Lot Essay
Gilles Genty, historien de l'art, février 2016.
Une des deux seules sculptures «primitivistes» de Lacombe encore en mains privées, Le lavoir des malheureux (1893) est une oeuvre complexe, difficile et pour tout dire encore largement incomprise. Complexe tout d’abord parce que son titre a varié, depuis Le lavoir à Arcueil (Indépendants en 1895), Lavoir à Ivry (Galerie Balzac en 1924) et enfn Le lavoir des malheureux conformément à l’inscription portée au bas de la sculpture. Les lavandières sculptées par Lacombe, en taille directe, teintées et cirées comme il l’avait appris directement de Gauguin dans son atelier de la rue Vercingétorix, ne sont pas d’aimables jeunes femmes pour cartes postales touristiques ; elles lavent le linge mais manient aussi le bâton, tandis que des pêcheurs à la ligne semblent indiférents aux corps fottant à la surface de l’eau. Puisant dans l’univers des légendes bretonnes (les lavandières de nuit liées au royaume des morts), Lacombe s’inspire aussi de la réalité sociale de son temps.
Bourgeois cultivé et humaniste, il met ici en scène des hommes dilettantes, volontiers portés sur la boisson (deux bouteilles cassées gisent à leurs pieds) et oublieux de leurs devoirs. Lacombe oppose également ici le lavage (purifcation du linge) à la présence des corps morts, que l’on peut interpréter comme l’illustration des nombreuses épidémies qui sévissaient encore. Théophile Alexandre Steinlen n’illustre-t-il pas alors dans le Gil Blas Illustré une chanson d’Aristide Bruant, «V’là l’choléra qu’arrive» où la peur de l’invasion microbienne par l’eau va de pair avec celle du renversement du régime politique en place. Loin d’une vision doloriste, larmoyante où anecdotique, Lacombe crée ici une oeuvre forte qui fait écho à certaines oeuvres contemporaines d’Edvard Munch, au symbolisme âpre. D’ailleurs, dans son dessin préparatoire (fg. 1) Lacombe avait prévu, comme Gauguin et Munch, d’encadrer ce bois d’une bordure reprenant les motifs des objets et des corps dérivant au fl de l’eau. Ce panneau anticipe aussi, de manière étonnante, sur la radicalité des sculptures des expressionnistes allemands des années 1910.
One of the only two “primitivist” sculptures in private hands, Le lavoir des malheureux (1893) is a complex and dificult work, in fact still poorly understood. It is complex first because its title has changed from Le lavoir à Arcueil (Salon des indépendants, 1895), Lavoir à Ivry (Galerie Balzac in 1924) and finally Le lavoir des malheureux as written at the bottom of the sculpture. Lacombe’s washerwomen sculpted in direct carving, tinted and waxed as he had learned from Gauguin in his workshop on rue Vercingétorix, are not charming young women for tourist postcards; they wash clothes but also wield a stick, while fishermen nearby seem indifferent to the bodies foating in the water. Drawing upon Breton legends (the night washerwomen linked to the kingdom of the dead), Lacombe also took inspiration from the social reality of his time. Lacombe – a cultured and humanist man – depicts idle men with a propensity to drinking (two broken bottles lie at their feet) and forgetful of their duties. Lacombe also opposes here washing (purification of the laundry) to the presence of the dead bodies that can be interpreted as an illustration of the many epidemics that were still prevelant at the time. Théophile Alexandre Steinlen illustrated in the Gil Blas Illustré a song by Aristide Bruant “V’là l’choléra qu’arrive”; this was a time where the fear of water-carried diseases was as strong as the fear of yet another government overturn. Far from a sorrowful or anecdotal vision, Lacombe has created a strong work echoing contemporary works by Edvard Munch, with their stark symbolism. Indeed in his preparatory drawing, Lacombe planned to frame this wood sculpture with a border showing the objects and bodies drifting on the water, as Gauguin and Munch did. This panel also strikingly anticipates the radical dimension of German expressionist sculptures of the 1910s.
Une des deux seules sculptures «primitivistes» de Lacombe encore en mains privées, Le lavoir des malheureux (1893) est une oeuvre complexe, difficile et pour tout dire encore largement incomprise. Complexe tout d’abord parce que son titre a varié, depuis Le lavoir à Arcueil (Indépendants en 1895), Lavoir à Ivry (Galerie Balzac en 1924) et enfn Le lavoir des malheureux conformément à l’inscription portée au bas de la sculpture. Les lavandières sculptées par Lacombe, en taille directe, teintées et cirées comme il l’avait appris directement de Gauguin dans son atelier de la rue Vercingétorix, ne sont pas d’aimables jeunes femmes pour cartes postales touristiques ; elles lavent le linge mais manient aussi le bâton, tandis que des pêcheurs à la ligne semblent indiférents aux corps fottant à la surface de l’eau. Puisant dans l’univers des légendes bretonnes (les lavandières de nuit liées au royaume des morts), Lacombe s’inspire aussi de la réalité sociale de son temps.
Bourgeois cultivé et humaniste, il met ici en scène des hommes dilettantes, volontiers portés sur la boisson (deux bouteilles cassées gisent à leurs pieds) et oublieux de leurs devoirs. Lacombe oppose également ici le lavage (purifcation du linge) à la présence des corps morts, que l’on peut interpréter comme l’illustration des nombreuses épidémies qui sévissaient encore. Théophile Alexandre Steinlen n’illustre-t-il pas alors dans le Gil Blas Illustré une chanson d’Aristide Bruant, «V’là l’choléra qu’arrive» où la peur de l’invasion microbienne par l’eau va de pair avec celle du renversement du régime politique en place. Loin d’une vision doloriste, larmoyante où anecdotique, Lacombe crée ici une oeuvre forte qui fait écho à certaines oeuvres contemporaines d’Edvard Munch, au symbolisme âpre. D’ailleurs, dans son dessin préparatoire (fg. 1) Lacombe avait prévu, comme Gauguin et Munch, d’encadrer ce bois d’une bordure reprenant les motifs des objets et des corps dérivant au fl de l’eau. Ce panneau anticipe aussi, de manière étonnante, sur la radicalité des sculptures des expressionnistes allemands des années 1910.
One of the only two “primitivist” sculptures in private hands, Le lavoir des malheureux (1893) is a complex and dificult work, in fact still poorly understood. It is complex first because its title has changed from Le lavoir à Arcueil (Salon des indépendants, 1895), Lavoir à Ivry (Galerie Balzac in 1924) and finally Le lavoir des malheureux as written at the bottom of the sculpture. Lacombe’s washerwomen sculpted in direct carving, tinted and waxed as he had learned from Gauguin in his workshop on rue Vercingétorix, are not charming young women for tourist postcards; they wash clothes but also wield a stick, while fishermen nearby seem indifferent to the bodies foating in the water. Drawing upon Breton legends (the night washerwomen linked to the kingdom of the dead), Lacombe also took inspiration from the social reality of his time. Lacombe – a cultured and humanist man – depicts idle men with a propensity to drinking (two broken bottles lie at their feet) and forgetful of their duties. Lacombe also opposes here washing (purification of the laundry) to the presence of the dead bodies that can be interpreted as an illustration of the many epidemics that were still prevelant at the time. Théophile Alexandre Steinlen illustrated in the Gil Blas Illustré a song by Aristide Bruant “V’là l’choléra qu’arrive”; this was a time where the fear of water-carried diseases was as strong as the fear of yet another government overturn. Far from a sorrowful or anecdotal vision, Lacombe has created a strong work echoing contemporary works by Edvard Munch, with their stark symbolism. Indeed in his preparatory drawing, Lacombe planned to frame this wood sculpture with a border showing the objects and bodies drifting on the water, as Gauguin and Munch did. This panel also strikingly anticipates the radical dimension of German expressionist sculptures of the 1910s.