Lot Essay
Inconnus jusqu’à aujourd’hui, cette paire de vase appelés "piédestaux à oignon", en porcelaine de Sèvres à fond bleu nouveau pointillé et décor de chinoiserie et fleurs d’Indes par le grand peintre Charles-Nicolas Dodin, faisait probablement partie d’une importante garniture comptant sept vases, acquise en 1763 par l’un des plus importants marchand-mercier en porcelaine de l’époque, Simon-Philippe Poirier.
Piédestaux à oignons
Ces vases à la forme inhabituelle étaient destinés à la présentation des bulbes à fleurs tels que les jacinthes, narcisses ou tulipes dont la mode commencée au XVIIe siècle perdure au XVIIIe, sans doute stimulée par l'intérêt pour la botanique et les jardins. Les fleurs envahissent donc les décors et les formes vases se multiplient. A Sèvres, c'est surtout à Jean-Claude Duplessis que l'on doit l'introduction de nouveaux modèles de vases, dont ces pots à oignons.
Ces vases appelés dans les archives de la Manufacture "piédestaux à oignons" ou simplement "piédestaux" (épelé pied d'esteaux), s'apparentent aux "vazes à oignon" ou "caraffe à oignons" qui n'avaient pas de porte-bulbe amovible. Fabriqué dans une seule grandeur, ce modèle apparaît vers 1756 et perdure jusqu'en 1773 même s’il ne semble pas avoir été fabriqué en grande quantité par la manufacture : ainsi l’inventaire général annuel de 1762 liste dans les "pièces existant au magasin en blanc" "17 pots à pied d'Esteaux, prix unitaire 10 livres" et celui de 1763, "4 pied d'Esteaux" dont le prix unitaire est passé à 12 livres (MNS I.7).
Dodin et la Chinoiserie
La valeur de ces vases réside donc dans leur rareté, Rosalind Savill en répertorie environ dix paires à l'exclusion de la nôtre (The Wallace Collection, p.106), mais surtout dans leur décor de chinoiserie. Ce décor est le travail de Charles-Nicolas Dodin, peintre virtuose de la Manufacture de Sèvres pendant quarante-huit ans où il se spécialise dans la peinture de figures. Il se démarque par la qualité de son trait, la subtilité de sa palette et de ses effets d'ambiance. Son répertoire est aussi très riche puisqu’il utilise de nombreuses sources d'inspiration et sera l'un des seuls à travailler directement à partir de tableaux plutôt que de gravures. Certainement son talent et la qualité indubitable de ses œuvres lui vaudra une clientèle fidèle et assidue de collectionneurs français et étrangers.
De 1760 à 1763, Dodin se consacre à l'exécution de ces décors chinois qu'il semble être le seul à avoir exécuté (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle, Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, p. 79). La chinoiserie connaît alors en France comme dans le reste de l'Europe un immense succès depuis le XVIIe siècle. Elle trouve essentiellement sa source dans des descriptions fantaisistes de la Chine lointaine et s’inspire accessoirement des produits importés depuis la fin du Moyen Age. Pourtant elle relève plus de l’imaginaire que de l’imitation de modèles existants. Dodin s'inspire ainsi beaucoup pour ces décors des gravures de Gabriel Huquier l'Aîné exécutées d'après François Boucher, probablement aussi du Livre de desseins chinois, tirés d’après des originaux de Perse, des Indes et du Japon de Jean-Antoine Fraysse publié en 1735 pour Chantilly, mais aussi et surtout directement de sources orientales originales telles que des porcelaines de Chine ou des émaux de Canton.
On compte à ce jour vingt-neuf pièces (avec nos vases) décorées de Chinoiserie dont cinq ont appartenu à Louis XV et quinze à Mme de Pompadour.
Malheureusement toutes les sources iconographiques de Dodin n'ont pu être encore identifiées. Une comparaison de ces pièces révèlent des différences stylistiques qui pourraient aider à indiquer l’origine des modèles ; ainsi les pièces dont le modèle est attribué à Boucher montrent plus de subtilité et de richesse dans les détails alors que celles dont le modèle n’a pu être identifié semblent plus formelles; Dodin réutilise aussi les mêmes personnages, ainsi la femme dans la scène avec l’enfant se retrouve sur un plateau carré à fond rose et à décor chinois daté 1761 (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle , Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, ill. n° 29 p. 89). Il est donc possible de suggérer ici que Dodin a amalgamé plusieurs sources dont certains thèmes chers à François Boucher tel que le petit chien savant illustré dans "Dame Chinoise" pour créer ses propres modèles.
Garniture
Ces piédestaux à oignons faisaient souvent partie d’une garniture de vases pour bulbe et semblent en l’occurrence assortis à un ensemble qui comprenait au moins une paire de vases hollandois nouveau aujourd’hui au Rijksmuseum et une paire de vases à dauphins connus comme les "Firle Vases" du nom de la propriété dans l’East Sussex de l’Angleterre. Toutes ces pièces portent les mêmes marques, le "k" de 1763 et le "K" pour Charles-Nicolas Dodin. ; toutes présentent aussi les mêmes scènes "chinoisantes" et les mêmes "fleurs de Indes", le tout sur le même fond "bleu nouveau" réhaussé de cercles en pointillé doré. Malheureusement les archives de Sèvres ne font pas clairement mention d’un tel ensemble.
Il n’est fait mention qu’une seule fois d’une paire de "pieds d’Esteaux a oignons" dans les registres de ventes au comptant (MNS Vy 3, 122 et 123) : en 1763, livrés à Mr Lemaitre probablement un marchand-mercier, le 30 mars pour la somme de 120 livres pièce. Malheureusement ces vases sont à décor de mozaïque et en suite avec une paire de caisses carrées et un vase Hollandois formant une garniture de cinq pièces.
En revanche, il est fort possible que ce genre d’objet n’ait pas été expressément nommé dans les registres mais tombait dans la catégorie des "vases ou pièces d’ornements" livrés en vaste quantité par la manufacture pour des prix très variables à Louis XV mais aussi à des marchands-merciers dont Simon-Philippe Poirier en 1763 (MNS Vy3, F°156). David Peters a grâce à sa connaissance du système de tarification utilisé à Sèvres nous a permis de voir le possibilité que ces vases en suite avec ceux de Firle et du Rijksmuseum sont probablement ceux mentionnés dans le registres de vente pour la période d’octobre 1763 à janvier 1764, acquis par le marchand-mercier Poirier :
Poirier:
2 à 198 livres pièce [peut être notre paire de pieds d’Esteaux a oignons],
2 à 288 livres pièce [peut être la paire de vases Hollandois nouveau de la collection de John Cockshut, vendue chez Christie’s Londres 11 mars 1913, lot 64 et aujourd’hui dans la collection du Rijksmuseum, BK-17510-A, B],
2 à 432 livres pièce [peut être la paire de vases à Dauphin aujourd’hui à Firle Place, East Sussex, peut être acquise par le 1er vicomte Melbourne avant son décès en 1828],
2 à 528 livres pièce,
1 à 600 livres [peut-être pour un vase qui aurait formé en suite avec les trois autres paires de grandeur variable une garniture de sept pièces]
1 à 720 livres
Cette interprétation des registres n’est bien entendu qu’une hypothèse et il ne sera peut-être jamais possible de confirmer que cet achat de Poirier fait référence à ces différentes pièces complémentaires de par leur forme et leur taille, qui présentent toutes le même décor peint par le même artiste, Charles-Nicolas Dodin sur le même fond de couleur très distinctif bleu nouveau réhaussé de pointillé or, qui portent toutes la même lettre-date pour 1763. Tous ces éléments ne peuvent pourtant être de simples coïncidences, surtout lorsque l’on sait combien la manufacture s’appliquait à ces subtiles différences de décor à l’or (pas toujours évidentes à l’œil nu) afin de différencier les services. Tout tend à conclure que ces vases appartenaient à une garniture composée de sept pièces dont la pièce centrale plus importante et plus coûteuse n’a pu encore être identifiée.
Livré séparément ou dans une garniture, ces piédestaux à oignons sont un témoignage unique et rare de la mode pour les bulbes mais aussi pour la Chinoiserie et surtout de l’exceptionnel talent et créativité d’un des plus grands peintres à Sèvres, Dodin.
Previously unknown, the present pair of Sèvres bleu nouveau pointillé vases known as ‘piédestaux à oignons’ with chinoiserie and flower decoration by the master painter Charles-Nicholas Dodin, is possibly from a rare seven-vase garniture acquired from the factory in 1763 by the renowned marchand mercier Simon-Philippe Poirier.
‘Piédestaux à oignons’
These unusually-shaped vases were used for displaying flower bulbs such as hyacinth, narcissus and tulips, a fashion started in the 17th century and stimulated in the 18th century by the growing interest for gardening and botany. Flowers invaded the interiors and vases were made in all sorts of new shapes. In Sèvres, most of the new shapes including these bulb pots were designed by Jean-Claude Duplessis.
The archives of the Manufacture refer to this new shape as 'piédestaux à oignons' or simply 'pedestal' (spelled pied d’esteaux). Similar to 'vazes à oignon' or 'caraffes à oignons', the piédestaux have a separate bulb holder. Made in one size, they were made between 1756 and 1773, although not in huge quantity: the 'pieces existants au magasin en blanc' in the Manufacture’s inventory for 1762 list 17 'pots à pied d’Esteaux' each sold 10 livres and 4 in 1763 (the price having increased to 12 livres each) (MNS I.7).
Dodin and the Chinoiserie
The value of these vases certainly lies in their rarity (Rosalind Savill recorded 10 similar pairs excluding ours, The Wallace Collection, p.106) but especially in their decor of Chinoiserie scenes. These are the work of Charles-Nicolas Dodin, one of the most talented and revered painter at the Sèvres Manufacture where he worked for forty-eight years. Specialised in figure painting, he was especially renowned for his brush stroke, his range of colours, his shading and the richness of details. His repertoire is as vast as his sources of inspiration, he was also one of the only painter to work directly on paintings rather than engravings. His talent and the quality of his work certainly earned him a loyal clientele of French and international collectors.
Dodin worked with Chinoiserie from 1760 to 1763 and seems to have been the only one to do so in Sèvres (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle, Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, p. 79). Chinoiserie had been in fashion since the 17th century and inspired from fanciful descriptions of China or from goods imported to Europe since the Middle Ages. Whatever the sources, it was all mainly invented and Europeanised. Dodin worked especially with Gabriel Huquier the eldest’s engravings after François Boucher, also probably Jean-François Fraysse’s Livre de desseins chinois, tirés d’après des originaux de Perse, des Indes et du Japon published in 1735 for Chantilly, and especially with oriental works of art such as Chinese porcelain and Canton enamels.
Twenty-nine pieces with Chinoiserie decoration (including ours) are recorded to this day including five delivered to Louis XV and fifteen to Mme de Pompadour.
Sadly, all of Dodin’s iconographic sources have yet to be identified. However, an analytical comparison of the different models reveals some stylistic differences possibly indicative of the origins of his sources. Thus, the pieces known to be based on Boucher’s designs are richer in details and somehow more European in their composition, while other models display more formality and a certain stiffness found in original Chinese models. Dodin also re-used some elements and figures such as the woman in the scene with the child which can also be found on a square tray with pink ground dated 1761 (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle, Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, ill. n°29, p. 89). Therefore, it is more than likely that Dodin combined various iconographic sources (some borrowed from Boucher such as the small show dog seen in the 'Dame Chinoise') to create his own models.
Garniture
These pedestal vases were often part of a larger garniture made up of different sizes and shapes of vases. In this instance, our vases are identical in dates (letter k for 1763), in painter (letter K for Dodin), and in design, Chinoiserie and 'fleurs d’Indes' on fond bleu nouveau with gilt dotted motifs, to a pair of vases Hollandois nouveau (today in the Rijksmuseum) and a pair of vases aux dauphins known as the ‘Firle vases’ from the name of the property in East Sussex where they are currently held. However, such pedestal vases are only mentioned once in the Sèvres archives - in 1763 as part of a delivery to Mr Lemaitre, probably a dealer and sold for 120 livres each (MNS Vy 3, 122 and 123). Unfortunately, this mention refers not to ‘our’ vases but to a pair with mozaïque decoration that together with the pair of caisse carrée and the vase Hollandois listed just above form a six-vase garniture.
It is more than likely that these types of vases are not always called by their proper name but often fall in the category of 'vases or pieces d’ornements' delivered in larger quantity in 1763 with variable price tags to the king and also to the marchands-merciers and especially Simon-Philippe Poirier (MNS Vy3, F°156).
Through his intimate knowledge of the price structure used at Sèvres, David Peters has helped confirm that a sale to Poirier of just such a group, listed in the sales records under dealer returns between October 1763 and January 1764 and itemized as follows, may well refer to the previously mentioned vases at the Rijksmuseum and Firle Place.
Poirier:
2 at 198 livres each [these possibly the present pair of vases pieds d’Esteaux a oignons],
2 at 288 livres each [these possibly the pair of vases Hollandois nouveau from the collection of John Cockshut, sold Christie’s London 11 March 1913, lot 64 and now in the collection of the Rijksmuseum, BK-17510-A,B],
2 at 432 livres each [these possibly the pair of vases à Dauphin at Firle Place, East Sussex, possibly acquired by the 1st Viscount Melbourne prior to his death in 1828],
2 at 528 livres each ,
1 at 600 livres [possibly the unknown central vase that would have formed a garniture with the three pair vases in graduated size in the same order]
1 at 720 livres
This interpretation of the sales records is speculative, and one may never be able to confirm with 100% certainty that the purchase refers to this distinctive group of flower vases of variant form and graduated size, each with the same date letter for 1763, the same painter’s mark for Charles-Nicolas Dodin, the same bleu nouveau ground embellished with gilt pointillé circlets, similar chinoiserie scenes, similar flowers, and with the same tooling pattern enriching the gilt ribbons surrounding the painted scenes. But this level of sameness will not have been arbitrary, particularly given the factory’s tradition of using subtle differences in gilding patterns to help differentiate between vases and services that at first glance appear identical. Rather, it points strongly in favour of the six vases having been conceived to form a seven-vase garniture along with a larger (more expensive) single vase made at the same time.
Whether delivered on their own or as part of a garniture, the bulb pots are a true and unique testimony to the fashion for bulbs but especially to the success of the Chinoiserie achieved by one of the most exceptional painter of the Sèvres Manufacture, Dodin.
Piédestaux à oignons
Ces vases à la forme inhabituelle étaient destinés à la présentation des bulbes à fleurs tels que les jacinthes, narcisses ou tulipes dont la mode commencée au XVIIe siècle perdure au XVIIIe, sans doute stimulée par l'intérêt pour la botanique et les jardins. Les fleurs envahissent donc les décors et les formes vases se multiplient. A Sèvres, c'est surtout à Jean-Claude Duplessis que l'on doit l'introduction de nouveaux modèles de vases, dont ces pots à oignons.
Ces vases appelés dans les archives de la Manufacture "piédestaux à oignons" ou simplement "piédestaux" (épelé pied d'esteaux), s'apparentent aux "vazes à oignon" ou "caraffe à oignons" qui n'avaient pas de porte-bulbe amovible. Fabriqué dans une seule grandeur, ce modèle apparaît vers 1756 et perdure jusqu'en 1773 même s’il ne semble pas avoir été fabriqué en grande quantité par la manufacture : ainsi l’inventaire général annuel de 1762 liste dans les "pièces existant au magasin en blanc" "17 pots à pied d'Esteaux, prix unitaire 10 livres" et celui de 1763, "4 pied d'Esteaux" dont le prix unitaire est passé à 12 livres (MNS I.7).
Dodin et la Chinoiserie
La valeur de ces vases réside donc dans leur rareté, Rosalind Savill en répertorie environ dix paires à l'exclusion de la nôtre (The Wallace Collection, p.106), mais surtout dans leur décor de chinoiserie. Ce décor est le travail de Charles-Nicolas Dodin, peintre virtuose de la Manufacture de Sèvres pendant quarante-huit ans où il se spécialise dans la peinture de figures. Il se démarque par la qualité de son trait, la subtilité de sa palette et de ses effets d'ambiance. Son répertoire est aussi très riche puisqu’il utilise de nombreuses sources d'inspiration et sera l'un des seuls à travailler directement à partir de tableaux plutôt que de gravures. Certainement son talent et la qualité indubitable de ses œuvres lui vaudra une clientèle fidèle et assidue de collectionneurs français et étrangers.
De 1760 à 1763, Dodin se consacre à l'exécution de ces décors chinois qu'il semble être le seul à avoir exécuté (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle, Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, p. 79). La chinoiserie connaît alors en France comme dans le reste de l'Europe un immense succès depuis le XVIIe siècle. Elle trouve essentiellement sa source dans des descriptions fantaisistes de la Chine lointaine et s’inspire accessoirement des produits importés depuis la fin du Moyen Age. Pourtant elle relève plus de l’imaginaire que de l’imitation de modèles existants. Dodin s'inspire ainsi beaucoup pour ces décors des gravures de Gabriel Huquier l'Aîné exécutées d'après François Boucher, probablement aussi du Livre de desseins chinois, tirés d’après des originaux de Perse, des Indes et du Japon de Jean-Antoine Fraysse publié en 1735 pour Chantilly, mais aussi et surtout directement de sources orientales originales telles que des porcelaines de Chine ou des émaux de Canton.
On compte à ce jour vingt-neuf pièces (avec nos vases) décorées de Chinoiserie dont cinq ont appartenu à Louis XV et quinze à Mme de Pompadour.
Malheureusement toutes les sources iconographiques de Dodin n'ont pu être encore identifiées. Une comparaison de ces pièces révèlent des différences stylistiques qui pourraient aider à indiquer l’origine des modèles ; ainsi les pièces dont le modèle est attribué à Boucher montrent plus de subtilité et de richesse dans les détails alors que celles dont le modèle n’a pu être identifié semblent plus formelles; Dodin réutilise aussi les mêmes personnages, ainsi la femme dans la scène avec l’enfant se retrouve sur un plateau carré à fond rose et à décor chinois daté 1761 (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle , Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, ill. n° 29 p. 89). Il est donc possible de suggérer ici que Dodin a amalgamé plusieurs sources dont certains thèmes chers à François Boucher tel que le petit chien savant illustré dans "Dame Chinoise" pour créer ses propres modèles.
Garniture
Ces piédestaux à oignons faisaient souvent partie d’une garniture de vases pour bulbe et semblent en l’occurrence assortis à un ensemble qui comprenait au moins une paire de vases hollandois nouveau aujourd’hui au Rijksmuseum et une paire de vases à dauphins connus comme les "Firle Vases" du nom de la propriété dans l’East Sussex de l’Angleterre. Toutes ces pièces portent les mêmes marques, le "k" de 1763 et le "K" pour Charles-Nicolas Dodin. ; toutes présentent aussi les mêmes scènes "chinoisantes" et les mêmes "fleurs de Indes", le tout sur le même fond "bleu nouveau" réhaussé de cercles en pointillé doré. Malheureusement les archives de Sèvres ne font pas clairement mention d’un tel ensemble.
Il n’est fait mention qu’une seule fois d’une paire de "pieds d’Esteaux a oignons" dans les registres de ventes au comptant (MNS Vy 3, 122 et 123) : en 1763, livrés à Mr Lemaitre probablement un marchand-mercier, le 30 mars pour la somme de 120 livres pièce. Malheureusement ces vases sont à décor de mozaïque et en suite avec une paire de caisses carrées et un vase Hollandois formant une garniture de cinq pièces.
En revanche, il est fort possible que ce genre d’objet n’ait pas été expressément nommé dans les registres mais tombait dans la catégorie des "vases ou pièces d’ornements" livrés en vaste quantité par la manufacture pour des prix très variables à Louis XV mais aussi à des marchands-merciers dont Simon-Philippe Poirier en 1763 (MNS Vy3, F°156). David Peters a grâce à sa connaissance du système de tarification utilisé à Sèvres nous a permis de voir le possibilité que ces vases en suite avec ceux de Firle et du Rijksmuseum sont probablement ceux mentionnés dans le registres de vente pour la période d’octobre 1763 à janvier 1764, acquis par le marchand-mercier Poirier :
Poirier:
2 à 198 livres pièce [peut être notre paire de pieds d’Esteaux a oignons],
2 à 288 livres pièce [peut être la paire de vases Hollandois nouveau de la collection de John Cockshut, vendue chez Christie’s Londres 11 mars 1913, lot 64 et aujourd’hui dans la collection du Rijksmuseum, BK-17510-A, B],
2 à 432 livres pièce [peut être la paire de vases à Dauphin aujourd’hui à Firle Place, East Sussex, peut être acquise par le 1er vicomte Melbourne avant son décès en 1828],
2 à 528 livres pièce,
1 à 600 livres [peut-être pour un vase qui aurait formé en suite avec les trois autres paires de grandeur variable une garniture de sept pièces]
1 à 720 livres
Cette interprétation des registres n’est bien entendu qu’une hypothèse et il ne sera peut-être jamais possible de confirmer que cet achat de Poirier fait référence à ces différentes pièces complémentaires de par leur forme et leur taille, qui présentent toutes le même décor peint par le même artiste, Charles-Nicolas Dodin sur le même fond de couleur très distinctif bleu nouveau réhaussé de pointillé or, qui portent toutes la même lettre-date pour 1763. Tous ces éléments ne peuvent pourtant être de simples coïncidences, surtout lorsque l’on sait combien la manufacture s’appliquait à ces subtiles différences de décor à l’or (pas toujours évidentes à l’œil nu) afin de différencier les services. Tout tend à conclure que ces vases appartenaient à une garniture composée de sept pièces dont la pièce centrale plus importante et plus coûteuse n’a pu encore être identifiée.
Livré séparément ou dans une garniture, ces piédestaux à oignons sont un témoignage unique et rare de la mode pour les bulbes mais aussi pour la Chinoiserie et surtout de l’exceptionnel talent et créativité d’un des plus grands peintres à Sèvres, Dodin.
Previously unknown, the present pair of Sèvres bleu nouveau pointillé vases known as ‘piédestaux à oignons’ with chinoiserie and flower decoration by the master painter Charles-Nicholas Dodin, is possibly from a rare seven-vase garniture acquired from the factory in 1763 by the renowned marchand mercier Simon-Philippe Poirier.
‘Piédestaux à oignons’
These unusually-shaped vases were used for displaying flower bulbs such as hyacinth, narcissus and tulips, a fashion started in the 17th century and stimulated in the 18th century by the growing interest for gardening and botany. Flowers invaded the interiors and vases were made in all sorts of new shapes. In Sèvres, most of the new shapes including these bulb pots were designed by Jean-Claude Duplessis.
The archives of the Manufacture refer to this new shape as 'piédestaux à oignons' or simply 'pedestal' (spelled pied d’esteaux). Similar to 'vazes à oignon' or 'caraffes à oignons', the piédestaux have a separate bulb holder. Made in one size, they were made between 1756 and 1773, although not in huge quantity: the 'pieces existants au magasin en blanc' in the Manufacture’s inventory for 1762 list 17 'pots à pied d’Esteaux' each sold 10 livres and 4 in 1763 (the price having increased to 12 livres each) (MNS I.7).
Dodin and the Chinoiserie
The value of these vases certainly lies in their rarity (Rosalind Savill recorded 10 similar pairs excluding ours, The Wallace Collection, p.106) but especially in their decor of Chinoiserie scenes. These are the work of Charles-Nicolas Dodin, one of the most talented and revered painter at the Sèvres Manufacture where he worked for forty-eight years. Specialised in figure painting, he was especially renowned for his brush stroke, his range of colours, his shading and the richness of details. His repertoire is as vast as his sources of inspiration, he was also one of the only painter to work directly on paintings rather than engravings. His talent and the quality of his work certainly earned him a loyal clientele of French and international collectors.
Dodin worked with Chinoiserie from 1760 to 1763 and seems to have been the only one to do so in Sèvres (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle, Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, p. 79). Chinoiserie had been in fashion since the 17th century and inspired from fanciful descriptions of China or from goods imported to Europe since the Middle Ages. Whatever the sources, it was all mainly invented and Europeanised. Dodin worked especially with Gabriel Huquier the eldest’s engravings after François Boucher, also probably Jean-François Fraysse’s Livre de desseins chinois, tirés d’après des originaux de Perse, des Indes et du Japon published in 1735 for Chantilly, and especially with oriental works of art such as Chinese porcelain and Canton enamels.
Twenty-nine pieces with Chinoiserie decoration (including ours) are recorded to this day including five delivered to Louis XV and fifteen to Mme de Pompadour.
Sadly, all of Dodin’s iconographic sources have yet to be identified. However, an analytical comparison of the different models reveals some stylistic differences possibly indicative of the origins of his sources. Thus, the pieces known to be based on Boucher’s designs are richer in details and somehow more European in their composition, while other models display more formality and a certain stiffness found in original Chinese models. Dodin also re-used some elements and figures such as the woman in the scene with the child which can also be found on a square tray with pink ground dated 1761 (Splendeur de la Peinture sur Porcelaine au XVIIIe Siècle, Charles-Nicolas Dodin et la Manufacture de Vincennes-Sèvres, Paris, 2012, ill. n°29, p. 89). Therefore, it is more than likely that Dodin combined various iconographic sources (some borrowed from Boucher such as the small show dog seen in the 'Dame Chinoise') to create his own models.
Garniture
These pedestal vases were often part of a larger garniture made up of different sizes and shapes of vases. In this instance, our vases are identical in dates (letter k for 1763), in painter (letter K for Dodin), and in design, Chinoiserie and 'fleurs d’Indes' on fond bleu nouveau with gilt dotted motifs, to a pair of vases Hollandois nouveau (today in the Rijksmuseum) and a pair of vases aux dauphins known as the ‘Firle vases’ from the name of the property in East Sussex where they are currently held. However, such pedestal vases are only mentioned once in the Sèvres archives - in 1763 as part of a delivery to Mr Lemaitre, probably a dealer and sold for 120 livres each (MNS Vy 3, 122 and 123). Unfortunately, this mention refers not to ‘our’ vases but to a pair with mozaïque decoration that together with the pair of caisse carrée and the vase Hollandois listed just above form a six-vase garniture.
It is more than likely that these types of vases are not always called by their proper name but often fall in the category of 'vases or pieces d’ornements' delivered in larger quantity in 1763 with variable price tags to the king and also to the marchands-merciers and especially Simon-Philippe Poirier (MNS Vy3, F°156).
Through his intimate knowledge of the price structure used at Sèvres, David Peters has helped confirm that a sale to Poirier of just such a group, listed in the sales records under dealer returns between October 1763 and January 1764 and itemized as follows, may well refer to the previously mentioned vases at the Rijksmuseum and Firle Place.
Poirier:
2 at 198 livres each [these possibly the present pair of vases pieds d’Esteaux a oignons],
2 at 288 livres each [these possibly the pair of vases Hollandois nouveau from the collection of John Cockshut, sold Christie’s London 11 March 1913, lot 64 and now in the collection of the Rijksmuseum, BK-17510-A,B],
2 at 432 livres each [these possibly the pair of vases à Dauphin at Firle Place, East Sussex, possibly acquired by the 1st Viscount Melbourne prior to his death in 1828],
2 at 528 livres each ,
1 at 600 livres [possibly the unknown central vase that would have formed a garniture with the three pair vases in graduated size in the same order]
1 at 720 livres
This interpretation of the sales records is speculative, and one may never be able to confirm with 100% certainty that the purchase refers to this distinctive group of flower vases of variant form and graduated size, each with the same date letter for 1763, the same painter’s mark for Charles-Nicolas Dodin, the same bleu nouveau ground embellished with gilt pointillé circlets, similar chinoiserie scenes, similar flowers, and with the same tooling pattern enriching the gilt ribbons surrounding the painted scenes. But this level of sameness will not have been arbitrary, particularly given the factory’s tradition of using subtle differences in gilding patterns to help differentiate between vases and services that at first glance appear identical. Rather, it points strongly in favour of the six vases having been conceived to form a seven-vase garniture along with a larger (more expensive) single vase made at the same time.
Whether delivered on their own or as part of a garniture, the bulb pots are a true and unique testimony to the fashion for bulbs but especially to the success of the Chinoiserie achieved by one of the most exceptional painter of the Sèvres Manufacture, Dodin.