Lot Essay
L'extraordinaire Baga D'mba de la collection Kahane appartient à un ensemble d'oeuvres Baga d'une qualité exceptionnelle qui arriva en Occident au cours des années 1950. Célébrée immédiatement pour sa force sculpturale et sa présence, la D'mba d'Isidor Kahane fut incluse dès 1958 au sein d'une exposition intitulée Masterpieces of Primitive Art, au Musée des Beaux-Arts de Boston, où elle figurait en évidence au catalogue et dans l'exposition (Fig 9). D'mba - le plus grand masque figuratif africain, suscita une vive attirance et enflamma les esprits des Européens au premier regard. Le spécialiste Douglas Fraser affirma plus tard : "On ne voit plus d'objets en Afrique aussi spectaculaires que les formidables masques Nimba" (Fraser, 1962, p. 93). D'autres oeuvres Baga remarquables sont apparues à la même époque notamment le serpent Baga de la collection Pierre Matisse (ancienne collection Dinhoffer, voir LaGamma, 2002, p. 58, fig. 23) et la Baga D'mba de l'ancienne collection Vérité (voir Fagg et Elisofon, 1958, p. 69).
Les Baga vivent le long des côtes atlantiques au nord-ouest de la République de Guinée, les sous-groupes Sitemu, Pukur et Buluits font partie du même ensemble. La population Baga, relativement peu nombreuse, se caractérise par un système socio-politique non centralisé probablement attribuable à leur passé de peuple nomade ayant fuit le servage où le maintenait le peuple Fulbe islamisé. Ils se sont toutefois organisés autour de leurs solides et omniprésentes structures rituelles. Les circonstances de leur migration ont renforcé leur identité culturelle. Ils forment un groupe homogène et se définissent par la grandeur et la splendeur de leur production artistique, généralement considérée comme l'une des plus emblématiques et majestueuses de la sculpture africaine (voir Lamp, 1996, pp. 25 et 49 et suivantes pour davantage d'informations). Une étude comparative fondée sur des critères stylistiques, des similarités linguistiques et des découvertes archéologiques suggère que les Baga auraient des origines Mandingues et seraient apparentés aux cultures du Haut Niger, en particulier aux Malinke et par extension, aux Bamana. Selon Hair, bien qu'une migration, et donc une 'origine', des Baga depuis des régions intérieures est presque certaine, ils ont manifestement déjà occupé leur territoire actuel depuis au moins cinq siècles (dans Lamp, 1996, p. 55). La plastique des Baga repose sur quatre thèmes : un pouvoir absolu imposant l'ordre par la peur (règle de l'esprit a-Mantsho-no-Pon), des conseils bienveillants (a-Bol), un contrôle sur les forces naturelles (Banda) et une éthique (D'mba). Ces quatre thèmes sont primordiaux pour analyser la D'mba ou 'Nimba', telle que l'on nommait historiquement ces masques coiffes. Comme le précise Frederick Lamp dans son importante étude détaillée sur l'art Baga, Nimba est un mot Susu (voisins des Baga) signifiant 'grand esprit'. Les Susu ont souvent servi d'interprètes pour les Européens, ainsi le surnom attribué à ces imposantes sculptures fut adopté. Cependant, l'appellation Baga D'mba-Yamban est un mot Pukur et la cérémonie ne célèbre pas un "grand esprit" tel que les Susu le définissent. Ceux-ci n'ont d'ailleurs ni danses ni oeuvres s'apparentant au mot "Nimba" (Lamp. 1996, p. 28).
Une D'mba fut décrite dès 1615 par Manuel Alvarez, un explorateur portugais. Il mentionne sommairement, mais spécifiquement, l'existence d'une sculpture féminine noire, portant une jupe de paille, qui apparaissait lors d'importantes manifestations. Par la suite, cette danse fut documentée pour la première fois par Coffinières de Nordeck (Fig 8) et illustrée par un dessin de Pranishnikoff. L'apparition de la D'mba accompagne d'importants évènements, tant collectifs qu'individuels : aux mariages, aux naissances, aux veillées funèbres, aux rites agraires et aux échanges communautaires. Ces manifestations s'étalaient sur plusieurs heures, voire des jours entiers. Portée par un homme seul, fort et habile, le masque d'épaule est évidé au niveau de la poitrine afin de reposer sur la tête du danseur, deux trous entre les seins lui permettaient de voir. Les épaules du danseur supportaient les bords arqués du masque. Un cerceau de raffia, permettant de maintenir l'objet en place, était attaché aux jambes du masque à l'aide des trous que l'on aperoit. Enfin, une jupe de raffia était fixée à la base du buste. Pour les Baga, D'mba n'est ni une divinité ni une déesse, elle présente bien une entité idéale. Elle est l'incarnation d'un modèle éthique que chacun doit s'efforcer de suivre. Ce concept spécifiquement Baga, apparu dès leur arrivée sur la côte, marque l'établissement d'une société frachement dissociée du Fouta Djallon et des Fulbe. Dans ce contexte originel, la symbolique de D'mba engendre de nouvelles perspectives, des changements positifs et de nouvelles aspirations. Elle est partie intégrante de la genèse du peuple Baga. Simultanément, D'mba fait allusion à l'ancien statut social des Baga. C'est une référence particulière dont le concept général implique qu'elle existe pour exaucer les souhaits du peuple, et traduit le renouveau. Elle représente une femme dans la plénitude de son pouvoir - fertile, intelligente et au coeur pur. Avec sa poitrine opulente, elle est l'image de la mère nourricière. Son cou droit et son port de tête altier suggèrent la confiance et la certitude de son omnipotence (op. cit. p. 158). Sa forme générale est une composition symbolique de courbes soigneusement disposées, évoquant les cycles lunaires, des océans et des lagunes et la féminité. A l'évidence, les éléments de cette iconographie furent imaginés par les Baga lorsqu'ils s'installèrent sur la côte. Affranchis de toute tutelle, ils développèrent leur propre esthétique. Notes techniques sur la Baga D'mba de la collection Kahane : La D'mba d'Isidor Kahane témoigne de la virtuosité des artistes sculpteurs Baga. A la dureté du bois et à sa densité répondent le délicat mouvement de l'ensemble des formes en cascade qui la composent - la double crête encadre les oreilles en forme de croissant qui sont contrebalancées par le nez courbe ; la tête légèrement inclinée est délicatement soulignée par le plan arqué de la mchoire, parallèle à la courbe dessinée par la poitrine saillante. Enfin, ces courbes se retrouvent dans le galbe des quatre pieds bien positionnés. Taillée à partir d'une unique pièce de bois, monoxyle, l'architecture complexe de l'oeuvre nécessitait d'être soigneusement dessinée à l'avance. Les artistes ont choisi un morceau de bois dont le noeud était décentré (le noeud étant proche du côté gauche de la coiffe). Ce détail a pour effet de donner du mouvement à la sculpture. Des marques d'insectes xylophages apparaissentaux pieds et à l'arrière de l'épaule gauche. Ces parties du bois sont les plus vulnérables car proche du coeur de la grume. La D'mba de la collection Kahane présente une patine légèrement croteuse avec des traces de pigment ocre et des petites tches de mica. Le côté droit de la tête a de légères traces de suie et la patine a été par la suite frottée. L'intérieur du masque, derrière la poitrine et autour des percées oculaires conserve des traces de patine d'usage.
Bibliographie :
Coffinières de Nordeck, André, "Voyages du pays des Bagas et du Rio Nunez", le Tour du Monde, Paris, 1886, vol. I, pp. 273-304.
Fraser, Douglas, Primitive art, New York, 1962
Lamp, Frederick. Art of the Baga: A Drama of Cultural Reinvention, The Museum for African Art, New York, 1996
Les Baga vivent le long des côtes atlantiques au nord-ouest de la République de Guinée, les sous-groupes Sitemu, Pukur et Buluits font partie du même ensemble. La population Baga, relativement peu nombreuse, se caractérise par un système socio-politique non centralisé probablement attribuable à leur passé de peuple nomade ayant fuit le servage où le maintenait le peuple Fulbe islamisé. Ils se sont toutefois organisés autour de leurs solides et omniprésentes structures rituelles. Les circonstances de leur migration ont renforcé leur identité culturelle. Ils forment un groupe homogène et se définissent par la grandeur et la splendeur de leur production artistique, généralement considérée comme l'une des plus emblématiques et majestueuses de la sculpture africaine (voir Lamp, 1996, pp. 25 et 49 et suivantes pour davantage d'informations). Une étude comparative fondée sur des critères stylistiques, des similarités linguistiques et des découvertes archéologiques suggère que les Baga auraient des origines Mandingues et seraient apparentés aux cultures du Haut Niger, en particulier aux Malinke et par extension, aux Bamana. Selon Hair, bien qu'une migration, et donc une 'origine', des Baga depuis des régions intérieures est presque certaine, ils ont manifestement déjà occupé leur territoire actuel depuis au moins cinq siècles (dans Lamp, 1996, p. 55). La plastique des Baga repose sur quatre thèmes : un pouvoir absolu imposant l'ordre par la peur (règle de l'esprit a-Mantsho-no-Pon), des conseils bienveillants (a-Bol), un contrôle sur les forces naturelles (Banda) et une éthique (D'mba). Ces quatre thèmes sont primordiaux pour analyser la D'mba ou 'Nimba', telle que l'on nommait historiquement ces masques coiffes. Comme le précise Frederick Lamp dans son importante étude détaillée sur l'art Baga, Nimba est un mot Susu (voisins des Baga) signifiant 'grand esprit'. Les Susu ont souvent servi d'interprètes pour les Européens, ainsi le surnom attribué à ces imposantes sculptures fut adopté. Cependant, l'appellation Baga D'mba-Yamban est un mot Pukur et la cérémonie ne célèbre pas un "grand esprit" tel que les Susu le définissent. Ceux-ci n'ont d'ailleurs ni danses ni oeuvres s'apparentant au mot "Nimba" (Lamp. 1996, p. 28).
Une D'mba fut décrite dès 1615 par Manuel Alvarez, un explorateur portugais. Il mentionne sommairement, mais spécifiquement, l'existence d'une sculpture féminine noire, portant une jupe de paille, qui apparaissait lors d'importantes manifestations. Par la suite, cette danse fut documentée pour la première fois par Coffinières de Nordeck (Fig 8) et illustrée par un dessin de Pranishnikoff. L'apparition de la D'mba accompagne d'importants évènements, tant collectifs qu'individuels : aux mariages, aux naissances, aux veillées funèbres, aux rites agraires et aux échanges communautaires. Ces manifestations s'étalaient sur plusieurs heures, voire des jours entiers. Portée par un homme seul, fort et habile, le masque d'épaule est évidé au niveau de la poitrine afin de reposer sur la tête du danseur, deux trous entre les seins lui permettaient de voir. Les épaules du danseur supportaient les bords arqués du masque. Un cerceau de raffia, permettant de maintenir l'objet en place, était attaché aux jambes du masque à l'aide des trous que l'on aperoit. Enfin, une jupe de raffia était fixée à la base du buste. Pour les Baga, D'mba n'est ni une divinité ni une déesse, elle présente bien une entité idéale. Elle est l'incarnation d'un modèle éthique que chacun doit s'efforcer de suivre. Ce concept spécifiquement Baga, apparu dès leur arrivée sur la côte, marque l'établissement d'une société frachement dissociée du Fouta Djallon et des Fulbe. Dans ce contexte originel, la symbolique de D'mba engendre de nouvelles perspectives, des changements positifs et de nouvelles aspirations. Elle est partie intégrante de la genèse du peuple Baga. Simultanément, D'mba fait allusion à l'ancien statut social des Baga. C'est une référence particulière dont le concept général implique qu'elle existe pour exaucer les souhaits du peuple, et traduit le renouveau. Elle représente une femme dans la plénitude de son pouvoir - fertile, intelligente et au coeur pur. Avec sa poitrine opulente, elle est l'image de la mère nourricière. Son cou droit et son port de tête altier suggèrent la confiance et la certitude de son omnipotence (op. cit. p. 158). Sa forme générale est une composition symbolique de courbes soigneusement disposées, évoquant les cycles lunaires, des océans et des lagunes et la féminité. A l'évidence, les éléments de cette iconographie furent imaginés par les Baga lorsqu'ils s'installèrent sur la côte. Affranchis de toute tutelle, ils développèrent leur propre esthétique. Notes techniques sur la Baga D'mba de la collection Kahane : La D'mba d'Isidor Kahane témoigne de la virtuosité des artistes sculpteurs Baga. A la dureté du bois et à sa densité répondent le délicat mouvement de l'ensemble des formes en cascade qui la composent - la double crête encadre les oreilles en forme de croissant qui sont contrebalancées par le nez courbe ; la tête légèrement inclinée est délicatement soulignée par le plan arqué de la mchoire, parallèle à la courbe dessinée par la poitrine saillante. Enfin, ces courbes se retrouvent dans le galbe des quatre pieds bien positionnés. Taillée à partir d'une unique pièce de bois, monoxyle, l'architecture complexe de l'oeuvre nécessitait d'être soigneusement dessinée à l'avance. Les artistes ont choisi un morceau de bois dont le noeud était décentré (le noeud étant proche du côté gauche de la coiffe). Ce détail a pour effet de donner du mouvement à la sculpture. Des marques d'insectes xylophages apparaissentaux pieds et à l'arrière de l'épaule gauche. Ces parties du bois sont les plus vulnérables car proche du coeur de la grume. La D'mba de la collection Kahane présente une patine légèrement croteuse avec des traces de pigment ocre et des petites tches de mica. Le côté droit de la tête a de légères traces de suie et la patine a été par la suite frottée. L'intérieur du masque, derrière la poitrine et autour des percées oculaires conserve des traces de patine d'usage.
Bibliographie :
Coffinières de Nordeck, André, "Voyages du pays des Bagas et du Rio Nunez", le Tour du Monde, Paris, 1886, vol. I, pp. 273-304.
Fraser, Douglas, Primitive art, New York, 1962
Lamp, Frederick. Art of the Baga: A Drama of Cultural Reinvention, The Museum for African Art, New York, 1996