Lot Essay
BERTRAND GOY
Il y a exactement un siècle le pavillon de Marsan du musée du Louvre consacrait une exposition aux sculptures classiques d’Afrique, Océanie et autres « pays lointains » qui gagnaient ainsi leurs lettres de noblesse et accédaient définitivement au rang d’œuvres d’art. André Level, un des principaux artisans de cette reconnaissance et collectionneur très éclairé, choisissait pour illustrer la couverture du catalogue1 accompagnant cet événement un « masque de la Côte d’Ivoire » appartenant au galeriste de Vuillard, Jos Hessel. Désormais conservé à l’Indiana University Museum, criante est sa parenté avec l’œuvre présentée ici, acquise par Jean Paul Barbier-Mueller - avec un discernement comparable à celui de ses prédécesseurs - lors de la dispersion de la mythique collection d’Hubert Goldet en 2001. Ce n’est en aucun cas une coïncidence si ce masque fut également retenu pour figurer sur la couverture du catalogue2 de la vente mais le juste hommage rendu au grand talent d’un artiste qu’on aurait souhaité plus prolifique si l’on considère la qualité et la rareté de son art. Ces deux masques, de taille exceptionnelle, sont en effet les seuls de ce style connus à ce jour.
L’exercice de stricte attribution ethnique rencontre là ses limites tant ces superbes objets illustrent les influences réciproques qu’exercent entre eux des groupes proches.
Du masque de la collection Barbier-Mueller, les Yohouré seraient en droit de revendiquer le collier de barbe en dents de scie nouée à son extrémité alors que les Gouro pourraient être crédités de son ovale très allongé, de son fond de teint ocre et de l’arrangement de ses chéloïdes. Une attribution aux Baoulé s’impose toutefois ; bien que, lors de leur migration vers le centre de la Côte d’Ivoire au XVIIIe siècle, ils n’emportèrent pas avec eux la tradition du masque, ils eurent tôt fait de l’emprunter à leurs voisins primo-arrivants et d’appliquer leur talent d’orfèvres à cette discipline. Ici leur art s’exprime dans la précision et le classicisme avec lesquels sont sculptés les traits de ce visage, du nez long et effilé à l’arc des sourcils protégeant des paupières closes sur des yeux en demi-lune. On doit aussi à l’inclination au « maniérisme » de ces sculpteurs l’extrême sophistication de la coiffure. Son tressage complexe et élégant se terminant en cadogan atteint la perfection, enrichie toutefois d’une touche d’originalité apportée par la sorte de dentelure faisant écho à celle entourant le bas du visage.
L’extrême rareté de cette représentation rend difficile la détermination de sa fonction. Bien que sa beauté rivalise avec celle des masques-portraits, certaines de ses spécificités l’en éloignent ; les manières de cornes figurées au niveau des tempes - une caractéristique fréquente chez les Gouro - indispensable tribut au monde animal, la facture des traits du visage et la morphologie particulière de son envers augmenté d’une sorte de fraise, prêchent pour son appartenance à la famille des kpan. Les kpan tiennent une place importante dans les performances du Goli encore exécutées de nos jours lors de réjouissances villageoises après avoir participé autrefois à des évènements plus tragiques comme des funérailles.
Si le grand africaniste Maurice Delafosse avait pu admirer la majesté sereine de ce masque, il y aurait sans nul doute vu les traits du pharaon Amenhotep, confortant ainsi sa thèse suggérant « des traces de civilisation égyptienne à la Côte d’Ivoire ».3
Exactly a century ago, the Pavillon de Marsan at the Louvre Museum devoted an exhibition to classical sculptures from Africa, Oceania and other “distant lands”, which thus won their letters of nobility and definitively gained a status as works of art. André Level, one of the main architects of this recognition and a highly enlightened collector, chose to illustrate the cover of the catalogue1 accompanying the event with an “Ivory Coast mask” belonging to Vuillard's exclusive dealer and gallery owner, Jos Hessel. Now housed at the Indiana University Museum, it bears a striking resemblance to the work presented here, acquired by Jean Paul Barbier-Mueller - with the same discernment as his predecessors - when Hubert Goldet's legendary collection was sold in 2001. It is by no means a coincidence that this mask was also chosen to feature on the cover of the sale’s catalogue2, but a fitting tribute to the great talent of an artist who, given the quality and rarity of his art, we would have wished to see more of. These two masks, of exceptional size, are the only ones in this style known to date.
The exercise of strict ethnic attribution has its limits here, as these superb objects illustrate the reciprocal influences exerted by closely related groups.
Of the mask in the Barbier-Mueller collection, the Yohoure would be entitled to claim the saw-tooth beard necklace tied at the end, while the Guro could be credited with its very elongated oval, its ochre foundation and the arrangement of its keloids. Although they did not take the mask-making tradition with them when they migrated to central Côte d'Ivoire in the 18th century, they soon borrowed it from their primitive neighbours and applied their goldsmithing skills to this discipline. Here, their art is expressed in the precision and classicism with which the facial features are sculpted, from the long, tapering nose to the arch of the eyebrows protecting the closed eyelids over half-moon eyes. The extreme sophistication of the hairstyle also owes much to the sculptors' penchant for “mannerism”. Its complex, elegant braiding, ending in a cadogan pony tail is perfect, but with a touch of originality added by the sort of lacework in echo around the lower part of the face.
The extreme rarity of this representation makes it difficult to determine its function. Although its beauty rivals that of the portrait masks, some of its specific features set it apart from them. The horns at the temples - a frequent feature among the Guro - are an essential tribute to the animal world, as are the facial features and the particular morphology of the back of the face, which has been enhanced with a sort of ruff, all point to it belonging to the kpan family. The kpan play an important role in Goli performances, which still take place today during village celebrations, after having been used in the past for more tragic events such as funerals.
If the great Africanist Maurice Delafosse had been able to admire the serene majesty of this mask, he would undoubtedly have noticed in it the features of the pharaoh Amenhotep, thus confirming his thesis suggesting “traces of Egyptian civilisation in the Ivory Coast”.3
1 Clouzot, H. et Level, A., Sculptures africaines et océaniennes, Paris, 1924.
2 De Ricqlès, Maison de la Chimie, Paris, Collection Hubert Goldet, 30 juin - 1er juillet 2001.
3 Delafosse, M., « Sur des traces probables de civilisation égyptienne et d’hommes de race blanche à la Côte d’Ivoire », in L’Anthropologie, Paris, juillet - décembre 1900, pp. 431-451.
Il y a exactement un siècle le pavillon de Marsan du musée du Louvre consacrait une exposition aux sculptures classiques d’Afrique, Océanie et autres « pays lointains » qui gagnaient ainsi leurs lettres de noblesse et accédaient définitivement au rang d’œuvres d’art. André Level, un des principaux artisans de cette reconnaissance et collectionneur très éclairé, choisissait pour illustrer la couverture du catalogue1 accompagnant cet événement un « masque de la Côte d’Ivoire » appartenant au galeriste de Vuillard, Jos Hessel. Désormais conservé à l’Indiana University Museum, criante est sa parenté avec l’œuvre présentée ici, acquise par Jean Paul Barbier-Mueller - avec un discernement comparable à celui de ses prédécesseurs - lors de la dispersion de la mythique collection d’Hubert Goldet en 2001. Ce n’est en aucun cas une coïncidence si ce masque fut également retenu pour figurer sur la couverture du catalogue2 de la vente mais le juste hommage rendu au grand talent d’un artiste qu’on aurait souhaité plus prolifique si l’on considère la qualité et la rareté de son art. Ces deux masques, de taille exceptionnelle, sont en effet les seuls de ce style connus à ce jour.
L’exercice de stricte attribution ethnique rencontre là ses limites tant ces superbes objets illustrent les influences réciproques qu’exercent entre eux des groupes proches.
Du masque de la collection Barbier-Mueller, les Yohouré seraient en droit de revendiquer le collier de barbe en dents de scie nouée à son extrémité alors que les Gouro pourraient être crédités de son ovale très allongé, de son fond de teint ocre et de l’arrangement de ses chéloïdes. Une attribution aux Baoulé s’impose toutefois ; bien que, lors de leur migration vers le centre de la Côte d’Ivoire au XVIIIe siècle, ils n’emportèrent pas avec eux la tradition du masque, ils eurent tôt fait de l’emprunter à leurs voisins primo-arrivants et d’appliquer leur talent d’orfèvres à cette discipline. Ici leur art s’exprime dans la précision et le classicisme avec lesquels sont sculptés les traits de ce visage, du nez long et effilé à l’arc des sourcils protégeant des paupières closes sur des yeux en demi-lune. On doit aussi à l’inclination au « maniérisme » de ces sculpteurs l’extrême sophistication de la coiffure. Son tressage complexe et élégant se terminant en cadogan atteint la perfection, enrichie toutefois d’une touche d’originalité apportée par la sorte de dentelure faisant écho à celle entourant le bas du visage.
L’extrême rareté de cette représentation rend difficile la détermination de sa fonction. Bien que sa beauté rivalise avec celle des masques-portraits, certaines de ses spécificités l’en éloignent ; les manières de cornes figurées au niveau des tempes - une caractéristique fréquente chez les Gouro - indispensable tribut au monde animal, la facture des traits du visage et la morphologie particulière de son envers augmenté d’une sorte de fraise, prêchent pour son appartenance à la famille des kpan. Les kpan tiennent une place importante dans les performances du Goli encore exécutées de nos jours lors de réjouissances villageoises après avoir participé autrefois à des évènements plus tragiques comme des funérailles.
Si le grand africaniste Maurice Delafosse avait pu admirer la majesté sereine de ce masque, il y aurait sans nul doute vu les traits du pharaon Amenhotep, confortant ainsi sa thèse suggérant « des traces de civilisation égyptienne à la Côte d’Ivoire ».3
Exactly a century ago, the Pavillon de Marsan at the Louvre Museum devoted an exhibition to classical sculptures from Africa, Oceania and other “distant lands”, which thus won their letters of nobility and definitively gained a status as works of art. André Level, one of the main architects of this recognition and a highly enlightened collector, chose to illustrate the cover of the catalogue1 accompanying the event with an “Ivory Coast mask” belonging to Vuillard's exclusive dealer and gallery owner, Jos Hessel. Now housed at the Indiana University Museum, it bears a striking resemblance to the work presented here, acquired by Jean Paul Barbier-Mueller - with the same discernment as his predecessors - when Hubert Goldet's legendary collection was sold in 2001. It is by no means a coincidence that this mask was also chosen to feature on the cover of the sale’s catalogue2, but a fitting tribute to the great talent of an artist who, given the quality and rarity of his art, we would have wished to see more of. These two masks, of exceptional size, are the only ones in this style known to date.
The exercise of strict ethnic attribution has its limits here, as these superb objects illustrate the reciprocal influences exerted by closely related groups.
Of the mask in the Barbier-Mueller collection, the Yohoure would be entitled to claim the saw-tooth beard necklace tied at the end, while the Guro could be credited with its very elongated oval, its ochre foundation and the arrangement of its keloids. Although they did not take the mask-making tradition with them when they migrated to central Côte d'Ivoire in the 18th century, they soon borrowed it from their primitive neighbours and applied their goldsmithing skills to this discipline. Here, their art is expressed in the precision and classicism with which the facial features are sculpted, from the long, tapering nose to the arch of the eyebrows protecting the closed eyelids over half-moon eyes. The extreme sophistication of the hairstyle also owes much to the sculptors' penchant for “mannerism”. Its complex, elegant braiding, ending in a cadogan pony tail is perfect, but with a touch of originality added by the sort of lacework in echo around the lower part of the face.
The extreme rarity of this representation makes it difficult to determine its function. Although its beauty rivals that of the portrait masks, some of its specific features set it apart from them. The horns at the temples - a frequent feature among the Guro - are an essential tribute to the animal world, as are the facial features and the particular morphology of the back of the face, which has been enhanced with a sort of ruff, all point to it belonging to the kpan family. The kpan play an important role in Goli performances, which still take place today during village celebrations, after having been used in the past for more tragic events such as funerals.
If the great Africanist Maurice Delafosse had been able to admire the serene majesty of this mask, he would undoubtedly have noticed in it the features of the pharaoh Amenhotep, thus confirming his thesis suggesting “traces of Egyptian civilisation in the Ivory Coast”.3
1 Clouzot, H. et Level, A., Sculptures africaines et océaniennes, Paris, 1924.
2 De Ricqlès, Maison de la Chimie, Paris, Collection Hubert Goldet, 30 juin - 1er juillet 2001.
3 Delafosse, M., « Sur des traces probables de civilisation égyptienne et d’hommes de race blanche à la Côte d’Ivoire », in L’Anthropologie, Paris, juillet - décembre 1900, pp. 431-451.