans le cadre d'une bourse de séjour pour la France, il s'installe à Paris où, sous l'aile de l'influent critique d'art Michel Tapié, il s'immerge pleinement dans les milieux d'avant-garde de la capitale. Une peinture expressive et abstraite d'un genre nouveau, que Tapié qualifie d'’art informel’, est alors en plein essor. Fort de son inépuisable répertoire de textures et de matières, allié à un lexique de signes et de symboles sibyllins, l'artiste catalan en devient bientôt l'un des principaux représentants. S'il est fondamentalement européen, l'art informel reste intimement lié à certains courants abstraits américains : des affinités qui semblent évidentes dans ce diptyque dont le coup de pinceau sombre, tout en tourbillons effrénés, n'est pas sans rappeler la manière de Robert Motherwell ou de Franz Kline.
Tàpies partage avec les expressionnistes abstraits la notion de transcendance, de quête spirituelle. Élevé dans le chaos de la Guerre Civile, dans une région meurtrie par les tensions du nationalisme catalan des années 1930, il n'est que trop conscient des stigmates que les combats ont laissé, physiquement comme moralement, sur son pays. Tons bruns, textures rugueuses et surfaces accidentées, ses premières œuvres évoquent volontiers des ruines ou des façades parcourues de traces : celles, douloureuses, de la destinée humaine. Sous ce jour, la croix devient un emblème lourd de sens, à la fois crucifix et symbole de communication rompue, d'impasse, d'obstruction. Si l'œuvre de Tàpies s'est longtemps nourrie de sagesse orientale et de philosophie occidentale, les années 1970 et 1980 sont marquées par une étude approfondie du bouddhisme zen, alimentée par les enseignements des grands moines et artistes japonais des XVIIIe et XIXe siècles. Comme en témoigne Diptyque aux signes marron, son expression se laisse alors porter, de plus en plus, par les aléas du pinceau. Le tracé se rapproche librement de l'écriture ou du dessin. Les surfaces crues de ses débuts, semblables à des murs éraflés, cèdent peu à peu leur place à des espaces vacants : en découle un art tout en zones de silence et de contemplation. Ici, le résultat ressemble à une vaste peinture murale, dont chaque croix vient entrouvrir une porte vers l'au-delà.
Né à Barcelone en 1923, Tàpies est encore adolescent lorsqu'il est victime d'une crise cardiaque. C'est durant sa longue convalescence que naît sa fascination pour l'art : il se passionne surtout pour les surréalistes et les œuvres de Paul Klee et Joan Miró. En 1950, dans le cadre d'une bourse de séjour pour la France, il s'installe à Paris où, sous l'aile de l'influent critique d'art Michel Tapié, il s'immerge pleinement dans les milieux d'avant-garde de la capitale. Une peinture expressive et abstraite d'un genre nouveau, que Tapié qualifie d'’art informel’, est alors en plein essor. Fort de son inépuisable répertoire de textures et de matières, allié à un lexique de signes et de symboles sibyllins, l'artiste catalan en devient bientôt l'un des principaux représentants. S'il est fondamentalement européen, l'art informel reste intimement lié à certains courants abstraits américains : des affinités qui semblent évidentes dans ce diptyque dont le coup de pinceau sombre, tout en tourbillons effrénés, n'est pas sans rappeler la manière de Robert Motherwell ou de Franz Kline.
Tàpies partage avec les expressionnistes abstraits la notion de transcendance, de quête spirituelle. Élevé dans le chaos de la Guerre Civile, dans une région meurtrie par les tensions du nationalisme catalan des années 1930, il n'est que trop conscient des stigmates que les combats ont laissé, physiquement comme moralement, sur son pays. Tons bruns, textures rugueuses et surfaces accidentées, ses premières œuvres évoquent volontiers des ruines ou des façades parcourues de traces : celles, douloureuses, de la destinée humaine. Sous ce jour, la croix devient un emblème lourd de sens, à la fois crucifix et symbole de communication rompue, d'impasse, d'obstruction. Si l'œuvre de Tàpies s'est longtemps nourrie de sagesse orientale et de philosophie occidentale, les années 1970 et 1980 sont marquées par une étude approfondie du bouddhisme zen, alimentée par les enseignements des grands moines et artistes japonais des XVIIIe et XIXe siècles. Comme en témoigne Diptyque aux signes marron, son expression se laisse alors porter, de plus en plus, par les aléas du pinceau. Le tracé se rapproche librement de l'écriture ou du dessin. Les surfaces crues de ses débuts, semblables à des murs éraflés, cèdent peu à peu leur place à des espaces vacants : en découle un art tout en zones de silence et de contemplation. Ici, le résultat ressemble à une vaste peinture murale, dont chaque croix vient entrouvrir une porte vers l'au-delà.