Lot Essay
Une statue baoulé historique
par Bertrand Goy
En 1923, à trente-deux ans, Paul Guillaume a largement gagné ses galons de marchand d’art après être entré dans la carrière onze ans auparavant en vendant des pièces africaines à son aîné Joseph Brummer. Cette année-là, dans la revue L’an neuf, le jeune galeriste assure la promotion de sa spécialité avec verve et enthousiasme : « L’art des noirs offre à notre délectation la plus savoureuse et la plus troublante expression du mystère ». À l’appui de cette profession de foi, les photos d’une douzaine de sculptures témoignent de son engouement jamais démenti pour l’art de la Côte d’Ivoire ; aux côtés de deux autres de ses semblables et de masques dan, baoulé et bété, figure la statue baoulé qui fait l’objet de ses lignes.
Cette sculpture, une des premières de sa provenance géographique à apparaître en Occident, possède traits et qualités qui en font l’archétype de la beauté baoulé. Le visage à lui seul exprime tout l’art de la riche culture des populations vivant au centre de la Côte d’Ivoire, composante la plus importante du groupe akan. Ses traits délicats ainsi que l’arrangement de sa coiffure impeccablement apprêtée, parachevée d’un réseau de trois tresses savamment nouées, procurent une sensation d’ordre et d’harmonie. Bien que cette sérénité soit le traditionnel apanage des vieux sages comme l’est la barbe longue et très soignée, le corps du personnage conte une toute autre histoire. Ses proportions parfaites et sa silhouette élancée laissent une impression de jeunesse qu’avive l’aspect lisse du derme, souvenir des onctions répétées l’ayant honoré lors de sa vie antérieure. Toutefois respectueux des canons du genre, le sculpteur a représenté son modèle bien campé sur deux jambes musclées portant un torse longiligne, mains posées au niveau de l’aine. Son talent n’a négligé aucun détail, du discret chéloïde ornant le cou aux doigts et orteils délicatement ciselés, sans oublier l’envers du décor ; entre des omoplates nettement dessinées et la chute des reins au galbe harmonieux, court la ligne tout juste esquissée d’une colonne vertébrale assurant le ferme maintien que l’on attend d’un jeune adulte.
Notre statue figure chronologiquement et esthétiquement en première place du rare corpus de sculptures d’un style désormais connu comme celui du « Maître d’Essankro », petit village au sud de la sous-préfecture de Bouaké, en plein cœur du pays baoulé. Ces œuvres sont reconnaissables à leur visage de masque, arrondi et aux yeux clos ainsi qu’à la sveltesse de leur silhouette tranchant avec l’anatomie souvent plus râblée de la statuaire baoulé. Appartiennent à cette famille le conjoint du célèbre couple du Metropolitan Museum of Art (inv. n° 1979.206.113) ou la statue de Charles Ratton, exposée dans la même institution lors de la mythique exposition de 1935, African Negro Art. Paul Guillaume avait, lui, prêté cette œuvre (numéro 151 de son inventaire) à l’exposition du pavillon de Marsan du Louvre en 1923.
L’usage des statues est divers en pays baoulé, certaines, les plus nombreuses, sont personnelles, mari ou femme de l’au-delà, Blolo Bian et Blolo Bla, d’autres, les Asie Usu protégeaient le village des esprits parfois maléfiques et toujours très laids. La tradition veut que ces derniers ne fussent pas indifférents à la belle apparence des statues qui leur étaient consacrées et que celles-ci eussent la vertu de les apaiser. Gageons que ce modèle idéal de la statuaire baoulé chère à Paul Guillaume était un asie usu.
An Iconic Baule Figure
by Bertrand Goy
In 1923, at the age of thirty-two, Paul Guillaume had firmly earned his stripes as an art dealer, having begun his career eleven years earlier by selling African pieces to his elder, Joseph Brummer. That year, in the magazine L’an neuf, the young gallerist promoted his specialty with verve and enthusiasm: “The art of the Blacks offers us the most delightful and most disturbing expression of mystery”. To support this declaration of faith, photos of a dozen sculptures bear witness to his unwavering passion for the art of Ivory Coast; among two of its kind and several Dan, Baule, and Bété masks, appears the Baule statue that is the subject of these lines.
This sculpture - one of the earliest from its geographic origin to appear in the West - possesses features and qualities that make it the archetype of Baule beauty. The face alone expresses the full artistry of the rich culture of the peoples living in central Ivory Coast, the most prominent component of the Akan group. Its delicate features and meticulously styled hair - crowned by a network of three skillfully tied braids - convey a sense of order and harmony. Although this serenity is traditionally the mark of the wise elders, as is the long, well-groomed beard, the figure’s body tells a very different story. Its perfect proportions and slender silhouette leave an impression of youth, enhanced by the smoothness of the skin, a memory of the repeated anointings it received during its former life. While respecting the established canons of the genre, the sculptor has portrayed the model standing firmly on muscular legs, supporting a long, straight torso, with hands resting near the groin. His talent spared no detail - from the subtle keloid scar adorning the neck, to the delicately chiseled fingers and toes, even down to the reverse side: between well-defined shoulder blades and gracefully curved lower back, runs a subtly indicated spinal column, providing the firm bearing expected of a young adult.
This statue holds a leading place, both chronologically and aesthetically, in the rare corpus of sculptures now recognized as belonging to the style of the “Master of Essankro,” a small village south of the sub-prefecture of Bouaké, in the heart of Baule territory. These works are recognizable by their mask-like faces, rounded and with closed eyes, as well as by the slenderness of their figures, contrasting with the more stocky anatomy often seen in Baule statuary. Belonging to this family are the male partner of the famous couple at the Metropolitan Museum of Art (inv. no. 1979.206.113), or the statue from Charles Ratton’s collection, exhibited at the same institution during the legendary 1935 exhibition African Negro Art. Paul Guillaume himself had loaned this statue (number 151 in his inventory) to the 1923 exhibition at the Pavillon de Marsan of the Louvre.
The uses of statues in Baule country are diverse. Some, the most common, are personal: spirit spouses from the afterlife, known as Blolo Bian (spirit husband) and Blolo Bla (spirit wife). Others, called Asie Usu, served to protect the village from spirits - often malicious and always considered very ugly. Tradition holds that such spirits were not indifferent to the statues’ beauty, which had the power to calm them. We may well assume that this ideal model of Baule statuary, so dear to Paul Guillaume, was an asie usu.
par Bertrand Goy
En 1923, à trente-deux ans, Paul Guillaume a largement gagné ses galons de marchand d’art après être entré dans la carrière onze ans auparavant en vendant des pièces africaines à son aîné Joseph Brummer. Cette année-là, dans la revue L’an neuf, le jeune galeriste assure la promotion de sa spécialité avec verve et enthousiasme : « L’art des noirs offre à notre délectation la plus savoureuse et la plus troublante expression du mystère ». À l’appui de cette profession de foi, les photos d’une douzaine de sculptures témoignent de son engouement jamais démenti pour l’art de la Côte d’Ivoire ; aux côtés de deux autres de ses semblables et de masques dan, baoulé et bété, figure la statue baoulé qui fait l’objet de ses lignes.
Cette sculpture, une des premières de sa provenance géographique à apparaître en Occident, possède traits et qualités qui en font l’archétype de la beauté baoulé. Le visage à lui seul exprime tout l’art de la riche culture des populations vivant au centre de la Côte d’Ivoire, composante la plus importante du groupe akan. Ses traits délicats ainsi que l’arrangement de sa coiffure impeccablement apprêtée, parachevée d’un réseau de trois tresses savamment nouées, procurent une sensation d’ordre et d’harmonie. Bien que cette sérénité soit le traditionnel apanage des vieux sages comme l’est la barbe longue et très soignée, le corps du personnage conte une toute autre histoire. Ses proportions parfaites et sa silhouette élancée laissent une impression de jeunesse qu’avive l’aspect lisse du derme, souvenir des onctions répétées l’ayant honoré lors de sa vie antérieure. Toutefois respectueux des canons du genre, le sculpteur a représenté son modèle bien campé sur deux jambes musclées portant un torse longiligne, mains posées au niveau de l’aine. Son talent n’a négligé aucun détail, du discret chéloïde ornant le cou aux doigts et orteils délicatement ciselés, sans oublier l’envers du décor ; entre des omoplates nettement dessinées et la chute des reins au galbe harmonieux, court la ligne tout juste esquissée d’une colonne vertébrale assurant le ferme maintien que l’on attend d’un jeune adulte.
Notre statue figure chronologiquement et esthétiquement en première place du rare corpus de sculptures d’un style désormais connu comme celui du « Maître d’Essankro », petit village au sud de la sous-préfecture de Bouaké, en plein cœur du pays baoulé. Ces œuvres sont reconnaissables à leur visage de masque, arrondi et aux yeux clos ainsi qu’à la sveltesse de leur silhouette tranchant avec l’anatomie souvent plus râblée de la statuaire baoulé. Appartiennent à cette famille le conjoint du célèbre couple du Metropolitan Museum of Art (inv. n° 1979.206.113) ou la statue de Charles Ratton, exposée dans la même institution lors de la mythique exposition de 1935, African Negro Art. Paul Guillaume avait, lui, prêté cette œuvre (numéro 151 de son inventaire) à l’exposition du pavillon de Marsan du Louvre en 1923.
L’usage des statues est divers en pays baoulé, certaines, les plus nombreuses, sont personnelles, mari ou femme de l’au-delà, Blolo Bian et Blolo Bla, d’autres, les Asie Usu protégeaient le village des esprits parfois maléfiques et toujours très laids. La tradition veut que ces derniers ne fussent pas indifférents à la belle apparence des statues qui leur étaient consacrées et que celles-ci eussent la vertu de les apaiser. Gageons que ce modèle idéal de la statuaire baoulé chère à Paul Guillaume était un asie usu.
An Iconic Baule Figure
by Bertrand Goy
In 1923, at the age of thirty-two, Paul Guillaume had firmly earned his stripes as an art dealer, having begun his career eleven years earlier by selling African pieces to his elder, Joseph Brummer. That year, in the magazine L’an neuf, the young gallerist promoted his specialty with verve and enthusiasm: “The art of the Blacks offers us the most delightful and most disturbing expression of mystery”. To support this declaration of faith, photos of a dozen sculptures bear witness to his unwavering passion for the art of Ivory Coast; among two of its kind and several Dan, Baule, and Bété masks, appears the Baule statue that is the subject of these lines.
This sculpture - one of the earliest from its geographic origin to appear in the West - possesses features and qualities that make it the archetype of Baule beauty. The face alone expresses the full artistry of the rich culture of the peoples living in central Ivory Coast, the most prominent component of the Akan group. Its delicate features and meticulously styled hair - crowned by a network of three skillfully tied braids - convey a sense of order and harmony. Although this serenity is traditionally the mark of the wise elders, as is the long, well-groomed beard, the figure’s body tells a very different story. Its perfect proportions and slender silhouette leave an impression of youth, enhanced by the smoothness of the skin, a memory of the repeated anointings it received during its former life. While respecting the established canons of the genre, the sculptor has portrayed the model standing firmly on muscular legs, supporting a long, straight torso, with hands resting near the groin. His talent spared no detail - from the subtle keloid scar adorning the neck, to the delicately chiseled fingers and toes, even down to the reverse side: between well-defined shoulder blades and gracefully curved lower back, runs a subtly indicated spinal column, providing the firm bearing expected of a young adult.
This statue holds a leading place, both chronologically and aesthetically, in the rare corpus of sculptures now recognized as belonging to the style of the “Master of Essankro,” a small village south of the sub-prefecture of Bouaké, in the heart of Baule territory. These works are recognizable by their mask-like faces, rounded and with closed eyes, as well as by the slenderness of their figures, contrasting with the more stocky anatomy often seen in Baule statuary. Belonging to this family are the male partner of the famous couple at the Metropolitan Museum of Art (inv. no. 1979.206.113), or the statue from Charles Ratton’s collection, exhibited at the same institution during the legendary 1935 exhibition African Negro Art. Paul Guillaume himself had loaned this statue (number 151 in his inventory) to the 1923 exhibition at the Pavillon de Marsan of the Louvre.
The uses of statues in Baule country are diverse. Some, the most common, are personal: spirit spouses from the afterlife, known as Blolo Bian (spirit husband) and Blolo Bla (spirit wife). Others, called Asie Usu, served to protect the village from spirits - often malicious and always considered very ugly. Tradition holds that such spirits were not indifferent to the statues’ beauty, which had the power to calm them. We may well assume that this ideal model of Baule statuary, so dear to Paul Guillaume, was an asie usu.